Prendre le temps... Ici, afin d’effectuer un rite pour nos morts, geste essentiel qui implique de nous poser dans le temps large des cultures, telles les mousses qui signalent combien la minéralité des monuments n’évacue pas les logiques secrètes du vivant.
Cohabiter 1
« Il faut tellement de temps Bronwen WALLACE, 20161
« Quand on devient un intime du temps, Emmanuel LOCHAC, 20032 |
Au cinéma, il arrive qu’on nous présente les cimetières sous une lentille embuée.
Éliminons d’emblée les films d’horreur. Prenons plutôt le parti de l’embrun non forcément maritime : quelle que soit la température, ce léger embrun, comme les mousses pour les pierres, enveloppe le voyageur au micro-continent du cimetière.
Les mousses caressent ces mondes et leurs remparts, insignes des micro-organismes qui les peuplent. Écumes agiles, elles ne sont pas sans rappeler les sous-bois et leur tapis protecteur. Et une autre échelle temporelle que celle qui apparaît à portée de vue.
On entend par ailleurs : les temps du mourir, de la mort et du deuil sont chamboulés. Oui.
Néanmoins, porter à terme un fœtus prendrait le même temps que pour les Néandertaliens (-330 000 — -30 000 ans). Idem, écrire à la main, depuis le Moyen-Âge. Quelques millénaires vers notre modernité? Même temporalité gestuelle pour bêcher votre potager. Prendre une grande respiration aussi, ou conter une histoire en marchant avec un ami, sans craindre qu’une calamité ne s’abatte sur nous. Alors, métaboliser la perte d’un être aimé, estimé?
Se référer à ce socle des rapports au temps, c’est considérer les variations culturelles fines. Or, examiner les différentes coutumes, obligations et inflexions des sensibilités, selon les époques et les latitudes, laisse émerger plusieurs universaux, sur lesquels s’appuient largement mes travaux. Universaux? Comment s’élaborent-ils?
Face à de grands défis et à de réelles énigmes, les émotions et les pensées se structurent en schèmes et en un certain nombre de conduites aux fondements communs et constants, qui nous sont transmis ; l’anthropologie les décode à travers les pratiques, les narrations, les manifestations culturelles variées, débordant largement l’évènement de la mort. Élaborer ce savoir distancié rend vigilant face aux prétentions séduisantes des modes du jour sur les allures du deuil et nous avertit de nos imparables biais de légitimation.
Voici donc quatre (4) propositions tirées de mes enquêtes sur ces invariants. Elles sont articulées de telle sorte que les lecteurs y trouvent des pistes thématiques au creux de leurs questionnements personnels et professionnels.
Telles des mousses qui nous guident.
1er UNIVERSEL : le vécu du deuil serait largement déterminé par le sens que nous attribuons à la mort. Et à la vie. Quelle en est la dynamique?
Maurice GODELIER le formule ainsi : « Nulle part la mort ne s’oppose vraiment à la vie. Elle s’oppose à la naissance (...) Tout en s’opposant, [naissance et mort] sont liées l’une à l’autre, forment système ou sont part d’un système3. » Comment? À la naissance, des éléments se rejoignent, font conjonction afin de former la personne, qui, elle, s’élabore dans ce que j’aime volontiers penser comme «l’arc de son existence».
Au terme de cet arc, la mort vient disjoncter ces éléments constitutifs de l’être. L’angoisse de sombrer dans le magma indifférencié s’y fonde. Comment l’affronter?
En l’occurrence, le lecteur s’en souviendra, un ou des esprits du mort survivraient. Ils empruntent d’autres formes et demeurent dans un hors temps indéfini. Cette présence ressentie, soignée autant qu’évanescente, inspire en retour la fécondité, forgeant ainsi la temporalité cyclique. S’instaure le principe essentiel d’une permanence de la vie, ce « vitalisme panbiotique4 » consolateur, cher aux poètes et à maintes cosmogonies.
Cette symbolique préhistorique, spirituelle, a irrigué les religions populaires et fut par suite systématisée, voire récupérée par les religions institutionnalisées. On sait que, dès les premiers temps, les morts logeraient en un pays distinct, formant une sorte de société, proche ou lointaine. De toutes manières, une parcelle d’eux veille ou sévit, selon les précautions des vivants. Les morts sont perdus comme vivants, soit, mais la part d’eux et de leur labeur, parfois de leur «aura», survit d’une sollicitude partagée, notamment rituellement. Ces modalités interactionnelles contribuent non seulement à calmer les tensions entre vivants, mais encore à hisser les plus douloureusement touchés hors de leur abattement. Ce n’est pas rien.
Universellement, cette parcelle survivante peut aussi simplement flotter, comme une présence qui se perçoit davantage dans le manque d’une présence concrète. Qui suggère doucement de bouger sa mécanique corporelle vers le lieu où les restes reposent tranquilles. Mais pas seulement de cette manière : le mouvement avive la perception, la perception fait voluter l’émotion, notamment celle qui monte dans le souvenir des réverbérations entre les autres et soi, entre soi et l’être disparu. S’instaure alors une autre forme d’échange symbolique, imperceptible, mais ouvrant la peine à une expérience singulière. La peine devient une bruine qui ne prend pas tout le ciel, un bruissement qui ne couvre pas toute la sonorité des quotidiens.
Alors? Ambivalence, toujours
Au fond, l’ambivalence concerne nos rapports à la mort, pour soi, pour nos aimés, avant et après. Ainsi l’on peut vaciller, avancer entre détresse et soulagement, vide et plénitude, et parfois simultanément. Oui, en étrange sensation de décalage de notre être même.
Or, se vivre partagé serait un phénomène invariant. La tentation contemporaine est de faire comme si cet état ne nous concernait pas ou était forcément détestable. C’est que l’ambivalence expérientielle contrecarre le roulis d’une logique sociale qui prétend gérer et découper toutes nos activités en rondelles probantes, «claires et nettes». Efficaces.
En revanche, qu’arrive-t-il si l’on consent à la complexité de cette ambivalence?
D’un côté, notre raison mâtinée du sens des réalités nous indique que la mort, comme la naissance, forgent justement la loi de tout vivant, en nous ouvrant à la corolle du temps, ainsi que le suggérait l’arpenteur tous azimuts Louis-Vincent THOMAS : « La mort n’est pas que de l’homme mais s’attache à tout ce qui est vivant, plantes et animaux, individus ou éventuellement espèces. Mieux, à tout ce qui est susceptible de s’inscrire dans le temps. Non seulement les sociétés, les ensembles culturels («nous savons, ô civilisations, que vous êtes mortelles» déclarait Paul Valéry) mais encore les «choses» naturelles ou manufacturées (cimetières de voitures, catafalques de pneus), les monuments (pas seulement les ruines), les étoiles et les galaxies qui chutent dans l’entropie sont irrécusablement condamnés à disparaître5. »
De l’autre côté, on fait avec notre psychisme qui, non seulement ne conçoit pas la mort, mais éventuellement, nous fait «aimer vivre». Tant «aimer à vivre» (ode à mon père...) Et du même coup nous fait résister à cette force annihilatrice de la mort, afin qu’elle ne soit pas totale. Face au manque, passant outre la contrariété puis le cri, encore et toujours, un imaginaire et un langage se mettent en route. Nous procréons, créons, rêvons, réalisons, améliorons, instituons, projetons. La culture se façonne de cette résistance.
La continuité du cycle naissance-mort, malmenée, se perçoit dans les vécus du deuil.
Cela étant, l’universel concernant la continuité du cycle naissance-mort, en distinguant l’une et l’autre, chapeauté par le désir du vivant, vient éclairer l’arrière-scène du deuil. Comment?
La conception dominante contemporaine ne distingue pas la mort de la vie. Elle les sépare et les oppose. Cet antagonisme majeur est né au début du 20e siècle. Auparavant, nous étions arrimés à une conception intégrant viscéralement la vie non pas tant à la mort qu’à cette relation naissance-mort. La vie présidait à la naissance et enjambait la mort. Elle la dépassait puisque la mort ne serait pas tant la non-vie que l’incapacité empirique de vérifier que nous sommes en vie6. La vie se symbolisait englobante. Puis nous avons glissé vers une définition de la vie se bornant à la durée sise entre les deux dates de l’existence que nous connaissons empiriquement : naissance et décès. Bilan7 : nous concevons la vie comme un trait court dans le temps, entre deux moments T. La mort en devient le point final, le terminus.
Or, cette conception de la finitude vient exacerber le fonds archaïque toujours présent. Avec raison, ce fonds nous donne la mort, entre autres, comme un anéantissement de l’individu-sujet. En clivant ainsi la mort ET la vie, la mort-terminus devient un mauvais moment à passer. Voire un nada alors compréhensible. En prime, l’on accentue forcément le sentiment de précarité de toute existence terrestre. C’est alors qu’un autre déterminant entre en jeu. Car ici, ce n’est plus seulement l’existence, c’est MON existence dont il s’agit.
C’est que, depuis quasi un millénaire, le délice du sujet conscient et s’individuant est devenu progressivement un tout-terrain et un crédo, si bien que l’individualisme de base et de bon aloi s’est hypertrophié. Il est devenu la balise référentielle souveraine : peu de référence autre dépasse notre autodétermination, notre auto-référence subjective systématique, voire un auto-engendrement8. Fantasme de toute-puissance?
Autrement dit, la peur, voire l’angoisse de fond liée à toute conscience de la finitude se double d’une angoisse de la déperdition de notre précieux moi dans le magma. Alors, le temps ainsi resserré devient étau. Triple angoisse. D’où l’adoption de conduites consommatoires du court-terme inconséquent, irresponsable. D’une part, ces conduites de fuite en avant raccourcissent l’espérance «de vie» et, d’autre part, elles contribuent aux polluants en tout genre et à l’écocide. Quadruple angoisse.
Et nous raffinons à l’avenant nos modes de défense contre cette angoisse sédimentée. Éventuellement, en faisant comme si elle n’existait pas, forme sophistiquée du déni. Pour autant, cette véritable charge mentale nous imbiberait insidieusement.
Mais en quoi cette conception relativement récente dans l’histoire de l’humanité vient-elle influer sur le deuil? Ce fonds d’angoisse innommée nous userait à petit feu et nous rendrait la mort encore plus redoutable. Et éventuellement, le deuil plus pénible. Il aurait aussi servi de fond de scène à l’irruption pandémique, à laquelle on tourne le dos, affairés en large part à «revenir comme avant». Surtout, pour nous en défendre, nous concevons et vivons la perte dans l’orbite, d’une part, de ce que nous connaissons empiriquement — en dépit des proclamations à la nouveauté — et, d’autre part, des subjectivités et des intersubjectivités, toutes essentielles soient-elles. Cela donnera deux traits, résumés ici.
Premier trait : progressivement, depuis le 19e siècle, le deuil renvoie surtout aux liens interpersonnels. Évident, direz-vous.
Bien sûr, phylogénétiquement ou dans l’évolution de l’espèce, la teneur de la relation avec l’être perdu demeure le point d’ancrage de tout deuil, relation biographique ou développée vers la fin de « vie ». Cette relation rappelle autant le regroupement des êtres comme condition de survie basique — qui demeure, en dépit de notre centration sur l’interpersonnel — que les premiers liens de l’enfant : c’est ce lien qui fonde le deuil intime, intrapsychique. Sans désavouer ce noyau, d’autres sociétés que la nôtre célèbrent cette capacité de liant affectif des morts en insistant sur la place qu’ils occupaient dans le groupe. Celui-ci leur attribue une place en fonction de leur statut, voire dans une échelle hiérarchique de responsabilités eu égard à leurs congénères (et non uniquement en termes de prestige). Mais pas seulement, parce que le groupe ressent l’apport de ces ex-vivants aux membres du groupe et à la sauvegarde du groupe même, que toute mort vient déstabiliser.
Les morts apparaissent donc, dans tant de cultures, non pas d’abord comme de «bons vivants», mais comme des acteurs sociaux contribuant dans la mesure de leurs moyens à la vitalité d’un collectif : ainsi le lecteur pensera aux enfants, incarnation du roulis du temps générationnel, le Récit précédent le mettait en exergue.
Clé universelle, ce recours social à une participation non synonyme de Curriculum Vitæ contribue pour celles et ceux qui restent à une forme de consolation au plan du vécu intime, afin de ne pas demeurer perclus dans le jamais-plus. Comment donc?
Déjà évoquée plus haut, la survie d’un principe spirituel, au sens large, pas qu’éthéré, mais bien observable : alors l’être en deuil pivote tranquillement de son entame du lien interpersonnel vers le mimétisme identitaire. Il copie à son insu l’éthique en acte que son disparu pouvait incarner, même discrètement, même de manière bancale. Ainsi la vie de l’esprit est-elle prismatique. Ce renvoi à l’éthique incarnée est central dans la part tonique de la ritualité funéraire qui s’élance vers le « que faire maintenant? » Le legs n’est pas alors que formulé, il devient un pousse-à-penser-agir. Bien peu tonitruant.
C’est qu’une lourde tendance actuelle de réaction au décès nous convie à des déclarations de liens interpersonnels, au sens de « il était pour moi, elle représentait dans ma vie... ». De loin en loin, cela donne sur la scène rituelle la prévalence du témoignage de ce que fut cet ex-vivant, en présentant cette scène comme originale et par ailleurs si conforme à l’air du temps.
Pourtant, de tout temps, l’importance du panégyrique n’équivaut pas à sa prévalence et encore moins à son exclusivité cérémoniale. Actuellement, cet exclusivisme règne, quand, au nom de la soi-disant célébration «de la vie», l’on évite d’affronter le butoir de la mort, dans l’illusion d’une souffrance épargnée : ainsi, en gommant consciencieusement les signes de sa mort, voire de la mort. Et à la limite en allant tout de go aux symboles flous de survie dans les mémoires. Ce qui est juste, mais incomplet. Et surtout contre-intuitif et contre-«productif» alors que nous clamons chercher-trouver «du sens9». En effet, comment penser à réparer si l’on n’admet pas que quelque chose a été abîmé? Et peut-être, si l’on ne questionne pas quel abîme nous aurions nous-mêmes socialement creusé?
Second trait relatif à la conception actuelle du deuil en lien avec celle de la mort : on le sait, la mort devient mine de rien intolérable pour un individualisme hypertrophié. Cette logique de l’intolérable nous conduit à problématiser le deuil, au sens de dysfonctionnement social, tout en relevant sa singularité.
Cette problématisation ambigüe germait au 19e siècle féru de mort romantique, mais aussi nourri du capitalisme naissant : sous le poids du chagrin, «la mort de toi», disait Ariès, conduit le deuil de la perte d’un lien — fût-il essentiel — vers l’atomisation de l’épreuve. Ce deuil en alcôve, forcément devenu anomique, induit dès lors l’édit social de sa résolution, de sa guérison. Et forcément, une certaine forme de professionnalisation.
En s’agrippant à un rapport au temps réduit à l’existence, on découpe la flèche du temps sous un but de résolution assorti d’une série d’étapes. Chacun peut le constater : l’étapisme demeure un indice du besoin universel de balises, mais à garder souples, du fait que les contextes communicationnels (cliniques, familiaux, etc.) entrent en jeu10.
À cet égard, nous ne saurions négliger les impacts subreptices d’une logique marchande, par-delà nos bonnes volontés. Ainsi beaucoup d’êtres en deuil avouent se sentir pris en serre de messages paradoxaux à divers niveaux : d’un côté, les édits sociaux performatifs les intiment de garder leurs morts toujours «vivants» (avec x trucs ou formes de consommation à l’avenant), tout en «tournant la page» ; d’un autre côté, on s’emploie à les persuader de leur libre-arbitre si singulier. Or, ces édits paradoxaux, à l’adresse d’êtres en telle fragilité émotive et cognitive, induisent une souffrance supplémentaire, surtout lorsqu’ils sont subtils et livrés comme des mantra, a fortiori crispés sur le vécu strictement individuel. Insistons : le deuil n’est pas que le fruit d’une histoire relationnelle, même fondamentale. Et pas davantage l’unique fruit d’une sensibilité, toute merveilleuse soit-elle.
En somme, la conception culturelle de la mort comme terminus a plus d’incidences qu’on ne le pense puisqu’une des émanations de l’hyper-individualisme comme phénomène culturel dégage un subtil parfum de totalitarisme. Cette position de l’individu auto centré, ethno centré, encore une fois époquo centré, détraque le sens du repère, puisqu’un repère, par définition, ne peut être personnalisé : il traduit une exigence sociale soucieuse du bien-être collectif, comme des personnes qui y contribuent. Or, chemin faisant, cette perte de repères redoublée contribue à la confusion, et la confusion, aux perturbations psychiques. Elle bloque les déterminants sociaux et la dynamique même de l’analyse de l’individu inscrit dans sa culture proche, à tout le moins.
Bien sûr, on peut évoquer cette culture («LA société»...) dans nos propos, comme une sorte d’idée reçue. Et surtout demander simplement à nos collatéraux : « D’où, pensez-vous, vous viennent la manière de vivre cette perte? D’où, aussi, ces influences des valeurs contemporaines et de vos modèles? »
Ces questions et d’autres se posent dans l’optique du socius, qui à la fois englobe et colore tant de nos existences. Pourquoi pas?
2e UNIVERSEL venant déterminer le deuil : les repères du passage OU comment meurt-on, comment accueille-t-on la mort?
Parce que tout être conscient aspire à ce que la mort ne soit pas une fin définitive, les notions de bonnes et de mauvaises morts existent partout. Elles sont largement tributaires des circonstances du mourir : allègent-elles la douleur, offrent-elles un soutien physique, moral, spirituel, voire un sentiment d’accomplissement? Une relative prévisibilité? Sur ce dernier point, un critère varie, le rythme du processus. Sa teneur dépend du rapport au temps prévalant dans une société, la nôtre axée sur le présent et le flux rapide. (Il n’empêche que nous avons été en 2020 déconcertés par le fait que des millions de personnes relativement bien portantes soient passées en cinq jours de malades à mourants, puis à morts, et enfin, à concentrés sablonneux...)
En sus, les variations actuelles, cette fois, de belle mort, insistent sur l’auto-détermination comme valeur cardinale d’un humanisme en dominante trempé dans le contrôle de l’expérience : « Une belle mort? Si je puis communiquer, si mon anxiété [sans en préciser les sources] disparaît, si je puis avoir l’autonomie pour choisir le type d’intervention, le lieu, et même le moment. Je veux être conscient, avec mes proches, sans leur être un fardeau. » «Contrôle», notre moyen de défense chouchou... Impensé. Qui, poussé à l’extrême, altérerait la mort dans sa propre singularité, dans sa logique tout autre.
Ajoutons à cette liste validée en méta-recherche partielle, répercutée par The Lancet11 : les critères de bonnes et mauvaises morts s’avèrent des balises normatives rassurantes, aisément visibles et vérifiables ; néanmoins, dans le mystère délicat de toute mort, ces desiderata me semblent liés aux états d’être et de relations des mourants. Ces relations sont aussi non formalisées, et évidemment, introjectées. Hors captation. Mais non moins agissantes. Situées dans les habitus, elles répondent notamment à une attitude biographique avérée devant les épreuves passées, et là, inusitée, devant sa propre mort. Il demeure ainsi toujours une part d’indicible, cette si discrète ET magnifique figure de l’altérité.
Par exemple, reprenant la grande pédagogie multimillénaire des échanges entre vivants et morts, la personne qui s’en va protègerait la vie de l’autre qui reste. Et l’être qui reste, advenant qu’il n’ait pas rencontré ce privilège des derniers temps, puise fortitude dans les moments passés où le disparu l’aurait protégé. Enlacé. Bref, reconnu. (Le prochain Récit intemporel de cimetières traitera de cette reconnaissance.)
Car oui, à côté de ce qui est perceptible, il y a ce que nous croyons qu’il se passe, ou plutôt ce à quoi nous aimons légitimement croire. Forcément alors, à notre insu, ce à quoi nous enjoignons l’être aimé. Et singulièrement, depuis la tragédie covidienne (mais aussi pour toutes les catastrophes brutalement funestes, incluant les errements des services socio-hospitaliers), nos espoirs qu’il ait pu se faire bercer de cette brume qui l’emporte. Il faut alors nous raccorder solidement à cet imaginaire. Cette faculté relève des « facteurs de protection» essentiels, en l’occurrence moins nouvelle que re-sollicitée.
Enfin, pour toute société, les repères qualificatifs sont liés au traitement des morts auquel la ritualité participe grandement. À ce titre, les morts ont été envisagés jusqu’au siècle dernier comme des êtres sociaux, c’est-à-dire comme les produits humains d’une société qui s’efforce de leur trouver un statut et une place, encore une fois. Cette posture nourrissant le lien social n’empêche nullement les «colloques» intimes avec les aimés disparus. En fait, des adresses réelles et des fictions de réponses, admises comme telles, mais tout de même réconfortantes, indice du chemin intérieur de l’absence.
Au bilan, tous ces repères de passage nous sécurisent, et dès lors, consolent et fortifient.
Or voilà, ces derniers temps, que la mort massive a surgi, surmortalité due à une pandémie12, à sonder au filtre des expériences historiques : elles furent délaissées sous prétexte que la propagation mondialisée était cette fois-ci quasi simultanée et considérant que nous étions si «évolués.» (Récit 14). Pour autant, le tissu social déjà distendu fut déchiré par ce qui s’est avéré mondialement la pire des morts, dans l’effroi d’une image d’Épinal archaïque, somatique, celle d’une respiration de plus en plus resserrée — c’est aussi le sens d’«angoissement» (disait une patiente il y a longtemps)13. Cette entrée d’air, nous croyions l’avoir «contrôlée», négligeant ses entraves causées par tant de sources de pollution.
Ce tissu social endommagé, donc, fut arraché dans la séparation déjà ardue d’avec les aimés, mais dans la solitude effarée, et pour beaucoup, trop souvent, dans le sentiment abyssal d’être sans recours. Morts avant que de l’être, dénutris sous tant de plans, combien de proches avaient viscéralement osé nous en alerter?
3e UNIVERSEL : le deuil dépasse son expressivité, mais les expressions l’orientent
Toutes les sociétés distinguent d’un côté, la perte, et de l’autre, les manifestations de ce que cette perte représente pour les personnes sociales. Le Récit 18 en faisait état concernant la mort des enfants.
Plus précisément, l’émotion et son expression se modulent différemment selon le registre de leur actualisation, seul avec soi-même ou en présence des autres. Ainsi le deuil emprunte divers cercles de portée expressive directe, affective et culturelle : cercle personnel, de soi à soi, cercle intime, choisi, cercle des proches, et cercle social, de groupal à collectif. Bien sûr, l’expression donne aux autres accès à notre expérience. Pour autant, le vécu du deuil n’équivaut pas à sa manifestation : parce que nous ne sommes pas transparents à ce qui nous «travaille» et que sa manifestation ménage forcément des zones secrètes. Ainsi une expression martelée ne «fait» pas le deuil, comme on l’entend dans « je fais mon deuil sur le web ». Et ce, même si de pouvoir en exprimer les affects en teinte le vécu. À leur tour, ces distinguos impliquent des temporalités différentes.
Redisons-le, le deuil personnel, intime, à savoir ce qui est de l’entame douloureuse au sentiment d’identité, puis de l’ordre de l’introjection en soi de l’existence de l’autre, ce que nous en fabriquons, rien de cela n’est documenté pour les sociétés d’avant l’écriture (préhistoriques). L’archéologie funéraire nous offre cependant des indices de ritualité et donc de l’effet psychique de la mort. Pour autant, la ritualité a beau forger des dispositifs de défense face à ces effets angoissants, elle ne recouvre pas non plus toute la gamme des sensibilités individuelles. Mais elle les oriente généreusement. Si le deuil intime est plus flou, le deuil vécu avec des proches et des groupes, lui, est davantage visible et réglé dans son déroulement. Ce qui en émane offre néanmoins en retour une armature au noyau intime et relationnel.
Nous nous trouvons alors au seuil du désir rituel. En cela, éloignons-nous de la prescription univoque ayant rebuté les générations du 20e siècle. Rituel? Alternant entre personnalisation et recours aux grands archétypes, il s’agit d’un ensemble concerté de conduites corporelles, de mobilisations sensorielles, effectuées avec d’autres dans un temps et un lieu donnés. Ces actes symboliques permettent tout à la fois de toucher un état émotif lié au changement qui nous réunit, de l’exprimer de manière métaphorique et de trouver un sens minimal et un élan dans plus que soi, afin de continuer à vivre. La continuité du vivant, encore ici, englobe naissance et mort.
4e UNIVERSEL : le rite devant la mort ou « lorsque il n’y a rien à faire et à dire14 »
La ritualité de la mort n’est pas d’abord une ritualité directe de deuil, même si elle se soucie éminemment des deuilleurs, selon le néologisme de Louis-Vincent Thomas, en référence à la part active que je viens de mentionner. Étonnamment, ce serait parce qu’il ne cible pas d’abord ou uniquement les êtres endeuillés que le rite de mort est essentiel, précisément dans le parcours du deuil.
Ainsi, pour comprendre et peut-être relativiser quelque peu l’ampleur de la lacune rituelle lors de la pandémie, il nous faut la considérer à l’aune des fondements psychoculturels du rite de mort. En effet, en scrutant ce désir et ses riches sentiers, on dégage un ensemble de fonctions. Chacune irrigue l’ensemble du rituel de mort, dans des proportions variables selon le moment : 1) la ritualité funéraire, relative à l’avènement de la mort et en faisant un événement multivoque ; 2) la commémoration d’une ou de morts identifiées, à écart temporel des décès comme de leurs premières cérémonies, s’offrant au terme d’un cycle saisonnier ou culturel-calendaire ; elle s’appuie sur la mémoire mise en commun pour mémorialiser, ou rappeler séquentiellement la réalité ; 3) la ritualité générale du souvenir, tel le Jour des Morts. Je ne résumerai ici que le premier moment ; comme matrice des deux suivants, on y trouve des pivots aussi pour l’avenir proche.
La ritualité funéraire atteste la séparation, en prenant acte du principe de changement imparti à toute existence. Par cette base, elle rassure chacun sur la justesse de sa place et de son émotion. (Je ne peux ici analyser les tenants et aboutissants d’une confrontation de ces universaux avec ce qui apparaît comme des «disparitions» actuelles, davantage des glissements que le fruit d’une intention ou encore de dichotomies bien nettes15.)
Par conséquent, ce moment tient lieu de partance du deuil social, offrant une portance au deuil intime, même si ce dernier se distille en temps et lieux plus «quotidiens». Cette partance s’effectue dans une panoplie de gestes rituels, du micro-rite partagé entre deux ou trois personnes, au rite social déployé dans la sphère groupale, voire collective.
La carence rituelle déplorée lors de la pandémie est tributaire de plusieurs facteurs qui ne concernent pas que ces circonstances perturbantes, parfois traumatiques. Ils pointent vers le sort rituel préexistant, sous l’égide, entre autres, d’une double désocialisation : la moindre place accordée à la société des morts comme à celle de l’assistance. Plus précisément, le rétrécissement horaire, la simplification, l’éclatement voire le report funéraires sont liés à nos conceptions du temps, de l’économie profane et sacrée, des liens sociaux, notamment entre les vivants et les morts, voire des civilisations. Plusieurs l’ont noté, les rituels contemporains se résument souvent à une cérémonie d’hommage ou de célébration de la vie d’un individu, à laquelle proches et membres des divers entourages s’associent, s’ils en sont informés.
Or, les fonctions des funérailles, à la fois intuitives et attestées, ciblent bien davantage en permettant une intégration sensorielle, intellectuelle, psychique. Elles constitueront la pierre de voûte d’un deuil qui se métabolise dans le temps. En voici l’essentiel, en trois fonctions qui se chevauchent.
1 Une fonction de base consiste à assumer la séparation, à en manifester les effets et à les endiguer. Et tout comme distinguer n’est pas séparer, séparer ne signifie pas exclure ou cliver. Séparer implique de délimiter. (Serait-ce là un des signifiants qui nous rebute?)
Ce qui se sépare, ce sont d’abord les entités qui ont constitué la personne. Car mourir, déjà pour le mourant, c’est se séparer de lui-même comme vivant organique. D’où l’importance de laisser place à l’être mort et non seulement comme ex-vivant. À défaut de corps, on présente un objet identifié à l’existence de l’autre, mais là, dépouillé de cette présence. Du coup, on laisse place à l’épreuve de la réalité, tout en en atténuant la dureté.
Ensuite, le mort se sépare de nous, et corrélativement, nous de lui. Avant toute la panoplie des modes de disposition du corps, il y a justement notre adieu, qui implique les conduites de chagrin.
Ces deux registres de séparation, l’un ontologique, l’autre relationnel, gravent le destin de tout vivant relié. Cette forme de prise de distance est salutaire dans la mesure où l’on peut manifester les effets de la séparation. Le plus net demeure la reconduction du défunt dans le lieu destinal des morts ; le plus diffus demeure le sentiment de désordre existentiel engendré par la mort : hébétude, désorganisation. On connaît ces vertiges physiques et mentaux, l’alternance du silence, des pleurs, de la suractivité. De la prostration.
Différer les funérailles, c’est revivre cette fébrilité déconcertante, certes, mais à régime atténué. Et surtout, émotions reconnues rétrospectivement par le groupe, en unité synchronique et de lieu. Par ailleurs, universel encore, il est toujours temps de poser le socle de ces offrandes au mort (Voir Récit suivant) afin de le rassurer magiquement et de nous rassurer sur notre attachement et sa valeur. Sous maintes variantes, le chagrin est manifeste, mais retenu, puis desserré. Cet ensemble émotif légitime la présence de règles au sein du rituel, dans un effort pour mettre à l’ordre ces sentiments bigarrés et ambivalents. Sans compter l’aile de la mort qui nous trouble toujours, en arrière-scène aussi du groupe.
Ainsi, au sein du rite effectué dans le cercle groupal, différent de l’intimité du micro-rite, on ne pleure pas n’importe quand et n’importe comment. C’est justement parce que l’on sait qu’il y a plusieurs cercles expressifs. Et que la catharsis groupale prend en considération, d’une part la désorganisation qui nous fait mimer malgré nous la mort et, d’autre part, la nécessaire organisation d’une résistance à ce vécu douloureux et confondant.
Or, ce mouvement de modulation, en soi créateur d’émotions, est une forme de réparation. Le mouvement vécu, partagé et supporté en groupe, provision de forces, est aussi prophylactique de désordres psychiques ultérieurs. En sus, il éduque à la fluctuation imparable des émotions intimes qui afflueront dans les temps à venir.
2 La deuxième fonction rituelle cherche à inscrire la perte dans un système de sens. En premier lieu, il s’agit d’articuler le sort physique du mort à un destin métaphysique : autrement dit, lui trouver une place physique parmi les morts tout en arrimant cette disposition des restes à un système de croyances qui fait évoluer l’esprit ou les esprits du mort, noté en termes de séjour-société des morts, sous le premier invariant.
En second lieu, il s’agit d’articuler ce que fut cet être à l’ensemble des registres du vivant, afin de déposer le chagrin et l’existence de qui n’est plus dans l’amplitude des rapports humains aux mondes ou dans des significations élargies. Dans un «ordre» des mondes dont un trait est la permanence ou la continuité du legs reçu et à recevoir : le lignage ou les générations, les groupes de référence, le collectif, les créations de tous ordres, la terre, la panoplie des spiritualités.
3 Enfin, et très sommairement, une troisième fonction vient concerter le soutien consolant des êtres proches et des autres, et dès lors en fouette l’énergie groupale... et vitale. C’est en cela aussi que nous démontrons ensemble comment apprendre à nous relier à partir de notre impuissance. Que c’est possible! On s’y aperçoit que le lien social ne tient pas qu’à l’enchevêtrement de relations interpersonnelles ; il construit le groupe même. Le repas funéraire vient alors clore la ritualité manifeste en rassurant sur l’esprit commensal.
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Et en se déportant éventuellement vers le rituel de commémoration, nous réfléchissons à ce qui a pu être des logiques délétères présidant à ces morts-là, afin qu’elles ne se reproduisent plus, du moins dans la mesure de notre contribution. En ce sens, le rite lance l’avenir puisqu’il peut susciter la mise en place de conditions propices au vivant. Il s’avère ainsi poreux en minuscules craquelures, telles les pierres accueillant les spores végétales.
Pour clore (provisoirement) : trois strates de mousses
La première strate est théorico-pratique : tel qu’annoncé, le lecteur aura noté que le deuil n’est pas la priorité du rite de mort. Pour autant, celui-ci démontre ponctuellement comment nous pouvons envisager le vide pour nous hisser du manque intense au manque atténué, et finalement adouci. Le rituel mobilise et module les autres facteurs de protection que sont les valeurs incarnées auxquelles on s’identifie, les croyances en des puissances non tangibles, la profondeur de l’histoire, les occasions inédites issues des sorties de soi. Il engage le corps dans des conduites expressives, comme la parole ou autres modalités telle la musique. Étonnamment, le travail psychique de la séparation et de consentement à l’expérience du devenir de la perte se cheville, mais sans se river à cette seule exigence. Il ne s’agit donc pas tant d’accepter la mort que d’accepter à la fois nos failles et nos forces, enchâssées dans l’amplitude d’être.
Corrélativement, se dégage une autre strate signalétique de la formation «mousse». Peut-on être aidant sans forcément le rechercher? En effectuant un rituel sans le techniciser dans une logique de moyens visant un but, non seulement nous nous coulons dans le sens intemporel du rite, mais nous nous en sentons bien, simplement. Nous ressentons ainsi la vitalité du soin de la part de la culture, en dégageant cette perspective : naissance et mort, dans leur mystère, transcendent toute organisation sociale (cf. Récit 18). De cet éclairage panoramique se solidifie notamment le nid du désir de vivre, déjà partagé avec l’autre qui nous a quittés. Et chaque être trouve en ces moments des forces de solidarité qui adouciront les jours de solitude.
Découlant des deux premières strates, un dernier point s’impose, conjoncturel : ce qui a blessé dans la pandémie de COVID-19, c’est singulièrement l’impraticabilité sanitaire de la rencontre d’adieu in situ. Dans la tension quantitative des données épidémiologiques, dans l’incompréhension et le doute, le silence est apparu d’autant plus cruel.
Aussi, de manière moins évidente, nous aurions été interloqués de ce qui a pu refluer de nos négligences préalables concernant la mort d’un proche. Pourtant, si les trois grandes fonctions du rite de funérailles furent largement ébréchées, beaucoup de nos concitoyens ont instinctivement mis en œuvre des gestes rituels afin d’éponger leur désarroi et leur détresse : on le rappelle, beaucoup de proches ont trompé les zooms vidéo-techniques et sont allés marcher dehors, à la rencontre des autres, parfois planifiée, parfois hors des attentes préétablies. Ce faisant, ils inscrivaient une gestualité et un engagement de tout le corps dans une sorte de revanche-réparation implicite de ce qui fut infligé aux disparus. Cette rébellion assumée est à la fois inédite et rappelée lors des manifestations spontanées groupales après les catastrophes.
Par ailleurs, ce qui fut vécu lors de ces moments de séparation inouïe peut être formulé en un court récit et représenté sobrement par un objet lors de funérailles différées ; à distance temporelle, elles deviennent une cérémonie de salutation.
Le problème auquel nous sommes tout de même confrontés puise dans les arguments connus qui justifient depuis quelques décennies la sanctuarisation du deuil privé : évitement des émotions données comme négatives, commodité, non-dérangement des activités des uns et des autres, découpage commercial, dégoût pour les corps non rutilants, etc. En prime ici, et avec raison, les lacunes de prise en acte collective.
Or, en ne recourant pas au rituel, nous accréditons les évitements ambiants. Et les morts meurent deux fois. Nous intégrons le repli privatif avec notamment l’effet d’une demande excessive à l’endroit des proches, amplifiant un désarroi d’abandon. Aussi, et plus que jamais peut-être, le contrepoids, ici de l’ordre de la santé publique, doit-il être extérieur et socialisé. Son absence instaurerait une entrave supplémentaire alors que nous avons décrié les contraintes ponctuelles lors de la crise pandémique.
Le silence rituel de notre société postpandémique, s’il s’avérait, instaurerait un manque, cette fois civilisationnel. En effet, le fantasme d’appropriation de nos morts, de leur enfermement dans nos cœurs, est une tentation que chaque être rencontre. Par responsabilité faussée, cette ultraprivatisation donnée comme preuve de fidélité ne fait pas qu’amplifier l’angoisse du néant ; elle produit de la mort sans abri. Non seulement des morts vagabonds, tels des fantômes, mais un esprit de nihilisme. Ce qui est suspendu, ce n’est pas le deuil comme tel, mais une part déterminante : le partage concret du réel qui participe du deuil, de son processus nécessaire de distanciation en regard du chagrin brut dans la part de l’altérité : celle des particuliers, du collectif, du devenir social comme de son antériorité. Celle de la mort.
C’est en plongeant dans ces temps culturels du deuil16, en remontant mine de rien à ce qui contribue à nos libertés, de proche en proche, que l’on situe la mort comme limite. Comme toute limite, le principe de finitude qui l’enchâsse n’est pas que frustrant. Idem pour l’expérience pandémique. La limite — que signale la mousse — nous aide à discerner, à borner, certes, mais aussi à border de souci affectueux, oui (encore rappel du dernier Récit). Et à nous constituer comme êtres, à la fois singuliers, aimés, aimant et reliés à maints univers de sens si féconds. Dans le désir de l’être.
© Luce DES AULNIERS, professeure-chercheure
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Notes
- WALLACE, Bronwen (2016). (1945-1989), «Vouloir dire», Lieu des origines, poèmes traduits par I. Miron, Le Noroit, 2016, 93 p., p. 13.
- LOCHAC, Emmanuel (2003). Le charbonnier des murailles, textes-aphorismes (1927-1957) réunis par P. PEUCMAURD, Montréal, L’Oie de Cravan, 31 p., p. 16. En dernière page : « Un vol de canards sauvages termine bien l’existence. »
- GODELIER, Maurice (2014). (dir.) La mort et ses au-delà, Paris, CNRS Éditions, Bibliothèque de l’Anthropologie, 413 p., p. 16, 40.
- JANKÉLÉVITCH, Vladimir (1977). La mort, Paris, Flammarion, Coll. «Champs, 475 p., p. 386.
- THOMAS, Louis-Vincent (1991). «L’homme et la mort», in POIRIER, Jean (dir.), Histoire des mœurs II, Paris, La Pléiade, 1659 p., p. 803.
- ZIEGLER, Jean (1975). « Ce que la mort détruit, ce qu’elle m’enlève d’une façon apparemment radicale, ce n’est donc pas mon existence, au sens strict, mais bien les moyens habituels, connus, identifiables, dont je dispose pour vérifier mon existence. » Les vivants et la mort, Paris, Seuil, 315 p., p. 21.
- Inspiré de : BAUDRILLARD, Jean (1976). L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 352 p.
- REY, Olivier (2008). Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit, Paris, Seuil, 336 p.
- DES AULNIERS, Luce (2009). La Fascination. Nouveau désir d’éternité, Québec, Presses de l’Université du Québec, 417 p.
- Moins que les étapes populaires forgées en notions-valises, les subtilités des modes de communication : GLASER, Barney, STRAUSS, Anselm L. (1965, rééd. 2005). Awareness of Dying, Chicago, Aldine Press, 305 p. Je le souligne… depuis 1981, d’expérience clinique et intellectuelle de mise en questionnement.
- The Lancet Commission on the Value of Death, January 31, 2021. La Commission propose une nouvelle posture devant la fin de vie relevant de l’ensemble des services sociaux et de santé, une meilleure implication des communautés et un soutien accru aux endeuillés. (Outre l’articulation d’une intégration pluridisciplinaire, ces objectifs présidaient à l’initiative des Études interdisciplinaires sur la mort... en 1980.)
- Dans son rapport du 5 mai 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait qu’à la fin de 2021, entre 14 et 17 millions de personnes étaient décédées du COVID-19, estimation largement plus élevée que les données colligées par les pays (6,8 millions, en janvier 2023, Statista.com; à date, on peut donc estimer que ce 17 millions est dépassé). Il s’agit de causes directes mais aussi indirectes, ces dernières étant liées aux impacts du débordement des services sanitaires sur les autres maladies. Selon l’OMS, outre les pays à faible revenu (4%) les pays à revenu moyen inférieur ont connu une surmortalité plus élevée (53%) que les pays à revenu élevé (15%) ou ceux à revenu moyen supérieur (28%) combinés (43%).
- Beaucoup demeure à dire sur cette figure d’étouffement, au propre et au figuré. Voir LDA, «Soigner : la part de la peur, entre respirations des commencements et des fins», in DRILLAUD, F., BOU ASSI, B., GALINAT, É. (dir.) (2022). «Prendre soin» de la vulnérabilité, Essais, Revue interdisciplinaire d’Humanités, École doctorale Humanités, Un. Bordeaux-Montaigne, No 18, nov. 2022, 182 p. p. 71-84. http://journals.openedition.org/essais/11183
- Pierre BOURDIEU (1980) souligne comment les situations de détresse, telle la mort d’une personne aimée, fondent le rite et ont « comme justification de dire ou de faire quelque chose plutôt que rien lorsqu’il n’y a rien à faire ou à dire. » Cette remarque semble pertinente en cette période qui s’inscrit dans une logique instrumentale de validation immédiate. Le sens pratique, Paris, Éd. De Minuit, 481 p., p. 161.
- DES AULNIERS, Luce (2020). Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Boréal, 348 p. Aussi pour la genèse du phénomène rituel, la différence entre rituel et rite, les mouvements contemporains et une proposition de rite de passage de la mort.
- Une première version, orale, de ce texte, se trouve sur un document vidéo capté par la Chaire Jean-Monbourquette lors du Colloque Pour une humanisation de l’accompagnement des personnes endeuillées. Perspectives post-pandémiques, LDA, Conférence «Ce que le temps des cultures nous apprend des deuils», U. Montréal, 19-20 mai 2022. La présente, adaptée, bénéficie de la révision de Madame Ghislaine Daoust.
Pour des images des mousses fleurissant sur les stèles en cimetières, voir le site web de la photographe Sylvie PINSONNEAULT, dont une œuvre, «La fenêtre» (2016) encadre l’ensemble des Récits intemporels de cimetières : www.spinsonneault.ca
WALLACE, Bronwen (2016). (1945-1989), «Vouloir dire», Lieu des origines, poèmes traduits par I. Miron, Le Noroit, 2016, 93 p., p. 13.
LOCHAC, Emmanuel (2003). Le charbonnier des murailles, textes-aphorismes (1927-1957) réunis par P. PEUCMAURD, Montréal, L’Oie de Cravan, 31 p., p. 16. En dernière page : « Un vol de canards sauvages termine bien l’existence. »
GODELIER, Maurice (2014). (dir.) La mort et ses au-delà, Paris, CNRS Éditions, Bibliothèque de l’Anthropologie, 413 p., p. 16, 40.
JANKÉLÉVITCH, Vladimir (1977). La mort, Paris, Flammarion, Coll. «Champs, 475 p., p. 386.
THOMAS, Louis-Vincent (1991). «L’homme et la mort», in POIRIER, Jean (dir.), Histoire des mœurs II, Paris, La Pléiade, 1659 p., p. 803.
ZIEGLER, Jean (1975). « Ce que la mort détruit, ce qu’elle m’enlève d’une façon apparemment radicale, ce n’est donc pas mon existence, au sens strict, mais bien les moyens habituels, connus, identifiables, dont je dispose pour vérifier mon existence. » Les vivants et la mort, Paris, Seuil, 315 p., p. 21.
Inspiré de : BAUDRILLARD, Jean (1976). L’échange symbolique et la mort, Paris, Gallimard, 352 p.
REY, Olivier (2008). Une folle solitude. Le fantasme de l’homme auto-construit, Paris, Seuil, 336 p.
DES AULNIERS, Luce (2009). La Fascination. Nouveau désir d’éternité, Québec, Presses de l’Université du Québec, 417 p.
Moins que les étapes populaires forgées en notions-valises, les subtilités des modes de communication : GLASER, Barney, STRAUSS, Anselm L. (1965, rééd. 2005). Awareness of Dying, Chicago, Aldine Press, 305 p. Je le souligne… depuis 1981, d’expérience clinique et intellectuelle de mise en questionnement.
The Lancet Commission on the Value of Death, January 31, 2021. La Commission propose une nouvelle posture devant la fin de vie relevant de l’ensemble des services sociaux et de santé, une meilleure implication des communautés et un soutien accru aux endeuillés. (Outre l’articulation d’une intégration pluridisciplinaire, ces objectifs présidaient à l’initiative des Études interdisciplinaires sur la mort... en 1980.)
Dans son rapport du 5 mai 2022, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) estimait qu’à la fin de 2021, entre 14 et 17 millions de personnes étaient décédées du COVID-19, estimation largement plus élevée que les données colligées par les pays (6,8 millions, en janvier 2023, Statista.com; à date, on peut donc estimer que ce 17 millions est dépassé). Il s’agit de causes directes mais aussi indirectes, ces dernières étant liées aux impacts du débordement des services sanitaires sur les autres maladies. Selon l’OMS, outre les pays à faible revenu (4%) les pays à revenu moyen inférieur ont connu une surmortalité plus élevée (53%) que les pays à revenu élevé (15%) ou ceux à revenu moyen supérieur (28%) combinés (43%).
Beaucoup demeure à dire sur cette figure d’étouffement, au propre et au figuré. Voir LDA, «Soigner : la part de la peur, entre respirations des commencements et des fins», in DRILLAUD, F., BOU ASSI, B., GALINAT, É. (dir.) (2022). «Prendre soin» de la vulnérabilité, Essais, Revue interdisciplinaire d’Humanités, École doctorale Humanités, Un. Bordeaux-Montaigne, No 18, nov. 2022, 182 p. p. 71-84. http://journals.openedition.org/essais/11183
Pierre BOURDIEU (1980) souligne comment les situations de détresse, telle la mort d’une personne aimée, fondent le rite et ont « comme justification de dire ou de faire quelque chose plutôt que rien lorsqu’il n’y a rien à faire ou à dire. » Cette remarque semble pertinente en cette période qui s’inscrit dans une logique instrumentale de validation immédiate. Le sens pratique, Paris, Éd. De Minuit, 481 p., p. 161.
DES AULNIERS, Luce (2020). Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Boréal, 348 p. Aussi pour la genèse du phénomène rituel, la différence entre rituel et rite, les mouvements contemporains et une proposition de rite de passage de la mort.
Une première version, orale, de ce texte, se trouve sur un document vidéo capté par la Chaire Jean-Monbourquette lors du Colloque Pour une humanisation de l’accompagnement des personnes endeuillées. Perspectives post-pandémiques, LDA, Conférence «Ce que le temps des cultures nous apprend des deuils», U. Montréal, 19-20 mai 2022. La présente, adaptée, bénéficie de la révision de Madame Ghislaine Daoust.