« Vire-vent et abri de ma peine », Cimetière du Mont-Royal, prise dans l’une des trois sections* destinées aux enfants, celle-ci établie pour les moins d’un an par le Centre Hospitalier Universitaire Sainte-Justine, dite Pour l’amour des enfants, Montréal.
Pourquoi l’ensevelissement des restes des enfants est-il une constante historique, au moins en Occident ? Sous quels traits ? À quoi la pratique viendrait-elle répondre ? Quelles en sont les figures contemporaines ?
Récit 18
« … Vous découvrirez un jardin d’enfants plus émouvant que tous les crépuscules. (…) Bernard CLAVEL, 19771
« Mais je dis qu’on a tout un bout de l’enfance à reprendre Marie LABERGE, 19702 |
Écrire : « mon », notre enfant, mes... aussi ET tant, nos enfants.
À chaque lectrice, chaque lecteur, et parmi eux, ceux qui ont mis en terre un être de leur progéniture. Ce parent qui a pu jardiner avec cet être-là, tantôt dans le papoose, repu et abandonné ou encore, le nez en l’air, tantôt lui montrant à planter : et lui, cet indocile apparent, de ses petites mains ravies du mélange de l’eau avec la terre…
Une fois qu’un adulte a déposé les restes physiques de son petiot en terre, cette dernière ne peut définitivement plus équivaloir à une simple plantation, fût-elle réjouie. Se peut-il que ce qui s’apparente à cet acte ne soit justement pas qu’atterrant? Enfin, pas constamment? Et pas pour toujours?
« La terre comme un abri, ô mon enfant! »
-------------------------
On les entend s’interpeller dans les ruelles, s’extasier, se fâcher, rigoler. Dans la cour d’école pas loin. Et le parent désenfanté3 se retrouve au cimetière, dans ce bruissement d’arrière-scène, en cette sorte d’acouphène affectif qui alterne avec le son nu du silence.
Et là, l’oppression-peine, assumée, peut se métaboliser. Sans témoin, sans explication performative. Sans rien d’autre que les pépiements des mésanges et de leurs acolytes.
On y entend aussi, à peine murmuré : « Mon oiseau, mon ciel plombé d’hiver éternel, mon ciel parfumé d’été, mon petit, trop petit parti, trop vaillant — trop, mais cela se peut-il ? — pour les forces vitales qui t’étaient données, si prolixes et si ingrates… Quelle abominable étrangeté que cette désertion de l’existence, de la nôtre. De la tienne et de ses promesses… »
Et tant de circonvolutions entre les gris et les bondissements de coloris. Respirez, parents.
-------------------------
Il se peut que les carrés d’enfants soient les plus fréquentés. Ils n’ont pas non plus à exister absolument. Puisqu’en visitant les cimetières, rien qu’aux datations des épitaphes, on reconnaît bien les bébés, çà et là, sous le tertre des devanciers, et puis les petits qui tenaient à peine sur leurs jambes pourtant partantes : tous ces surpris de la Faucheuse.
On devine les regards clairs de leurs entendements secrets, et ceux, plus rares, enterrés au flanc de leur maman. Ainsi, remontant à –10 000 ans, cette remarquable double sépulture d’une jeune femme avec son nouveau-né, son bras droit l’entourant. De la poudre d’ocre rouge ainsi que les vestiges d’une aile de cygne ont été découverts sous le bébé, et, tout autour, des pendeloques en dents de cerf et de sanglier et un outil de silex4.
On sait de toutes les manières le pincement au cœur, en tranchée intime ou, par association, en gouffre avec les premiers affligés.
Mais quoi d’autre ?
Vire-au-vent imprévu du désir d’enfant,
la brièveté entre naissance et mort5
La naissance et la mort sont des advenues qui structurent nos existences entières.
L’existence ne relève pas uniquement de notre naissance et de notre mort en propre, mais de celles qui pulpent les rencontres essentielles. Naissances et morts orientent et déterminent même en une certaine part nos choix de métiers, d’activités, nos prédilections comme nos désirs secrets. Et puis naître et mourir ici ou là a de l’importance puisque ces passages nous emmènent dans l’altérité : celle-ci emprunte à l’origine le visage de l’adulte aimant et, à la fin, irrémédiablement, la figure de l’Inconnu, en sa vastitude indéfinie.
Le rapprochement temporel de ces deux advenues — naissance, mort — donnerait beaucoup à ressentir à un petit être. Quelles volutes en émaneraient pour lui ? Qui pourrait répondre ?
Et pour les parents ? Je n’en traiterai pas directement. Seulement, si on admet que, inconsciemment, mettre des enfants au monde procure le sentiment de déjouer la mort en y trouvant une étoile d’immortalité ou de survie symbolique, leur mort s’avère déjà sur ce plan une cruelle ironie, une dévastation de ce qui fait de nous des sujets.
Car « un enfant est le support de nos espoirs, ceux qui nous ont soutenus pendant le temps de notre vie, ceux qui nous ont failli et auxquels nous avons failli. La disparition de l’enfant, tout à la fois signifiant et support de l’imaginaire, entraîne le parent dans la recherche pénible, douloureuse, de celui qui vient de disparaître et de ce qu’il a entraîné avec lui. (…) De même que l’infans maîtrise l’absence par ses premières verbalisations, de même l’endeuillé aura recours à ses capacités de symbolisation afin d’admettre la réalité de la perte6. »
« De même » : beaucoup de parents recourent à l’analogie avec leur bambin, ainsi dans leur propre développement vital à assumer désormais, certes différent du petit. En fait, en s’appuyant sur une représentation, une idée ou une correspondance le plus fidèle possible au souvenir en soi, et de ce à quoi leur petit fut convoqué : ainsi bravoure, et en sus, bravoure innocente. Mourir, mort qui éduquent… Si bien qu’admettre pas à pas la réalité de la perte dans l’ordinaire des jours n’est pas obturer l’existence de l’enfant pour la réalité psychique du parent. Contrairement à un argument courant, « le concret » ne résume pas tout le réel.
Mais il y a davantage, au fil de ce récit. Comment se crée un point de jonction entre ces deux réalités, celle, empirique, de l’absence irrémédiable et celle, psychique, d’une présence autre, étonnante et intraduisible ? La tombe au cimetière, issue du terreau collectif, devient ce point de jonction palpable : elle symbolise d’emblée le désir du parent de symboliser cette perte. En ouvrant la pluralité des existences.
De la sorte, la conjonction de ces deux réalités — empirique et psychique — vient entre autres atténuer avec le temps cette déréliction du parent qui le fait se sentir hors de la vie : en reconnaissant en ce lieu des morts l’histoire de tant d’êtres, sise en notre monde bien tangible ; en y repérant à l’occasion un élément du paysage inaperçu ou évolutif. Cela ne prétend pas consoler, mais mine de rien, allège. En quoi ?
C’est en envisageant la profondeur de ce champ que l’on peut percevoir ce qui suit.
La naissance et la mort sont aussi les deux événements qui transcendent la vie en société.
Transcender : non seulement dépasser l’occurrence d’une situation, d’une émotion, en les déposant dans un registre plus large, englobant, mais les transborder en des zones de significations qui ne soient pas familières : en ouvrant à l’altérité. Pour tout être, pour toute société. Naissance et mort, imparables lois du vivant, deviennent intrinsèquement et selon les contingences générateurs universels de gestes qui traduisent le souci de l’autre en tous domaines (domestique, institutionnel, spirituel, politique, économique) : dans le meilleur des cas, ce souci se distille au long des existences. De le savoir, de le ressentir, cela importe, car tout parent ne peut l’oublier. Cela nous lie.
Or, que penser quand la naissance et la mort, encore ici, se catapultent dans le court-terme, quand le fœtus est non viable, quand l’enfant qui nait est inanimé, quand la vitalité du petit est entamée par le handicap majeur ou l’atteinte virale jusqu’à l’emporter, quand, grandissant, elle est happée par l’accident ou un mal insidieux ou encore par une absurde déflagration de violence ?
Les sociétés sont alors bien obligées de multiplier les affûts : des conditions de naissance et de mort, des aidants délicats, et évidemment, à l’adresse des mamans et des papas, de la fratrie, de la parentèle et de celles et ceux qui aiment autour, parfois sans statut entérinant cette affection. Afin que l’affliction ne les emporte pas à leur tour, surtout les premiers…
Et sans doute contribuant encore ici à cette revitalisation, les cultures sont intimées de veiller sur les formes de « nidification » pour ces enfants, aussi les leurs : l’inhumation, la dernière gestuelle du rituel funéraire, aussi la première du rituel du souvenir. Parmi toutes, celle-là est sertie de tendresse. Même paradoxalement rude. Et aussi, même si la perte du petit enfant ne perturbe pas pareillement les groupes sociaux, les tombes d’enfants demeurent le grand invariant de cette vibration reconnaissable en toutes cultures.
L’interprétation des évolutions culturelles
des affectivités : à nuancer
On attribue souvent aux sociétés préhistoriques, antiques et même médiévales, une certaine indifférence publique et privée — quand ce n’est une désensibilisation — relative au destin enfantin, en raison du haut taux de mortalité infantile, des conditions d’existence peu amènes, d’une salubrité bancale ou d’une nombreuse progéniture7. Cet a priori de réception, certes sur des faits épidémiologiques avérés, mérite d’être réexaminé.
Ainsi, la prudence s’impose dès lors que l’on parle de l’évolution culturelle du deuil. Par exemple, toute manifestation de l’émotion éprouvée en public ne présume pas de l’expérience globale, quoiqu’en prétendent réseaux sociaux et commentateurs. Pourquoi ? Parce que la teneur des espaces psychique et mental — celle des liens affectifs et de leurs ressorts — est largement soustraite aux observations, études archéologiques, historiques et anthropologiques. Religieuses, psychologiques. Même aujourd’hui. Tant et si bien que le fait de minimiser l’impact affectif du décès à l’adresse des sociétés anciennes me semble un biais d’interprétation à partir d’indices matériels ou autres, forcément incomplets8. À la limite, on y trouve un biais cognitif « d’époquo-centrisme » par lequel nous apposons nos propres références sur les autres sociétés (ethnocentrisme), ici, pour d’autres périodes.
On ne peut donc statuer à propos du vécu du deuil parental (ou autre) sur la base de sa représentation publique. On peut cependant tirer de cette dernière des fragments signifiants dans la grande fresque de l’événement de la mort. En effet, le deuil social ne répond pas aux mêmes fonctions et ne se manifeste pas de la même manière que le deuil intime, même si la portée du deuil social contribue à la métabolisation subjective au long cours : le rituel social admet la réalité autant de la perte que du chagrin ; il contient ce dernier, afin qu’il ne désagrège pas les groupes et leurs membres ; il soutient en large part dans la recherche d’un quelconque sens. Mais il ne peut pas tout traduire directement, du moins du point de vue des affligés.
Certes, les morts peuvent être répercutées dans une signalétique publique, visible et souvent pérenne : ces marques reflètent notamment la volonté des survivants de commémorer cette perte, autrement dit en n’étant pas seuls à se souvenir. Car ce que l’on redoute de cette solitude, entre tremblement, gêne et même effroi de l’oubli se trouve quelque peu atténué par cette signalétique publique, telle une bouteille lancée à la mer de tous ces ex-vivants, ne serait-ce que rappelés en mémoire à ce titre.
En sus, « les rites et manifestations extérieures du deuil (veillées des morts, funérailles, port du deuil) n’effacent pas la douleur. Ils ne font que [sic] signifier à la société que là se trouvent des parents en deuil, qui peuvent “souffrir en paix”9. » Ils désignent et respectent cette zone de métabolisation mouvante au creux des affects.
Dès lors, ces marques de considération de la brèche introduite par la mort ne jaugent pas la teneur de cette souffrance, pas davantage qu’elles ne présument des liens entre les êtres ou ne les généralisent. Elles sont reconnues pour indiquer le statut contributif social (sous des critères variables non discutés ici) de l’être décédé (et les moyens financiers, langagiers, etc., de son entourage) et ce, sous réserve d’initiatives qui ne furent pas recensées. Pour autant, recensées ou non, ces traces ont été et demeurent tributaires des supports de conservation autant des restes que de la mémoire.
C’est dire encore comment les marques de passage sont en bonne part liées à l’état des techniques d’expression (écriture, iconographie, imprimerie et logiciels) et de communication (percussions, criée, encarts, notices nécrologiques, diffusion numérique). Or, le recours à un large éventail de moyens techniques à cet effet — c’est le cas à notre époque — ne signifie pas non plus que la mise en scène des affects qu’ils exposent à bon escient traduit la totalité des manques personnels laissés par l’absence. Prétendre que nous aurions à leur confier cette totalité expressive serait répondre à une injonction sociale conformiste du même ordre que ce que nous serinent les diktats religieux ou ceux, néo-religieux, des modes psycho pop bien mises en marché.
Ce constat à la fois réservé et ouvert implique que le frémissement réflexif devant une sépulture d’enfant tient en points d’interrogation. Par-delà l’identité du petiot, s’inscrivent en pointillés des indices à propos d’une société, dans ses pratiques, ses représentations et croyances, ses institutions. L’identité sociale de l’enfance peut en filtrer. Sa place dans la courbure du temps culturel. Et de toutes les manières, l’importance de la filiation, instinctive, commune, et modulable pour chaque société.
Au fond, dans le signalement universel de la sépulture, loge la persistance symbolique de l’humanisation des êtres — faut-il que l’enfance nous le rappelle ? — comme du lignage.
Les marques de tendresse autour des sépultures d’enfants, réelles et néanmoins réglées
L’organisation spatiale : lieux spécifiques ou rapatriements familiaux ? Ou bien… ?
Si on se fie à l’Antiquité (entre –4-5 millénaires et les 5 premiers siècles de notre ère), du moins celle du monde gréco-romain, les enfants sont systématiquement inhumés, même dans les sociétés où se pratique la crémation. Leurs sépultures sont disséminées entre divers ensembles funéraires : en dominante en nécropole et, de là, entre d’un côté, espaces généraux et, de l’autre, espaces spécialisés, ces derniers regroupant de manière caractéristique les tout-petits (surtout avant 6 mois, les « périnataux ») ; il s’en trouve aussi parmi eux dans l’emprise des espaces domestiques ou artisanaux ou dans leur périphérie. Ces deux dernières modalités existaient depuis l’âge du Fer (entre –800 ans et +150), traduisant le souci de rallier les dépouilles néonatales dans des univers différents de ceux qui étaient dévolus aux « grands » (du moins jusqu’à l’âge de 7-8 ans, âge-tournant dans l’enfance, souci ressorti très tôt dans l’histoire collective, et qui fera rapprocher le traitement de ces jeunes morts de celui des adultes). Ce phénomène de regroupement des petiots peut se comprendre en partie dans la surmortalité des tout-petits avant un an, et parmi eux, dans la première semaine et le premier mois, le tout demeurant fondé sur des données plutôt friables.
Par la suite, les trois religions monothéistes, en gagnant des fidèles, ont pu contribuer à un rapatriement, même inégal, dans des ensembles funéraires communautaires : ce regroupement se voulait emblématique de la foi religieuse, notable en monde chrétien.
En effet, à partir du moment où l’Église catholique détermine significativement le domaine de la mort (12e siècle, voir Récit 15), s’inaugure la pratique sélective de l’enterrement des enfants en terre bénie ou sacrée, selon qu’ils aient été, ou non, « lavés » du péché originel par le baptême. Les dépouilles des petits non baptisés se retrouvent littéralement dans les limbes : ces dernières leur épargnent néanmoins de devenir des êtres de nulle part, des revenants, augure d’un deuil bancal. Ils sont relégués aux limites du cimetière, parfois à l’extérieur tandis que leurs congénères bénis de l’eau lustrale se répartissent près de l’édifice du culte ou sont regroupés dans une section désignée du cimetière. Toutefois, autant dans le vieux continent que dans les territoires conquis, ces règles n’étaient pas systématiquement respectées jusqu’à leur abolition, à la fin du 19e siècle.
Dès lors, et jusqu’au 20e siècle, les parents catholiques cherchaient à ce que leurs enfants reçoivent ce premier sacrement au plus tôt après leur naissance, quitte à ce qu’ils soient simplement ondoyés (à partir du 11e siècle, ce baptême d’urgence). De leur côté, les non-baptisés protestants, puis anglicans, bénéficiaient de la miséricorde divine10.
-------------------------
En somme, en examinant quelques réalités archéologiques et socio-historiques, on ne saurait délimiter clairement ce qu’on présume être l’évolution des mentalités, en lançant des demi-vérités : par exemple, lorsqu’on attribue d’abord le regroupement spécifique des petits en micro-cimetière à des époques où le cimetière était davantage associé à un espace communautaire ; aussi, lorsqu’on explique la sépulture des petits dans le lot de la lignée par le resserrement des identités familiales ou encore, par une affectivité aiguisée à l’endroit des enfants. Or, à chaque époque, toutes ces formes ont existé, même si le culte domestique des restes miniaturisés est une « invention » du 21e siècle.
Bref, de nos jours, la fragmentation sociologique du sort des restes fait en sorte qu’un enfant décédé sera mieux assuré d’une sépulture si le cimetière de proximité se dote d’un espace spécifique. Émergent ainsi de plus en plus des carrés et monuments dévolus à l’enfance11, comme l’indique la photographie qui ouvre ce récit : à la plaque signalétique usuelle, davantage pérenne, on a adjoint un montage artisanal qui témoigne à la fois de l’esprit d’enfance créatif et de l’affection portée à ce petit être. L’aisance démocratique du geste bricolé s’inscrit dans l’esprit de notre temps : la privatisation des liens, le souvenir que l’on souhaite léger, la diversification affichée des subjectivités. La poésie des liens et du destin, multimillénaire, varie ainsi ses modalités et ses formules, ici en partie dégagées de la pierre.
Quelques gestes funéraires, objets de rituels ou de support rituel pour l’avenir
Ne sont relevés ici que quelques-uns des facteurs les plus éloquents contribuant à une longue construction culturelle des gestes de tendre ferveur pour les enfants et leurs traces, en gardant ceci à l’esprit : « C’est ainsi peut-être cette variabilité qui fait la spécificité du traitement funéraire des très jeunes enfants ; les pratiques funéraires les concernant n’entrent pas dans un système figé et uniforme, mais traduisent un ensemble de principes et de fonctions en constant réexamen au sein de chaque groupe. Il nous paraît toutefois peu fondé d’en déduire que les jeunes enfants ont un statut social imprécis12. »
Les sépultures et leur signalisation-inscription
L’inhumation entraîne d’emblée la présence d’une ritualité, encore ici, sociale. Elle existe à l’état minimal dans beaucoup de sociétés à initiation (l’âge y variant entre 7 et 12 ans), vu que l’enfant moins âgé n’a pas encore acquis de statut civique. Pour autant, son entrée dans le monde des vivants est accueillie par le premier bain rituel (repris dans le baptême chrétien) et la dotation du surnom (devenu prénom) dans les premiers jours suivant la naissance, insigne de sa première référence socio-affective, le lignage. Jusqu’au début de notre ère, même si les estimations archéologiques des âges demeurent imprécises, le petit décédé en période périnatale, emmailloté, est déposé en fosse rudimentaire, parfois en jarre, tandis que le nourrisson plus âgé et les suivants sont enveloppés d’un linceul. Par la suite, les classes d’âge se précisent, entre 1 ou 2 ans jusqu’à 7 ans, puis 12-15 ans, cette césure se vérifiant dans de multiples sources médiévales, et en chemin, les modalités d’ensevelissement s’approchant de celles des adultes. Par exemple, l’usage du cercueil, ce meuble de bois servant déjà dans l’Antiquité à la fois au transport et à l’ensevelissement, s’est généralisé au 18e siècle.
De son côté, l’inscription, hésitante (mais réelle) dans la Mésopotamie de l’écriture (plus de trois millénaires avant notre ère), se démocratise dès l’Antiquité romaine, en raison des exigences de l’administration civile (les naissances sont enregistrées) : elle relève le prénom. De la sorte, l’événement de la mort est signifié socialement par l’épitaphe, ce premier code de la personnalisation (Récit 15). En sus, le texte emprunte parfois la voix de l’enfant, le plus souvent celle du parent, en évoquant la précarité de l’existence et le risque de tout attachement13.
À cet égard, en lien avec l’instauration d’une règlementation générale d’ordre public, et donc politique, la codification du deuil s’affirme dans la ligne de la distribution des rôles sociaux de genre (dit alors : selon le sexe) et cantonne l’expression du chagrin dans la sphère privée. Si le deuil fut toujours intime, le mouvement des générations a toujours été salué par le groupe, du fait que — rappelons-le — vie et mort le transcendent ; pour que cet écart transcendantal soit possible, la communauté doit instaurer un cadre de vigilance, veillant entre autres à contrer le désordre introduit par l’advenue de la mort, même celle socialement moins perturbatrice des enfants. (Mais encore faut-il admettre l’irruption de cette suprême Altérité et non pas l’ignorer ou la banaliser.)
Les viatiques au sein de la sépulture
Coutumières mais davantage proches d’une ritualisation privée sont les offrandes ou les viatiques, ces objets investis du pouvoir de sécuriser « l’esprit » du petit défunt dans son cheminement vers un autre état. Rares pour les petiots de la périnatalité (un exemple loge au début de ce récit), ils se retrouvent volontiers chez les nourrissons âgés de plus de six mois, sous forme de vases. Cette pratique multimillénaire, notamment sous formes anthropomorphiques d’amulettes, s’est raréfiée au 2e siècle, pour revenir au 3e.
Au Moyen-Âge, il arrive de retrouver des objets communs, tels des gobelets et des perles en céramique, et vers l’âge de 3 ans, avec des distinctions selon le genre féminin ou masculin. Par suite, maintes tombes contiennent des médailles religieuses et, plus rarement, des jouets miniatures. (On y reviendra au Récit 19).
Hors terre : Les monuments : qu’est-ce qui est associé à l’enfance ?
En général, les monuments destinés aux enfants sont plus petits que pour les adultes, y compris au Québec14. Ils présentent parfois le portrait de l’enfant, depuis la Rome de notre ère. Les motifs comportent le plus souvent une croix, un agneau et, au 17e siècle, des angelots15. Il n’est pas rare de trouver une sculpture représentant un être jeune, oscillant entre mine grave et visage serein, si ce n’est souriant16. Et récemment, on a vu des cœurs et même des personnages enfantins de culture populaire. Les peluches s’y sont aussi invitées, réitérant la remarque émise plus haut sur le «monument» éphémère.
Pourquoi les carrés d’enfants ?
Le premier motif est macroscopique et relève de l’instinct de préservation de l’espèce, singulièrement aigu chez les sociétés de subsistance, mais qui irrigue le principe même de transmission : « La valorisation de la fécondité et de la procréation, perceptibles dans les sources littéraires et normatives, évoque (…) une société très attentive à son avenir et au renouvellement des générations17. »
Cela, évidemment sans épingler les êtres qui rencontrent d’autres modalités de création que la procréation : on pourrait croire que si cet instinct général de vie de la planète et de ses habitants a pu s’ébrécher depuis l’Anthropocène, il reprend de la vigueur.
Ainsi le souci actuel des lieux dévolus aux enfants morts ne relèverait pas que d’une sensibilité individuelle portée aux nues, mais d’une conscience transhistorique et transculturelle. (Reste à savoir à quel degré.)
Si on regarde maintenant du côté de l’affectivité qui frémit le long de l’échine multimillénaire de cette humanisation, on peut émettre l’hypothèse que le regroupement des petites tombes atténuerait ce sentiment d’impuissance si poignant. Dans la foulée, y logerait la fantaisie d’une chaleur gazouillante ou trépidante entre enfants. Pour que la cruauté de cette mort-là soit un tant soi peu atténuée pour les proches, alors bien obligés de ne pas enclaver en solo la réalité : non pas tant de la relativiser que de l’imaginer mutualisée dans cet art de la pure accommodation enfantine.
Et là, la mutualité entre grands emprunterait le sens de la découverte de l’enfance, autre manifestation de l’impulsion de survie que nous soupirent nos enfants disparus, si tant est qu’elle soit nourrie. Il y va du mouvement, des premiers pas émouvants auxquels chaque parent est si attaché concernant sa progéniture.
En effet, se rendre à ce si singulier jardin d’enfance fait en sorte que la fratrie et les parents redessinent psychiquement les traces du petiot. Marcher vers ce point de jonction entre vérité physique et vérités intérieures liées devient alors une manière qui n’est pas que corporelle et sensitive de lui répondre, à lui qui nous offrait candidement ses barbouillis et dessins. Elle aiderait à marcher plus justement son propre parcours.
Bouger son corps donne corps et possibilité d’évolution à la vie relationnelle, laquelle — ce n’est pas non plus une trouvaille post-moderne — ne se trouve pas diluée avec la mort. Et que les restes du corps fragilisé à l’extrême de cet être fassent « corps avec » les restes des autres n’est pas désacraliser le lien avec son petit, même si on l’a porté dans la vasque de son propre corps. C’est le remettre en autres mondes.
L’enfance, c’est alors elle qui nous borde.
Il n’empêche en réciprocités assumées de faire retentir cet élan généreux. Par exemple, au pourtour du carré des anges des cimetières en pays relativement paisibles, pourrait-on concevoir un mémorial quelque peu réparateur sur le plan symbolique — plaque ou sculpture, je ne sais — pour ces milliers d’enfants enterrés à la va-vite près des camps de réfugiés, pour ces petites dépouilles jamais réclamées en temps de guerre, simplement signalées par un bout de gravats ?
Qu’ils bénéficient d’un lieu de sépulture au moins métaphorique, en guise de doublon solidarisé de nos affections. Doublon qui rendrait ces affections plus radieuses?
Luce DES AULNIERS, professeure-chercheure
Télécharger la version PDF de cet article
Notes
- CLAVEL, Bernard (1977). Fleur de sel (photographies de Paul MORIN), Éd. Du Chêne, 332 p., cité par journal Ouest-France, 1.11.2014. La «bonne sœur» dont il est question est l’une des religieuses (Sœurs de la Charité de St-Vincent de Paul) qui prenait soin des enfants dans l’orphelinat d’où proviennent la majorité des sépultures. Peu de renseignements filtrent sur les causes de ces mortalités. On aura aussi compris qu’il ne s’agit pas de tombes de pensionnat, encore moins anonymes. Toutes portent les prénoms, l’âge et les dates.
- LABERGE, Marie (1970) (la poète, et non la romancière). « Glas et verglas X », Soleil d’otage, Québec, Éditions Garneau, p. 47, 80 p.
- Le terme «désenfanté» est devenu courant depuis les années 1990 pour indiquer le deuil vécu par un parent. Son attribution varie selon les auteurs. Il fallait trouver un terme équivalent inversé à «orphelin» mais qui désigne cette fois le chaos dans l’ordre naturel des choses. Il me semble désigner non seulement la perte d’un enfant, dans toute sa complexité, mais aussi la perte du privilège de poursuivre une lignée, au moins par cet être-là. Considérant le privilège, je ne souscrirais pas à une indifférenciation entre les hommes et les femmes, parce que le principe de leur différenciation est anthropologiquement le fondement de leurs rapports, pour le meilleur et pour le pire : notamment à partir du privilège d’enfanter, féminin, conduisant à une «asymétrie native des sexes», sans égard au genre. Ce qui oriente le deuil. Voir SCUBLA, Lucien (2014). Donner la vie, donner la mort. Psychanalyse, anthropologie, philosophie, Lormont, Le Bord de l’eau, 371 p.
- Au Danemark, dans les années 1970, double sépulture datant de –10 000 ans (Mésolithique), quelque 15 000 ans après les premiers regroupements. PERPÈRE, M., de THOURY, S. (1979). « La dernière demeure de l’homme préhistorique », in GUIART, Jean (dir.). Les hommes et la mort. Rituels funéraires à travers le monde, Paris, Le Sycomore & Museum national d’histoire nationale, pp. 316-328 (photo p. 325), 331 p.
- Lors de la période néolithique (-6500 à -4000), un enfant sur deux n’atteignait pas la puberté.
- RIMBEAULT, Ginette (1996). Lorsque l’enfant disparaît, Paris, Odile Jacob, p. 238, 244, 276 p.
- Depuis les années 1970, j’ai eu l’occasion de discuter cette question et de la documenter, en termes littéraires et de récits de mamans. Par exemple, cette riveraine du Saint-Laurent, de 75 ans, qui avait donné naissance à dix-sept (17!) enfants, dont un décédé à deux ans, me contant, les larmes aux yeux : «... Je pense à lui à chaque jour... » Sans généraliser cette sensibilité, il nous faut prendre garde à la relativisation de la perte eu égard à la nombreuse fratrie, voire à la banalisation de cette épreuve qui demeure singulière.
- Les avancés du pionnier Philippe ARIÈS (L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime [16e-18e], 1973 [1960] Paris, Seuil, 503 p.) et autres sur la tiédeur du sentiment maternel (et parental) et sur l’utilitarisme auquel on aurait réduit les enfants, ont été fortement discutés, exemple : ALEXANDRE-BIDON, Danièle, LETT, Didier (1997). Les enfants au Moyen-Âge, Vème-XVème siècles, Paris, Hachette, 275 p.
Voir également : HEYWOOD, C. (2001). A history of childhood: children and childhood in the West from medieval to modern times, Cambridge, UK; Malden, Mas. Polity Press, 240 p. - LETT, Didier (2006). « Comment faire le deuil d’un enfant mort à la fin du Moyen Âge? », in HANUS, Michel (dir.) La Mort d’un enfant. Fin de vie de l’enfant, le deuil des proches, Paris, Vuibert, pp. 19-26, p. 23, 368 p. Voir le chapitre que le pionnier M. HANUS consacre à L’enfant qui n’est plus, synthèse dans le fil du narcissisme du parent et de la pénibilité singulière de la perte d’un tout-petit que le parent n’a pu encore désidéaliser, à cause de son âge. (pp. 9-18).
Aussi à considérer qu’au 19e siècle, l’enfant est devenu important parce qu’il augurait de la persistance de la bourgeoisie alors naissante, en Europe, à titre de futur héritier à charge. Et par ricochet, ailleurs, dans le monde, dans l’émergence d’une nouvelle économie politique. Cette focalisation sur l’enfant n’est pas sans importance dans la valorisation de la famille nucléaire. (Même si la famille au sens élargi de parenté est un point nodal (pré)historique en cultures, hors de la zone du capitalisme alors naissant. Le demeurant?) - En regrettant de ne pouvoir inventorier ici les pratiques selon les cultes autres. En même temps, serait-ce ainsi surdéterminer l’importance de toute religion officielle dans la structuration des pratiques d’ensevelissement des enfants? Alors même que l’inscription dans la structure sociale plus globale se joue, ainsi que de multiples zones de considération qu’esquisse ce Récit? Il ne s’agit pas non plus de la dévaluer.
- Dans de grands cimetières urbains ou ruraux, depuis le début du 21e siècle, au Québec et au Canada, on observe un nombre croissant d’espaces dévolus aux petits nés avant terme et aux bébés, dénommés différemment (surtout sous le terme consacré de «anges»). Il arrive qu’on intègre leur souvenir au sein de villages revitalisés : par exemple, à l’occasion du 150e anniversaire de la paroisse Sainte-Émilie de l’Énergie, dans Lanaudière, au Québec, en septembre 2022, un mémorial a été inauguré en souvenir des enfants de moins de cinq ans décédés et ce, depuis sa fondation. Aussi, fin 20e siècle, des cérémonies séquentielles de commémoration sont mises en œuvre par des associations et institutions de soins, religieuses ou funéraires.
- BLAIZOT, Frédérique, ALIX, Gersende, FERBER, Emmanuel (2003). « Le traitement funéraire des enfants décédés avant un an dans l’Antiquité : études de cas », Bulletins et Mémoires de la Société Anthropologique de Paris, 15 (1-2) 2003, pp. 49-77, p. 39. https://doi.org/10.4000/bmsap.560.
- Plus rare sur cette dernière évocation, la coutume s’est atténuée de nos jours : sans doute justement du fait de l’évolution sociologique de la vie familiale et de l’investissement singulier portant l’enfant en son centre, ce qui ne signifie pourtant pas que l’attachement à son endroit soit absolu. Voir M. HANUS, note 9 et les travaux de Françoise DOLTO.
- Répertoire du Patrimoine culturel du Québec, Ministère de la Culture et des Communications, Québec, « Monuments d’enfants morts en bas âge entre 1914 et 1960 », Patrimoine funéraire immobilier de la Capitale-Nationale, Cimetière Saint-Charles.
- En sus du Récit 11 : au 20e siècle, « cet ange n’est plus le «putto» de l’âge baroque, qui disparait pratiquement au début du 19e siècle : il retrouve, il est vrai, une certaine place à la toute fin du 19e et surtout au 20e siècle, mais dans un rôle bien défini : ange des tombes juvéniles, du carré des enfants, image et reflet de celui qu’on a perdu : «un ange au ciel», disent les inscriptions. À ce titre, le nouveau mobilier funéraire de série du 20e siècle lui rend une nouvelle chance historique. » Michel VOVELLE (1982). « L’imaginaire collectif des cimetières méridionaux », Monuments historiques, no 124 sur L’architecture et la mort, Décembre 1982 - Janvier 1983, pp. 9-26, p. 12, 108 p. Que penser du léger déclassement actuel de cette figure et par ailleurs de la profusion des anges décoratifs essaimant dans les quotidiens à la fin du 20e siècle?
- Sur ces monuments : CHABOT, André (2006). Les petites âmes mortes, (photos), N° 4, Belgique, coll. Carré Noir sur Fond Noir. Edition Koma-Mons, Maison de la Culture de Tournai, Carré Noir, 132 p.
- PEREZ, Émilie (2013). L’enfant au miroir des sépultures médiévales (Gaule, VIe-XIIe siècle), Thèse doctorale Histoire-Anthropologie, Université de Nice Sophia-Antipolis, p. 890, 1008 p. [PDF]
* EN COMPLÉMENT DE LA PHOTO D’OUVERTURE :
La plaque que le Cimetière Mont-Royal a dédiée aux enfants résume l’histoire locale de ces décès (et l’épidémiologie sous-jacente à ce Récit), et ce, bien avant l’instauration de la section du Centre hospitalier universitaire Sainte-Justine, consacrée à ceux de moins d’un an :
« Dans les premières années d’opération du Cimetière Mont-Royal [1852], il y avait plus d’enterrements d’enfants que d’adultes. Les jeunes enfants âgés de moins de deux ans étaient inhumés avec d’autres membres de leur famille dans de grands lots du cimetière mais les familles moins privilégiées ne pouvaient acheter que des petits terrains. Ce besoin a mené à l’ouverture de deux sections pour enfants. Une, à la section C 3 dans les années 1880, et cette section-ci [de la plaque], appelée G3, au début des années 1990. Plusieurs années plus tard, certains parents ont choisi d’être incinérés et enterrés ici avec leurs enfants. Les petits monuments pour commémorer les enfants étaient surtout des agneaux, des croix, des colombes et des bébés endormis.
Dans ce temps-là, beaucoup de décès survenaient à cause de l’eau et du lait contaminés et parce que les habitations étaient mal aérées [ ], les enfants mouraient alors principalement de maladies gastro-intestinales ou respiratoires : ils mouraient aussi de la diphtérie, de la méningite, de la scarlatine et d’autres maladies souvent fatales à l’époque. Le taux de mortalité infantile élevé à Montréal au 19e siècle a continué dans le premier quart du 20e siècle. Des nouvelles mesures telles que la filtration de l’eau et la pasteurisation du lait, les programmes de santé publique favorisant la vaccination, une bonne hygiène et une meilleure aération ainsi que l’avancement de la pédiatrie sont d’autant de facteurs qui ont permis à une majorité d’enfants d’atteindre l’âge adulte. »
CLAVEL, Bernard (1977). Fleur de sel (photographies de Paul MORIN), Éd. Du Chêne, 332 p., cité par journal Ouest-France, 1.11.2014. La «bonne sœur» dont il est question est l’une des religieuses (Sœurs de la Charité de St-Vincent de Paul) qui prenait soin des enfants dans l’orphelinat d’où proviennent la majorité des sépultures. Peu de renseignements filtrent sur les causes de ces mortalités. On aura aussi compris qu’il ne s’agit pas de tombes de pensionnat, encore moins anonymes. Toutes portent les prénoms, l’âge et les dates.
LABERGE, Marie (1970) (la poète, et non la romancière). « Glas et verglas X », Soleil d’otage, Québec, Éditions Garneau, p. 47, 80 p.
Le terme «désenfanté» est devenu courant depuis les années 1990 pour indiquer le deuil vécu par un parent. Son attribution varie selon les auteurs. Il fallait trouver un terme équivalent inversé à «orphelin» mais qui désigne cette fois le chaos dans l’ordre naturel des choses. Il me semble désigner non seulement la perte d’un enfant, dans toute sa complexité, mais aussi la perte du privilège de poursuivre une lignée, au moins par cet être-là. Considérant le privilège, je ne souscrirais pas à une indifférenciation entre les hommes et les femmes, parce que le principe de leur différenciation est anthropologiquement le fondement de leurs rapports, pour le meilleur et pour le pire : notamment à partir du privilège d’enfanter, féminin, conduisant à une «asymétrie native des sexes», sans égard au genre. Ce qui oriente le deuil. Voir SCUBLA, Lucien (2014). Donner la vie, donner la mort. Psychanalyse, anthropologie, philosophie, Lormont, Le Bord de l’eau, 371 p.
Au Danemark, dans les années 1970, double sépulture datant de –10 000 ans (Mésolithique), quelque 15 000 ans après les premiers regroupements. PERPÈRE, M., de THOURY, S. (1979). « La dernière demeure de l’homme préhistorique », in GUIART, Jean (dir.). Les hommes et la mort. Rituels funéraires à travers le monde, Paris, Le Sycomore & Museum national d’histoire nationale, pp. 316-328 (photo p. 325), 331 p.
Lors de la période néolithique (-6500 à -4000), un enfant sur deux n’atteignait pas la puberté.
RIMBEAULT, Ginette (1996). Lorsque l’enfant disparaît, Paris, Odile Jacob, p. 238, 244, 276 p.
Depuis les années 1970, j’ai eu l’occasion de discuter cette question et de la documenter, en termes littéraires et de récits de mamans. Par exemple, cette riveraine du Saint-Laurent, de 75 ans, qui avait donné naissance à dix-sept (17!) enfants, dont un décédé à deux ans, me contant, les larmes aux yeux : «... Je pense à lui à chaque jour... » Sans généraliser cette sensibilité, il nous faut prendre garde à la relativisation de la perte eu égard à la nombreuse fratrie, voire à la banalisation de cette épreuve qui demeure singulière.
Les avancés du pionnier Philippe ARIÈS (L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien régime [16e-18e], 1973 [1960] Paris, Seuil, 503 p.) et autres sur la tiédeur du sentiment maternel (et parental) et sur l’utilitarisme auquel on aurait réduit les enfants, ont été fortement discutés, exemple : ALEXANDRE-BIDON, Danièle, LETT, Didier (1997). Les enfants au Moyen-Âge, Vème-XVème siècles, Paris, Hachette, 275 p.
Voir également : HEYWOOD, C. (2001). A history of childhood: children and childhood in the West from medieval to modern times, Cambridge, UK; Malden, Mas. Polity Press, 240 p.
LETT, Didier (2006). « Comment faire le deuil d’un enfant mort à la fin du Moyen Âge? », in HANUS, Michel (dir.) La Mort d’un enfant. Fin de vie de l’enfant, le deuil des proches, Paris, Vuibert, pp. 19-26, p. 23, 368 p. Voir le chapitre que le pionnier M. HANUS consacre à L’enfant qui n’est plus, synthèse dans le fil du narcissisme du parent et de la pénibilité singulière de la perte d’un tout-petit que le parent n’a pu encore désidéaliser, à cause de son âge. (pp. 9-18).
Aussi à considérer qu’au 19e siècle, l’enfant est devenu important parce qu’il augurait de la persistance de la bourgeoisie alors naissante, en Europe, à titre de futur héritier à charge. Et par ricochet, ailleurs, dans le monde, dans l’émergence d’une nouvelle économie politique. Cette focalisation sur l’enfant n’est pas sans importance dans la valorisation de la famille nucléaire. (Même si la famille au sens élargi de parenté est un point nodal (pré)historique en cultures, hors de la zone du capitalisme alors naissant. Le demeurant?)
En regrettant de ne pouvoir inventorier ici les pratiques selon les cultes autres. En même temps, serait-ce ainsi surdéterminer l’importance de toute religion officielle dans la structuration des pratiques d’ensevelissement des enfants? Alors même que l’inscription dans la structure sociale plus globale se joue, ainsi que de multiples zones de considération qu’esquisse ce Récit? Il ne s’agit pas non plus de la dévaluer.
Dans de grands cimetières urbains ou ruraux, depuis le début du 21e siècle, au Québec et au Canada, on observe un nombre croissant d’espaces dévolus aux petits nés avant terme et aux bébés, dénommés différemment (surtout sous le terme consacré de «anges»). Il arrive qu’on intègre leur souvenir au sein de villages revitalisés : par exemple, à l’occasion du 150e anniversaire de la paroisse Sainte-Émilie de l’Énergie, dans Lanaudière, au Québec, en septembre 2022, un mémorial a été inauguré en souvenir des enfants de moins de cinq ans décédés et ce, depuis sa fondation. Aussi, fin 20e siècle, des cérémonies séquentielles de commémoration sont mises en œuvre par des associations et institutions de soins, religieuses ou funéraires.
BLAIZOT, Frédérique, ALIX, Gersende, FERBER, Emmanuel (2003). « Le traitement funéraire des enfants décédés avant un an dans l’Antiquité : études de cas », Bulletins et Mémoires de la Société Anthropologique de Paris, 15 (1-2) 2003, pp. 49-77, p. 39. https://doi.org/10.4000/bmsap.560.
Plus rare sur cette dernière évocation, la coutume s’est atténuée de nos jours : sans doute justement du fait de l’évolution sociologique de la vie familiale et de l’investissement singulier portant l’enfant en son centre, ce qui ne signifie pourtant pas que l’attachement à son endroit soit absolu. Voir M. HANUS, note 9 et les travaux de Françoise DOLTO.
Répertoire du Patrimoine culturel du Québec, Ministère de la Culture et des Communications, Québec, « Monuments d’enfants morts en bas âge entre 1914 et 1960 », Patrimoine funéraire immobilier de la Capitale-Nationale, Cimetière Saint-Charles.
En sus du Récit 11 : au 20e siècle, « cet ange n’est plus le «putto» de l’âge baroque, qui disparait pratiquement au début du 19e siècle : il retrouve, il est vrai, une certaine place à la toute fin du 19e et surtout au 20e siècle, mais dans un rôle bien défini : ange des tombes juvéniles, du carré des enfants, image et reflet de celui qu’on a perdu : «un ange au ciel», disent les inscriptions. À ce titre, le nouveau mobilier funéraire de série du 20e siècle lui rend une nouvelle chance historique. » Michel VOVELLE (1982). « L’imaginaire collectif des cimetières méridionaux », Monuments historiques, no 124 sur L’architecture et la mort, Décembre 1982 - Janvier 1983, pp. 9-26, p. 12, 108 p. Que penser du léger déclassement actuel de cette figure et par ailleurs de la profusion des anges décoratifs essaimant dans les quotidiens à la fin du 20e siècle?
Sur ces monuments : CHABOT, André (2006). Les petites âmes mortes, (photos), N° 4, Belgique, coll. Carré Noir sur Fond Noir. Edition Koma-Mons, Maison de la Culture de Tournai, Carré Noir, 132 p.
PEREZ, Émilie (2013). L’enfant au miroir des sépultures médiévales (Gaule, VIe-XIIe siècle), Thèse doctorale Histoire-Anthropologie, Université de Nice Sophia-Antipolis, p. 890, 1008 p. [PDF]