La métaphore du repos des morts a migré des cimetières vers le web. Repos, vraiment ? En quoi les pratiques techno-communicationnelles récentes contribuent-elles à des rapports à la mort, aux morts et au deuil qui ne soient pas que lustrés de leur « nouveauté », mais bien propices à une dynamique qui laisse des aires… de quiétude ?
Récit 9
« Quand je n’arrive pas à me rendormir, je vais sur son mur “in memoriam”. C’est bien commode, je peux visiter les pages d’hommages : des fois, je ne connais pas les gens qui lui parlent. (…) Le plus incroyable, j’écris ce qui me vient, je dialogue avec elle, comme je veux, quand je veux. Elle est vivante. J’ai l’impression qu’elle me comprend, vois-tu ? Des fois je m’assoupis dans le divan, je sais pas, ça doit me tranquilliser… » (Hugo, extrait d’un entretien avec l’auteure, Notes de terrain C5, 2017)
|
Les êtres en deuil trouvent sur le web maints éléments pour alimenter leurs songeries, et parfois (pas toujours…) éclaircir, voire dissiper ces lambeaux brumeux qui semblent s’être emparés d’eux. C’est que les sites dédiés aux « disparus » via les réseaux sociaux et l’univers numérique offrent des images parfois inédites (et surprenantes), des points de vue hétéroclites de ce qu’ils furent, et des mises à jour d’informations d’emblée fort pertinentes. Ils sont chargés d’affects et de normes implicites. D’évidence, ces sites ou ces pages-profils favorisent une versatilité expressive nouvelle, si on considère le nombre de personnes plus ou moins proches qui y livrent leurs réactions, anecdotes, émotions, instants des cérémonies ou souvenirs lointains. L’aisance de déposition collaborative des émotions et la souplesse horaire ne sont pas pour rien dans la fréquentation de ces lieux virtuels. Et non plus dans ce qui peut s’en dégager comme découvertes ramifiées de soutien inattendu, souvent spontané et anonyme, mais sur la base de similitudes des expériences, qu’il s’agisse de la perte comme telle ou d’impression préalable de solitude qui se trouve ainsi épongée.
En soubresauts et en relais au bout de nos doigts, cette démocratisation sur figurations en deux dimensions représente un acquis notoire et marquant de l’évolution des outils techno-communicationnels, notamment en ceci : le panégyrique (« hélas » en grec ancien) n’est plus le lot de quelques hautsparleurs, lesquels pouvaient s’arroger au passage vertus et privilèges de liens avec le défunt ; l’histoire civique et religieuse autour des oraisons funèbres en offre pléthore d’exemples.
Pour autant, la tendance à l’autopromotion émanant du fameux « il était pour moi » a de beaux jours devant elle sur ces pages parfois déferlantes des « cimetières virtuels » et de leurs équivalents. Pour autant encore, en amont, écrire en s’adressant à l’être qui nous a laissés en berne est un geste salutaire de mise en forme affective et hors de soi-même. Autre chose est de publier. L’adresse au mort devient alors cantonade. À quels besoins cette dernière obéirait-elle1 ?
~~~
Pour envisager cette question, axons-nous d’abord sur des passerelles entre les deux formes de cimetières, le tangible et le virtuel, en partant de la clé de voûte : koimêtêrion, pour les Grecs, était un “dortoir”, un lieu pour dormir. Et « les Romains inscrivaient sur leurs tombeaux : Lugete : quescit, “plaignez-le” : il repose ; la mort était quies, repos, sommeil des quiescentes animæ ou des os. Nous avons repris le mot dans le Requiem : requiem æternam dona eis, Domine, « donne-leur le repos éternel, Seigneur. » (...) Notre ci-gît traduit le latin hic jacet, “il est couché ici”, qu’on trouvait au Moyen-Âge à côté d’expressions comme hic requiscit (ici repose), hic pausat, hic dormit. Ces mots sont restés même lorsque la croyance religieuse qui expliquait ce sommeil comme une attente s’est effondrée2 .»
Dès lors, que signifierait cette survivance de l’idée du repos ?
L’être aimé dort, (se) repose, oui (surtout si ses derniers jours furent plus douloureux3), alors que nous savons bien… qu’il est mort. Mais l’usage persistant d’une métaphore aplatit la perception : l’évocation poétique du repos glisse ainsi vers l’euphémisme, ce ralentisseur et atténuateur chronique de réalité, ce gentil trompe-l’œil prisé par la rectitude. Donc, la personne décédée… dort. (De quoi faire peur aux enfants qui cherchent le sommeil !)
Encore que, au rayon élémentaire de la perception sensorielle, nous ne sommes plus guère au fait de ce dormitio puisqu’une nouvelle pudeur règne comme un des motifs de non-exposition des morts dans leur cercueil. Cette déshérence du corps qui ne fonctionne plus (de-functus) s’est accompagnée comme on sait (récit no 6) des résistances à l’inhumation, fut-elle en conformité écologique4. Dès lors, depuis le début de 21e siècle, les cimetières virtuels ont consacré l’indépendance mutuelle, voire la disjonction entre sort physique et sort métaphysique des morts. Bref, dans l’évolution des mentalités centrées sur le corps, mais un corps vitaliste, rutilant et utile, l’idéologie dominante a tendance à l’évacuer et à le faire disparaître lorsqu’il échappe à ces critères.
L’émotion qui ne s’expose pas (symboliquement) à cette occasion d’exposition concrète — celle qui se délite comme pierre d’assise rituelle, longue histoire — doit néanmoins rebondir autrement, le psychisme le réclamant. Par conséquent, l’idée d’une survie métaphysique gagnerait du galon (mais un peu bigarré). Pour deux motifs : primo, le vide de sens est difficilement supportable ; secundo, les religions instituées verraient tarir la source structurante d’espoirs en l’au-delà. Mais celui-ci persiste, dans un nuage…
C’est alors que fleurit le maillage bien serré entre les mises en marché technologique et les fantasmes bien logés dans nos circuits neuronaux5. En voici un de leurs quartiers.
Un repos… en paix ?
En parallèle des corps disparus, notons ceci : s’il est un terme peu usuel dans les cimetières « empiriques », concrets, c’est bien celui de « mort ». On peut certes mourir pour la patrie ou pour une noble cause qui valorise le combat sacrificiel et son issue malheureusement fatale. Mais le commun des mortels ne semble pas doté de ce double signe, la charge sémantique du lieu y suffisant. Le fait n’est pas nouveau, mais le terme «mort» a toujours été néanmoins bien présent, avec son cortège d’impacts. Or, encore une fois, ici, sans lieu bien tangible6?
Ce que la pratique funéraire ne donne pas, les mots le reprennent, parfois en nous leurrant sur les réalités… Par exemple, à la différence de « mort », on sait comment le R.I.P. — RESQUIESCAT IN PACE — est répandu dans le discours populaire, des stèles de plastique hirsutes de l’Halloween (la « veille des ombres ») aux inscriptions en banderoles de manifestations déplorant l’échec d’un projet collectif : autre forme du déplacement inconscient de l’idée de mort, alors là, double : par l’évocation et par les situations.
Omniprésent aux vitrines virtuelles, le R.I.P. — qu’ils reposent en paix — peut étonner. De même, l’emprunt au latin ancien pour désigner les sites web in memoriam. In numeriam?
C’est que la numérisation des espaces consacrés aux morts oscille entre deux voies. L’une, de légitimation, tel ce recours à la fois appuyé et myope à la langue ancienne ; on s’octroie un mot de passe convenu en clamant les analogies floues avec des pratiques passées, du type « depuis la nuit des temps » et sans trop forcément explorer les sources du psychisme universel et les variations culturelles et sémantiques de ses manifestations.
Le paradoxe se creuse avec l’autre voie stratégique : la justification de l’obligation nouvelle (« vous ne pouvez pas ne pas en être ! »), en avançant sérieusement que les pratiques passées sont automatiquement dépassées (récit no 6) ; pire, « négatives ». En prime, nous « révolutionnons » la mort par les technologies de pointe, et en cadence de plus en plus rapide, d’autant que nous sommes friands de nouveautés (l’obsolescence programmée constitue elle-même une figure contemporaine de mort.)
On peut même lire que les cimetières virtuels remplacent les carrés territoriaux. Les morts sans sépulture physique se chercheraient ainsi une sépulture virtuelle : «sépulture», autre usage superfétatoire et inexact, puisque l’ensevelissement ne peut pas qu’être magique…
Sur un registre distancié, comment ne pas mettre en doute cette proposition martelée ? On fait ainsi exploser des strates de civilisation, la dernière en vogue dénigrant ou déniant l’existence de la précédente. Plutôt que se sédimenter et se reconnaître ? (La géologie reflète d’autres sagesses, celles des failles et des recompositions.)
De fait, même si la démocratisation de la parole s’avère un atout majeur, que penser de la force imposée par des titres d’articles, médiatiques et même (pseudo)scientifiques, qui annoncent depuis 20 ans que le deuil se métamorphose, « qu’on fait [sic] son deuil sur le web »7 ? C’est méconnaître les fils secrets du temps qui ne sont pas que de poussière, la portée des mouvements du corps, non pas exclusivement ceux du regard rivé à un écran.
Surtout, un phénomène émanant des témoignages analysés sur les réseaux sociaux sous l’égide du R.I.P. peut laisser perplexe : a priori, et depuis toujours, les humains ont invoqué leurs défunts, appelant à la puissance bénéfique présumée des morts, ces sages qui furent sélectionnés pour certaines cultures (récit no 4). Morts également priés pour eux-mêmes : les vivants se sentaient concernés par le sort transitoire ou statutaire de leurs aimés, fût-il dans un ailleurs hypothétique. Ici, lorsqu’on examine ces adresses aux ex-vivants, c’est en large part pour les services attendus, à répandre sur leurs ex-collatéraux… Les écrits sur le web laisseraient à cet égard un message des vivants aux morts pour peu que les derniers soient d’accord avec les premiers.
On a beau jeu de projeter — inconsciemment — sa propre identité : nous ne disons pas « Que penserait-il de…? », mais principalement « Tu dirais que… ». Et sans scansion temporelle, nuit et jour. On y trouverait certes consolation. Mais déclarer que l’on découvre en 2021 les liens avec les morts est un peu forcer du clavier. Liens avec nos morts ? On veut bien. Mais parler de dialogues ou d’interactions ? Si c’est le cas, il y aurait discrédit sur la qualité d’interlocution préalable entre vivants. Si c’est le cas, oui, on attribue aux disparus une tâche fondamentalement irréaliste : comme si c’était eux qui, de la nuit insondable de leur destin8, allaient ou devaient nous répondre… Or, lorsque nous admettons que notre imaginaire, et celui-ci en premier, nous réconforte, nourri de tant d’alluvions des liens, plus ou moins ressentis avant la mort, lorsque nous nous axons sur cet arc-boutant psychique, nous nous portons déjà mieux. Même en se doutant qu’il n’est pas «tout». De cette manière, un principe de réalité affronté épargne quelque déréliction, et même détresse au long cours, question de santé publique mentale.
Sans compter que, de fait, si le deuil s’adosse en bonne part à ses rituels sociaux, plus ou moins officiels, et à ses manifestations publiques, il fermente encore une fois dans le secret. Le cours de l’activité psychique suit ses propre méandres, même si le soutien des pairs est essentiel. Même si la reconnaissance par la culture d’environnement proche, fondamentale, peut tarder à se manifester.
Or, il n’y a pas qu’un mouvement compensatoire devant les manques communautaires. Nous estimons que le socius concret peut être délaissé au profit du moi-je. L’« extime » — cette exposition de l’intime — croit que l’expression cathartique fait tout le boulot devant l’épreuve, voire équivaut à la thérapie. Cette logorrhée se méprend sur ceci : énoncer n’est pas élaborer. Élaborer met en présence deux interlocuteurs en vrai, même à distance. Pas un ventriloque agité au gré des fantaisies, en l’occurrence notre défunt, forcément toujours d’accord avec nous… et même, entend-t-on, davantage aimé que de son vivant.
Retenons pour l’heure ce constat socioanthropologique : l’usage des espaces numériques et le discours qui s’installe dans cette mouvance contribuent à une conception de la mort qui la définirait dans l’axe éclaté, parfois exclusif, des subjectivités individuelles. La mort n’existerait à la limite que comme représentation. Dans cette ligne, la mort, c’est celle que l’on se construit (ou non) dans nos cœurs… Repus dans l’autofascination de nos trouvailles, nous ferions alors fi de la réalité empirique. Tant et si bien que le double que l’on fabrique sur le web dénierait son original. Et l’on maintient l’autre en vie en confondant, d’une part, le souvenir qui évolue de toutes manières et, d’autre part, le jeu avec les images stockées. Mortes.
Tout souvenir vivant requiert bien sûr des soutiens en relais. Si le web les potentialise, comment demeurer vigilants à ce qu’il ne forge une autre religion, celle de la vie ramenée essentiellement au relationnel à court terme et, à l’occasion, à une bousculade pour une notoriété postmortem ? En somme, le contraire d’une vie qui s’enrichirait du détachement, celui qui fait corps avec l’attachement ?
Laisser nos morts se reposer n’est pas les abandonner. C’est les confier aux temps qui ne sont pas que relationnels. La mémoire des morts et de la mort en devient d’autant plus solide et lumineuse.
Cultiver la mémoire avec les doubles Hypnos et Thanatos
Oui, Hypnos, sommeil, et Thanatos, mort, dans la mythologie antique, n’allaient pas l’un sans l’autre. Simplifions. Pour s’endormir, chacun a besoin au préalable et ponctuellement de se délester de ses engagements, de déserter ses soucis, de larguer les excitations. De bien respirer. Loin des pentes descendantes de la pulsion liée à (l’auto)destruction, on obéit à une autre face de la pulsion de mort : oublier un brin et consentir au calme pour soi. S’abandonner. (Le terme « lâcher prise » a servi de mantra.)
Mais un fait importe : l’être en deuil ne dort pas bien, de toutes les manières… mais pour un temps seulement. Ce qui refuse de s’endormir, en fait de mourir, c’est aux premiers temps la part de soi entamée par la mort de l’autre. En parallèle, ce qui incite à trop de vigilance, c’est la peur que la mort de l’autre ne nous emporte tout autant. Cette peur, comme toutes les autres, est à déplier. Elle n’est pas étrangère, de manière générale, à la volonté de contrôle, qui, des événements, qui, des images (de soi et des autres), volonté qui contraint l’ensommeillement.
En se réveillant, qu’est-ce qui se clarifie ?
La mémoire et la fidélité au legs se cultivent aussi dans la quiétude de l’inaperçu et du silence.
LUCE DES AULNIERS
Professeure-chercheure
Notes
- Je ne peux discuter ici du sort des données numériques des utilisateurs des réseaux sociaux. Pour une analyse plus fouillée, voir notamment PLOURDE, Alexandre, OPTIONS CONSOMMATEURS (2017). Entre mémoire et oubli. Rapport de recherche, Montréal, 64 p.
- COURTOIS, Martine (1991). Les mots de la mort. Préface de L.-V. THOMAS, Paris, Belin, pp. 325-326, 415 p.
- On ne peut négliger l’incontournable fatigue des derniers temps – aussi remise en question socialement – de qui laisse l’existence, un peu à l’envers de la mise au monde. Corrélativement, issue de la vigie de qui est proche, l’immense fatigue des aidants... Et pourtant, cette dernière est une cheville ouvrière à la fois dans le sentiment du deuil ET dans son allègement : ce qu’on cherche à trop s’épargner, avant, rebondit-il ensuite, en pénibles insomnies ?
- Voir humusation.org. L’humusation est ce procédé par lequel le corps du défunt est composté; le substrat peut être «récupéré» pour planter des arbres. De nouveaux cimetières réducteurs de CO2 pourraient innover en protection environnementale, et également tenir compte de la ritualité du souvenir.
- Louis-Vincent THOMAS disait de la collusion entre fantasmes ET techniques qu’elle était profondément ambivalente. Au départ, les fantasmes sont issus de la part pulsionnelle de notre imaginaire. Cet imaginaire imaginal « donne un sens à nos aspirations, à nos désirs, à nos passions, à la violence dominatrice archaïque, et qui nous aide à survivre. » De son côté, la technique est issue de «l'imaginaire rationnel ou idéel qui est d'ordre logico-scientifique et détient avant tout une vertu heuristique. Surrationnel, transrationnel ou hyperrationnel, il s'appuie sur la raison pour la dépasser. L'imaginaire ainsi entendu corrige les insuffisances de notre univers sensoriel. » (1988. Anthropologie des obsessions, Paris, Payot, pp. 10-11, 179 p.) Néanmoins, à partir du moment où les connaissances techniques se mettent au service d’une science dont la rationalité est débordée par la recherche... de domination et de profit, par son aveuglement à son idéologie totalisatrice, cette combinatoire exerce une violence symbolique, et aussi tangible. S’y expriment nos angoisses et nos espérances. On y voit justement «en quoi l’homme reste le jouet de la durée (pouvoir du temps), mais aussi de quelle façon il en joue, la manipule ou la maîtrise [LDA : et contrôle] (pouvoir par et sur le temps). » (1984). Fantasmes au quotidien, Paris, Librairie des Méridiens : p. 54, 299 p.
- Encore que l’on relie volontiers les cimetières aux avancées technologiques en les munissant de bornes numériques qui peuvent non seulement localiser les sépultures, mais aussi offrir de précieux repères biographiques, personnels et groupaux.
- J’ai consacré (2020) un chapitre consistant aux enjeux liés à cette problématique dans l’ouvrage Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Montréal, Boréal, 379 p.
- Depuis le Livre des morts des anciens Égyptiens, de nombreux auteurs ont voulu investir ces zones intemporelles, ainsi dans la rétrospective qu’en dresse Camille FLAMMARION, astronome, vulgarisateur scientifique renommé (1920 et ss.) La mort et son Mystère. T1: Avant la Mort. Preuves de l’existence de l’âme ; T2 : Autour de la Mort : Les manifestations et apparitions de mourants. Les doubles. Phénomènes de l’occultisme ; T3 : Après la Mort : Les manifestations et apparitions de morts. L’âme après la mort). On y saisit le questionnement issu autant d’une phénoménale érudition que du reflet soucieux de ce qu’il désigne comme « confidences » de ses contemporains (ce que les chercheur.e.s actuels dénomment entrevues, narrations, récits de... en y tirant parfois ce qui semble des « révélations », centrées sur le présentisme ambiant.) D’emblée, le texte résonne du désir intense d’une mère qui lui demande « si je puis conserver l’espoir de revoir mon fils, s’il me voit? S’il existe quelque moyen de communiquer avec lui? » (T1, p. 8, 400 p., Souligné de L. DES AULNIERS). On y trouve départagés religions, philosophies, croyances populaires, état de la recherche expérimentale, sans prétention devant la question : « Le plus grand des problèmes peut-il être actuellement résolu? » Pour ma part, j’oserais dire que «le plus grand» (?) des problèmes logerait en bonne part dans nos conduites... devant la mort.
Télécharger la version PDF de cet article
En complément :Balado en 5 épisodes conçu, monté et réalisé par Alexandre Pépin, |
Je ne peux discuter ici du sort des données numériques des utilisateurs des réseaux sociaux. Pour une analyse plus fouillée, voir notamment PLOURDE, Alexandre, OPTIONS CONSOMMATEURS (2017). Entre mémoire et oubli. Rapport de recherche, Montréal, 64 p.
COURTOIS, Martine (1991). Les mots de la mort. Préface de L.-V. THOMAS, Paris, Belin, pp. 325-326, 415 p.
On ne peut négliger l’incontournable fatigue des derniers temps – aussi remise en question socialement – de qui laisse l’existence, un peu à l’envers de la mise au monde. Corrélativement, issue de la vigie de qui est proche, l’immense fatigue des aidants... Et pourtant, cette dernière est une cheville ouvrière à la fois dans le sentiment du deuil ET dans son allègement : ce qu’on cherche à trop s’épargner, avant, rebondit-il ensuite, en pénibles insomnies ?
Voir humusation.org. L’humusation est ce procédé par lequel le corps du défunt est composté; le substrat peut être «récupéré» pour planter des arbres. De nouveaux cimetières réducteurs de CO2 pourraient innover en protection environnementale, et également tenir compte de la ritualité du souvenir.
Louis-Vincent THOMAS disait de la collusion entre fantasmes ET techniques qu’elle était profondément ambivalente. Au départ, les fantasmes sont issus de la part pulsionnelle de notre imaginaire. Cet imaginaire imaginal « donne un sens à nos aspirations, à nos désirs, à nos passions, à la violence dominatrice archaïque, et qui nous aide à survivre. » De son côté, la technique est issue de «l'imaginaire rationnel ou idéel qui est d'ordre logico-scientifique et détient avant tout une vertu heuristique. Surrationnel, transrationnel ou hyperrationnel, il s'appuie sur la raison pour la dépasser. L'imaginaire ainsi entendu corrige les insuffisances de notre univers sensoriel. » (1988. Anthropologie des obsessions, Paris, Payot, pp. 10-11, 179 p.) Néanmoins, à partir du moment où les connaissances techniques se mettent au service d’une science dont la rationalité est débordée par la recherche... de domination et de profit, par son aveuglement à son idéologie totalisatrice, cette combinatoire exerce une violence symbolique, et aussi tangible. S’y expriment nos angoisses et nos espérances. On y voit justement «en quoi l’homme reste le jouet de la durée (pouvoir du temps), mais aussi de quelle façon il en joue, la manipule ou la maîtrise [LDA : et contrôle] (pouvoir par et sur le temps). » (1984). Fantasmes au quotidien, Paris, Librairie des Méridiens : p. 54, 299 p.
Encore que l’on relie volontiers les cimetières aux avancées technologiques en les munissant de bornes numériques qui peuvent non seulement localiser les sépultures, mais aussi offrir de précieux repères biographiques, personnels et groupaux.
J’ai consacré (2020) un chapitre consistant aux enjeux liés à cette problématique dans l’ouvrage Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil, Montréal, Boréal, 379 p.
Depuis le Livre des morts des anciens Égyptiens, de nombreux auteurs ont voulu investir ces zones intemporelles, ainsi dans la rétrospective qu’en dresse Camille FLAMMARION, astronome, vulgarisateur scientifique renommé (1920 et ss.) La mort et son Mystère. T1: Avant la Mort. Preuves de l’existence de l’âme ; T2 : Autour de la Mort : Les manifestations et apparitions de mourants. Les doubles. Phénomènes de l’occultisme ; T3 : Après la Mort : Les manifestations et apparitions de morts. L’âme après la mort). On y saisit le questionnement issu autant d’une phénoménale érudition que du reflet soucieux de ce qu’il désigne comme « confidences » de ses contemporains (ce que les chercheur.e.s actuels dénomment entrevues, narrations, récits de... en y tirant parfois ce qui semble des « révélations », centrées sur le présentisme ambiant.) D’emblée, le texte résonne du désir intense d’une mère qui lui demande « si je puis conserver l’espoir de revoir mon fils, s’il me voit? S’il existe quelque moyen de communiquer avec lui? » (T1, p. 8, 400 p., Souligné de L. DES AULNIERS). On y trouve départagés religions, philosophies, croyances populaires, état de la recherche expérimentale, sans prétention devant la question : « Le plus grand des problèmes peut-il être actuellement résolu? » Pour ma part, j’oserais dire que «le plus grand» (?) des problèmes logerait en bonne part dans nos conduites... devant la mort.