
Photo : ©ANDRÉANI, I., de PETERS-DESTÉRACT, Albert (1905). « Les obsèques de Louise MICHEL », Eau-forte polychrome, Musée d’art et d’histoire de Saint-Denis, France. Voir infra texte.
Cohabiter 12
En quoi le cortège s’avère-t-il une composante centrale du rituel funèbre? Et comment se constituent les héros dans le défilement de leurs modèles à travers le temps? Aujourd’hui, quelles seraient les formes d’héroïsme relatives à la mort?
Peut-on donner plus à un homme que la renommée, la gloire, l’immortalité ? (…) « Comme les héros grecs de l’Antiquité,
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Le génie certes,
mais dans la vie commune des humains,
afin que ceux-ci le deviennent, sujets.
Qui est héroïque? Pour quoi?
L’éclat de la mort, l’ombre du pouvoir ou ce qui cadre l’héroïsme
À l’origine et règle générale par la suite, un geste héroïque et, à plus forte raison un être qui le pose, deviennent tels à partir d’un critère de base: sans forcément l’avoir choisi, on y affronte un danger potentiellement mortel. Or, cette expérience-limite ne vaut pas pour tous les génies, même si — parmi maintes conditions — le génie prédisposerait à l’héroïsme. En effet, tout comme l’héroïsme, le génie unit des talents certains à des conditions culturelles et socio-politiques propices, à un moment particulier de l’Histoire.
Ainsi donc, ledit génie ne garantit pas l’héroïsme. Pourquoi? C’est que, si l’on monte d’un cran, l’héroïsme originel ne fait pas que se confronter à la mort (et un génie pourrait aussi l’esquiver): il fait surmonter la menace mortelle avec audace et bravoure, de manière distinctive et ce, souvent en faveur ou au bénéfice de collatéraux.
Si l’on circonscrit encore le phénomène héroïque, on trouve le labyrinthe universel de l’existence. Il arrive même que le héros ou l’héroïne n’y soit pas seulement exceptionnel, mais invincible. Dans ce cas, la quête porterait davantage sur le jeu avec la mort que sur le sacrifice de soi, par exemple au nom d’un idéal.
L’altruisme héroïque, reconnu, méconnu, dans la lutte vitale contre le délétère
Aussi, pour les fins de notre analyse, retenons ceci: le statut héroïque s’accole à la mort si l’être ainsi désigné la frôle de près, soit, mais de manière altruiste. La perte de ce héros survient d’une lutte ponctuelle, d’une série d’engagements analogues ou encore d’autres occurrences, ainsi, simplement de sa vieillesse. De la sorte, maints héros sont reconnus et célébrés comme tels de leur vivant. Leur mort vient alors cristalliser ce statut ou, à rebours, faire rayonner leur exceptionnalité. En d’autres mots, la mort serait un ressort dramatique qui amplifie l’aura du personnage déjà héroïsé.
Par ailleurs, tous les personnages reconnus et célébrés, champions dans leurs domaines respectifs (Cohabiter dans le rite 11), ne sont pas non plus forcément héroïques, en dépit d’un charisme rassembleur et de notre idéalisation chevillée à leurs accomplissements. Pour que ces personnalités irradiantes de leur expériences reconnues deviennent des personnages héroïques, il leur aura fallu se mettre en danger physiquement et psychiquement en résistant à la détérioration, voire à la menace de destruction d’un ensemble concret, comme la patrie territoriale ou, semi-abstrait, comme une cause humanitaire. Et ensuite, éminemment, pour la construction d’un autre ensemble.
En effet, la persistance anthropologique de la figure du héros met en relief quelques traits universaux: naissance parfois périlleuse mais pour la plupart discrète, manifestation précoce de sa force prodigieuse dans un milieu “normal”, ascension rapide à un statut de prééminence, confrontation à un danger. Au creuset de cette menace, précisons ceci: le héros est placé devant un défi qui devient une « quête fondamentale3 » mais, confronté à ses peurs, il hésite, refuse, puis il consulte un mentor ou un dieu auprès de qui il cueillera une compétence “magique”. De là, il franchira un autre monde, un point de non-retour avec, à la clé, alliances et ennemis éprouvant son « génie ». Fort de cette compétence, il affronte enfin le colossal. Advenant qu’il n’en meure pas, sa récompense sera à la fois tangible (objet sacré, savoir particulier) et intangible (meilleure connaissance de la proximité de la mort). Afin de revenir chez lui auréolé, il doit se purifier, et alors il pourra faire bénéficier les siens des leçons de son extraordinaire périple.
Que retenir de ce schéma?
De toutes les manières, le héros n’est pas animé d’un individualisme égocentré, même si sa singularité trouve son acmé dans cet achèvement altier. Nous entendrons donc ici que le héros est en principe civilisateur, à savoir ferment d’amélioration du sort des vivants. Cette distinction prendra à son tour plusieurs différenciations.
Car, tout à côté du piédestal biographique public éclatant, tourné vers le bien-être de collatéraux, d’autres êtres peuvent — avec raison — correspondre modestement à ce critère héroïque de partage envers autrui, empreint de défis majeurs. Les sacrifices consentis à cette œuvre vaillante seraient d’autant invisibilisés dans divers domaines. Leur œuvre civilisatrice passe inaperçue, même si elle contribue à une justice, à la justesse de la survie et, mieux, au développement des potentialités constituant le vivant, la terre et ses passagers. Résultat? Sans ode ni clameur, se lève la foule innombrable de ces héros au parcours valeureux, éventuellement au risque de leur santé physique et mentale.
Si cette discrétion vaut pour nos collatéraux dont plusieurs pourront découvrir l’œuvre lors de l’éloge funéraire, elle s’applique également à l’échelle historique, ainsi des héros des identités culturelles4. Devant les ambitions conquérantes arborant de nobles fins, les populations colonisées, dominées, spoliées, disloquées et caricaturées ont toutes donné naissance à des héros défenseurs. Assurément moins encensées par les idéologies prégnantes, ces incarnations de résistance sont souvent réhabilitées a posteriori à travers les récits romanesques. Par ce truchement, leur passage anonyme devient longtemps après une source féconde de mythes de survie pour la population. Cette réintégration symbolique ravive les processus mnésiques qui viennent par leur dynamisme alléger le deuil de générations enfermées dans un tombeau de méconnaissances; elle accroit la vigilance à l’égard des réalités de déni systématique — territoriales, environnementales et proprement culturelles — témoigné par les conquérants. Et cette flamme mémorielle inspire l’art. Les autochtonies nous en offrent des exemples éloquents.
Dans cet ordre d’idée d’un héroïsme civilisateur, même sobre, et pour éviter de confondre les registres d’héroïsme, éclairons un dernier point. Qui parmi nous ne procède pas du sens commun lorsqu’il évoque ces « héros du quotidien » pour leurs performances dirigées vers leur propre survie au travers des épreuves, d’autant remarquables s’ils se soucient de mondes autres que celui de leur proximité? Leurs familiers espèrent que leur rayonnement dépassera leur cercle immédiat (d’où l’abondante publication de récits qui se veulent utiles, parfois auto-héroïsants5, évoquée au texte précédent), pour rejoindre divers réseaux, sociaux ou autres. (Pour paraphraser Corneille, ici, la valeur n’attend pas tant le nombre des années, que le nombre… d’abonnés.)
Bref, si n’est pas héros qui veut ou le prétendrait, il arrive que l’on soit héroïsé, qu’on le veuille ou non, et — dans la situation désintéressée que je viens de mentionner — l’on peut être effectivement héroïque sans passer pour un héros.
Cet angle n’ignore pas non plus l’atavisme qui rechigne à l’héroïsme féminin irriguant tant de bravoures qui ne sont pas bravades et auquel j’attribue ici l’image inaugurale.
Certes, et si l’on y réfléchit, comment envisager l’héroïsme et notre besoin d’y référer? En freinant quelque peu l’exaltation, l’on sera touché du courage en vrai, créateur d’une non moins réelle humanité; et, astre irradiant, que cette humanité en actes se donne sous tant de causes et tant de formes. Le respect s’en impose d’autant.
Sur ces premiers constats, la question se fait insistante: comment se fait-il que la célébration de la valeur et du sens de l’héroïsme soit inégale? Autrement dit, qu’est-ce se trame dans cette corne d’abondance de l’honneur et de sa pérennité?
Une logique en pointillés des liens entre héros,
cortèges et rapports de pouvoirs
Je répondrai à cette question en deux temps des Cohabiter dans le rite, ce 12-ci et le 13e. Le présent texte explore ce qui constitue un héros, à la fois vivant et mort. Comment comprendre le culte des héros, qui traverse l’histoire humaine et dont l’imaginaire médiatique contemporain fait ses choux gras? Et, rituel si peu négligeable, en quoi le cortège funèbre en serait-il un marqueur? Tout en n’étant pas réservé aux seuls héros, pourrait-il par ailleurs nous offrir des indices de ce qu’il doit aux rapports de pouvoir? Cortège et rôle des héros, voire leur culte, ouvriront donc le chemin à un prochain texte, lequel examinera leurs liens avec les formes de pouvoir de vie et de mort, réelles et symboliques. Et, facteur déterminant dans la fabrication des mondes héroïques, comment les tenants dudit pouvoir composent avec la mort.
J’ai implicitement ciblé ces rapports dans Cohabiter dans le rite 11, s’agissant d’une des dimensions du pouvoir qui concerne surtout des conditions propices et l’influence ou l’aura charismatique auprès de nos contemporains. L’image, cette puissante matrice de perception du monde, y est particulièrement agissante.
Rappelons que cette image du personnage sécrète en lui et sur lui nos désirs inconscients de disposer d’une place dans le monde. On y recèle les aspirations au meilleur mais, dans l’ambivalence qui se pointe toujours, quoi d’autre?
En sentiments bigarrés, nous pouvons ressentir que la ferveur populaire lors de la mort des personnages publics de tous ordres n’est pas univoque: que révélait cette clameur, oscillante entre frissons silencieux et déclamations « d’amour-toujours »? Le désarroi provoqué par les élans d’autoréférence (le « il/elle était pour moi ») s’est normalisé dans notre culture, nourri par l’industrie médiatique, distributrice des pouvoirs. Or, la limite d’une autoréférence intégrale, lorsqu’il s’agit du seul repère de sens, fait précisément en sorte qu’il n’y a plus de repères puisque tout repère est extérieur à soi.
Dans la foulée, il fallait pour ce propos-ci nous munir d’un repère ou nous arrimer à un point d’appui extérieur aux dynamiques psychiques, tout en ne leur tournant pas le dos: un chemin de traverse qui nous aide à décoder le trajet. Ces repères s’avèrent des révélateurs et ils seront des catalyseurs pour les suites.
Le cortège s’est simplement imposé, notamment comme l’un des marqueurs de la ritualité consacrant, entre autres, les figures héroïques, lors de leur décès. Or, cette procession formelle, consentie, tangible, prendra également une saveur métaphorique. Celle-ci sera à tonalité multiple: il y aura aussi de la surenchère sophistiquée dans le défilé multimillénaire des héros, emmaillés aux rets des pouvoirs.
En guise d’illustration préliminaire de cette exploration en deux textes, à travers le tableau représentant les funérailles de Louise MICHEL (1830-1905), se combinent les symboles suivants: un cortège, ne correspondant pourtant pas entièrement aux codes décrits ci-contre; en son cœur, l’expression dialectique des pouvoirs et contre-pouvoirs, ces derniers pouvant s’exalter; et un héros civilisateur qui s’avère… être une héroïne: institutrice, journaliste, opposée à Napoléon III, à la tête d’un groupe de femmes montant aux barricades pour défendre une politique sur la pauvreté, lors de La Commune de Paris (1871), déportée, revenue en 1880, et déjà là, accueillie par 20 000 personnes. Le tableau reprend aussi cet accueil, redoublé lors de la mort par maladie de la « vierge rouge ».
Ainsi, contrairement aux images habituelles de cortège, celle-ci n’est pas axée sur le corbillard ou un catafalque grandiose, mais sur « la foule dense et compacte, sorte de flot humain ponctué de couronnes mortuaires, hérissé de drapeaux rouges et de bannières noires [symboles d’égalité et de rébellions républicaines], duquel émerge au centre un cuirassier du service d’ordre6. » Le peintre a voulu représenter l’hétérogénéité des admirateurs anonymes, issus de la diversité des groupes et personnes en marche devant la répression de la quête de justice, d’équité et de liberté: ouvriers, retraités, partis socialistes, groupes féministes, antimilitarismes, journaux. De la sorte, l’héroïsme se perçoit parfois dans la convergence d’aspirations populaires et de grand projet de libération articulé par un « génie », ici leur égérie. Bref, cette image projette la puissance symbolique plurielle de la forge héroïque.
Un repère de notoriété, héroïque ou pas :
le cortège, ce potentiel aimant des foules
Au moins quatre millénaires avant notre ère, le cortège s’intègre au triptyque du rituel funéraire. Cette séquence ambulatoire se découpe elle-même en au moins deux segments temporels, étant l’intermédiaire entre l’exposition du corps, la cérémonie formelle puis la déposition des restes.
Quel lien existe-t-il entre un cortège et une foule? A priori, cette désignation, « cortège funèbre [est] emprunté à l’italien corteggio, “suite de personnes qui accompagnent quelqu’un pour lui faire la cour”7. » Par son caractère voué à honorer ce que fut l’autre et à lui exprimer son admiration affectueuse, même parasociale, le cortège n’est donc pas vraiment tombé en désuétude. Même dispersé dans l’achalandage urbain, avalé par la fonctionnalité banalisante du « convoi », il se trace une voie, non strictement réservée aux honorables ou aux sociétés pour lesquelles il est d’usage général, mais en vertu de son principe même. Comment? Ce « faire la cour » tardif, ultime, se distillerait aujourd’hui dans les cérémonies funèbres sous la forme de l’hommage à la vie d’un être comme forme privilégiée — qui ne saurait néanmoins dénier la réalité de sa mort. De la sorte, l’analogie entre le défilement corporel dans ce qui tenait lieu de funérailles et l’hommage actuel mérite notre attention pour sa logique, toujours vive. Si nous en transposons l’esprit, cette analogie entre cortège et hommage enrichit ce que nous savions déjà à ce sujet (Cohabiter dans le rite 8, Rituels ou hommages?).
Une codification de l’ordre devant le désordre intrinsèque de la mort
Le défilement intrinsèque au cortège — funéraire ou funèbre, en l’occurrence —procède d’abord d’un certain ordonnancement ou d’une logique de préséance des participants selon leur proximité affective ou statutaire (parents, enfants, conjoints, fratrie, autres). Selon la situation sociale du personnage disparu et même, de ses relations, on observe une succession plus ou moins ostentatoire des tenants du pouvoir, émanant de la hiérarchie sociale, civile ou religieuse: la présence de ces gens de haut rang social (“dignitaires”) atteste de l’importance de qui n’est plus, mais bien davantage. S’y dévoile non seulement la place institutionnalisée d’une élite mais aussi la distribution de l’ensemble des places socio-culturelles, selon le genre, les valeurs dominantes et l’accession aux récompenses. En cela, universellement, des étiquettes différentes s’affichent concernant la tenue vestimentaire, les postures corporelles, les couvre-chefs et les comportements vocaux que l’analyse du phénomène des pleureuses n’a pas épuisé (Récit intemporel 21).
Par ailleurs, qu’on ne s’y méprenne pas, surtout lorsque l’on donne en exemples d’autres ethnocultures: la tonalité débonnaire, parfois même colorée et festive de cette procession, ne survient pas de but en blanc, pas plus qu’elle ne serait l’indice d’une présumée « acceptation de la mort ». Cette tonalité démonstrative prend plutôt à bras-le-corps, au propre et au figuré, l’émoi déstabilisateur que suscite le décès.
Dès lors, la maîtrise symbolique de la peur, du sentiment de tragique, voire de non-sens associés à la mort, et du chagrin lié à cette perte précise, agit-elle à plein. Elle se forge de l’alternance entre les lamentations et les incantations cultuelles traditionnelles attestant de la conscience du destin et de la peine partagée. Aussi, dans cette dynamique contrastée, l’exubérance déambulatoire signe d’abord une modalité de conversion-inversion devant le destin: on s’en défend par son contraire. Elle clame seulement ensuite une espérance: la jubilation s’exprime du fait de la persistance de la vie, souveraine, qui réclame son rythme pendant un moment8.
Ce caractère passager de relative relaxation des accompagnateurs n’atteint toutefois pas les porteurs du cercueil et la constance de leur effort. Ainsi, non confiné à l’exemple donné à l’instant, le savoir populaire veille à une tenue digne et donc solennelle de l’ensemble dans l’avancée du cortège: en apparat, gantés, la tête découverte (pour les proches) ou dûment couverte (pour les officiants mandatés), les porteurs prennent garde de heurter le cercueil, tandis que le corbillard module son mouvement en lenteur, pour ne pas susciter un mauvais présage.
Ainsi, ce qui est considéré de nos jours comme des dictons surannés traduit la méfiance à l’égard du caractère contagieux — universel, même refoulé — de la mort. Cette méfiance s’explique par la crainte viscérale qu’elle provoque, comme en témoigne cet extrait d’un document québécois: « Celui qui mène le “chariot”, le corbillard [avant le 19e siècle, le cercueil était porté sur les épaules, ou en hiver, placé sur un traineau, et c’est seulement vers 1830 que débuta l’usage de la tire à cheval9], doit conduire prudemment et surtout éviter tout arrêt devant une maison pendant que le convoi est en marche, autrement toute la maisonnée serait en émoi: il y aura sous peu du deuil dans la maison10. » (Je reviendrai sur la puissance magique de la mort que la modernité avancée ne me semble pas avoir éteinte.)
Indépendamment des variantes culturelles, cet ensemble réglé forme une file, généralement en rangées de deux personnes. Il emprunte en ondulant un itinéraire, une cadence, un environnement sensoriel, ainsi en alternance du bruit des pas (ou des moteurs), de silences, de musiques, souvent lentement scandées. Dans la théâtralité traditionnelle, le cortège s’ouvre par le support physique des restes de l’être révéré. Il est parfois précédé d’un chef de cérémonie, devançant ainsi par la symbolique de mort souveraine tous les autres chefs temporels éventuellement présents. Un signe religieux est apposé en avant ou derrière les restes, surtout en milieux judéo-chrétiens.
C’est de cette manière que la solennité marque la gravité, voire le non-sens de la mort et l’ébranlement déroutant qu’elle provoque: en s’ébranlant, le cortège absorbe aussi cet état affectif et cognitif. Comment?
Une pédagogie existentiellement féconde dans la répétition ritualisée
La gravité ontologique est soulignée par la répétition inscrite dans le cortège, sous trois signes.
PREMIER SIGNE, même lors d’une mise en scène réduite, ce mouvement se réitère avant et après une cérémonie de salutation honorant le mort, de sorte que le cortège s’avère à la fois aveu de séparation, prémisse et promesse d’une forme ou l’autre d’éternité et pari sur la suite sociale. Chacun ressent alors la puissance de ce temps rituel consacré à la séparation des restes du cher défunt pour le confier au monde des morts. L’assistance prend conscience du caractère définitif de la réalité. Il s’agit donc d’acquiescer somatiquement à cette séparation matérielle et au déchirement qui se vit là. Si pénible soit-il, il mérite une attention bienveillante.
Or, ce caractère de progression vers la clôture rituelle est particulièrement chargé pour des imaginaires culturels qui redoutent le pouvoir magique des morts. Il faut dès lors répondre scrupuleusement aux obligations prescrites, notamment en soignant préalablement le mort dans des rituels de « retenue » auxquels je consacrerai un texte.
Ainsi, dans ces cas, tout solennel soit-il, le cortège s’emploie à des stratégies symboliques de défense contre le trouble de la mort, qui n’empruntent pas une ligne a priori ordonnée, puisqu’ils cherchent à confondre le mort. Par exemple, « le parcours sinueux du cortège Dogon (Mali) arpentant les falaises de Bandiagara traduit non seulement la longue marche du défunt vers Sanga, le paradis, mais aussi les cheminements mythiques difficiles du Nommo, génie de l’eau, ou plus simplement, les ruses du défunt, guère pressé de rejoindre sa tombe. Enfin, les détours surprenants du cortège pour atteindre le cimetière et pour retrouver ensuite le village visent avant tout à égarer le cadavre afin que ses mânes laissent les vivants en paix11. »
Dans cette stratégie comme lors de la déambulation dansée déjà abordée, il s’agit de se défendre contre une émotion troublante. Assumée, elle donne lieu à un apparent désordre: l’enjeu est de prendre acte du caractère complexe de la présence de la mort, en tant qu’il déterminera le vécu du deuil. Mais la réitération de ce type de conduite d’accueil de la mort et de ses effets, afin d’y parer au mieux, ne s’arrête pas là.
DEUXIÈME SIGNE, universel, la répétition se lit dans le simple mécanisme corporel des personnes qui, pas à pas, forment la file et dont la lenteur accuse la solennité évoquée à l’instant. À cet égard, insistons sur les bienfaits mnésiques de la mobilisation sensori-motrice que permet la « marche au mort », l’accompagnant dans son destin: par-delà quelque effet de cape d’une socialité (j’y viendrai), à travers le pas soutenu mobilisant tout le corps, émerge nettement la conscience d’êtres vivants au sein de la finitude.
Enfin, la répétition imprime un TROISIÈME SIGNE : la scansion même des déplacements physiques avançant vers un aboutissement contribue éminemment à l’esprit de corps des participants,concentré et consacré. L’héroïsme s’adossera également à cet esprit.
Le corps social, concret et métaphorique
En cas de morts notoires, on l’a vu, l’esprit de corps groupal résonne jusque dans la formation d’une foule. Comme un méta cortège enrobant le cortège funéraire, l’affluence se densifie, grossit, chacun le ralliant physiquement du fait qu’il serait rejoint dans sa psyché. Et non pas uniquement de sa propre constitution identitaire.
En effet, la force de la croyance au caractère exceptionnel de l’évènement n’est pas seulement portée par les résonances intimes du chagrin. Cette force est de prime abord contagieuse du simple fait de notre tendance naturelle à imiter les autres (l’attroupement de badauds devant l’accident en fait foi.) Et les interactions à chaud vers qui nous ressemble dans ce souffle partagé contribuent aussi à l’attrait du rassemblement.
Or, comme pour le noyau du cortège, le rassemblement des quidams obéit à des règles destinées à équilibrer les sources de santé mentale, entre assentiment à l’adieu et espérance en des univers mentaux autres. Moins apparentes, ces normes suggèrent néanmoins quelles conduites adopter, où se placer, quelle distance et quelle contenance tenir12, et ce, en contrepied des spontanéités.
Ce phénomène de cohésion forge et renforce un but commun essentiel. Il s’agit d’atténuer les éventuels désaccords entre les membres d’une société pour justement (re)faire société. À son tour, une société se renforce de sa capacité à résorber la perturbation qu’entraîne la mort. Quitte, dans les nombreux jalons de l’histoire du cortège, à en magnifier le trait de « pompe » funèbre. En ce sens, la machinerie émotive médiatique ne procède pas d’une nouveauté sociale, même si elle insiste sur les singularités émotives des uns et des autres.
Parmi plusieurs exemples de la ferveur d’un vivre ensemble renouvelé, citons celui-ci: dans la France du 18e siècle, il était assez courant d’inviter les pauvres de la cité à agir comme escorte funéraire, munis d’un flambeau, habillés par la bourgeoisie, la tête recouverte de noir13. Que peut signifier cette pratique étonnante pour notre sens actuel du subtil travestissement social? En reprenant l’esprit des arts macabres14, elle indiquait le souci de lien social par le don et le contre-don. Cette foule sollicitée insufflait l’idée de l’égalité de tous devant la mort, même si cette notion était loin d’être toujours reflétée dans la vie quotidienne.
Or, les implications de cet usage du cortège, à savoir dans la revendication d’un autre monde concret, bougeront grâce à des mobilisations collectives déterminantes, comme le suggère l’illustration d’ouverture. Aussi, tout comme pour l’héroïsation, le cortège revêt plusieurs significations. Et ce, parfois dans « une lenteur fébrile » accusant le coup, la foule y trouve une force de résistance aux pouvoirs abusifs. Lors de la mort des êtres valeureux qui sont le fer de lance d’un contre-pouvoir et sans égard aux mesures de répression, ce type de cortège avance, têtu, résolu. « On eût dit des frères, ils ne savaient pas les noms les uns des autres. Les grands périls ont cela de beau qu’ils mêlent en lumière la fraternité des inconnus15. »
Bref, être présents ensemble renforce le vouloir-vivre social autant qu’existentiel. Ce vouloir-vivre est fouetté par le passage de la mort, qui fait sourdre la perspective de l’annihilation existentielle: le pouvoir y trouvera sa clé de voûte. C’est ce qui explique la préséance des notables lors des funérailles collectives.
En ce sens, la ligne protocolaire des tenants du pouvoir dans un cortège indique plus qu’une simple reconnaissance de la perte d’un personnage appartenant éventuellement à l’élite: cette présence des nantis ne réconforte pas que les proches endeuillés, elle rassure aussi les premiers sur la reproduction de leur influence, tant et si bien que le cortège deviendra un carrousel de pouvoirs qui se démultipliera à l’infini. En attendant d’en examiner prochainement les ressorts, soulignons d’abord quelques traits d’un cortège singulier, ces soldats pas tous inconnus. Nous glisserons alors vers le cortège métaphorique des héros, statut aux motifs si variables, on le devine déjà.
Cortège doublé en cas de figure: la foule qui acclame les héros militaires
Une foule ne fait pas que suivre le cortège comme tel, agglutinant les admirateurs dans leur ferveur participative. À l’endroit des êtres qu’elle dote d’un statut héroïque, la collectivité tient une sorte de garde plus ou moins disséminée au long du parcours. « Dernier salut », parfois serti du geste qui lance une fleur, d’un applaudissement ému, l’attente patiente de son passage agit comme un puissant déclencheur pédagogique du principe de réalité et de mutuelle empathie. Mais la présence de chacune et chacun rend également compte de la sensation indéfinissable déjà décrite à propos des personnages: leur statut s’alimente de leurs adeptes, lesquels, en échange symbolique, reçoivent plaisir et gratification d’être membres d’un groupe choyé. Dans la foulée, tous se ressentent comme récipiendaires de la force que distille leur « héros ». Et aux franges du cortège, il se trouve une reconnaissance ultime.
L’exultation et, plus encore, le devoir intime de participer au cortège valent pour les personnages habitant le panthéon populaire mais aussi pour les héros nationaux. Je n’évoquerai pas ici les chefs d’État, non plus que certains sportifs de niveau exceptionnel, mais ceux qu’une nation perçoit comme les hérauts de l’identité collective, les militaires, ne serait-ce qu’en considérant le point commun entre eux et la foule: le désir de participation.
Ainsi, lors de toute guerre, au nom de la participation à une mission collective, le sens individuel de la survie issu de la conscience de soi comme être mortel passe au second plan. La force de survie de l’individu est alors redirigée vers le combat, sous l’égide d’appels obligatoirement non singularisés: le terme « mon général » atteste d’ailleurs de la poussée qui uniformise l’action de bataille, soutenue par le bruit assourdissant des armes, les clairons et les vociférations.
Si l’individu s’y affirme, ce n’est pas du fait de son horreur foncière de la mort, même si celle-ci lui donne des sueurs froides. L’individu trouve son courage précisément dans le sens partagé et continûment renforcé de l’honneur collectif, au nom de la patrie, car « défendre sa patrie est un excellent présage [de statut héroïque] à lui seul », disait déjà Homère dans l’Iliade. Le compagnonnage alimente cette détermination. Cette solidarité groupale dans la rudesse célèbre la grandeur d’un probable sacrifice de sa vie en même temps qu’elle la fait oublier jusqu’à la risquer. Le vertige héroïque qui fait avancer en terrains périlleux découle donc d’une combinatoire d’auto-affirmation de sa valeur personnelle, de conformité obligée à la cohésion groupale et d’acquiescement aux valeurs engagées dans le conflit, tels le droit justicier, la “civilisation”, la défense de la terre-nation. (Je développerai les pièges de ces arguments dans le prochain texte.)
Aussi, lors des cortèges célébrant le héros militaire, par-delà un protocole précis16, le frémissement participatif devient singulier. Car, sans être choisie, l’obligation d’adaptation à cette mort-là fait résonner en chaque participant son rôle — tout relatif soit-il — dans l’aménagement des conditions de sa propre mort: ceux qui sont tombés en victimes plus ou moins consentantes en étaient avertis. Du même coup, chacun peut sonder les formes de réalisation de soi au sein de la communauté. Chacun peut encore évoquer l’ombre que la guerre fait davantage planer sur le devenir des sociétés comme telles. Plus évident, se souvenir des combattants tués fait penser à la menace sur la collectivité, proche ou lointaine, qui avait entraîné les siens à s’enrôler. En cela, chacun est sollicité comme citoyen et non plus seulement sous la grande coupole humaine.
Par conséquent, l’on observe un double caractère de la collectivité: d’une part, la mort héroïque énoncée comme offerte pour le bien commun supérieur et, d’autre part, l’émotion — cette fois moins exubérante mais résonante — d’une foule. Cette inscription dans le sort se lit sous un autre indice: pour la plupart des collectivités, en parallèle des cimetières militaires, les monuments aux morts tombés lors des conflits transnationaux et autres sont logés au cœur de la circulation civile et non seulement dans un cimetière.
Pour terminer cette section sur la procession comme analyseur de nos rapports à une mort ritualisée, glissons une incise concernant ce qu’il eût fallu d’efforts pour forger et soutenir cet héroïsme si clamé, et ce, à travers le rôle contributif des femmes.
Rappelons d’abord combien la place des femmes dans cet esprit d’héroïsme incarné par les hommes de leur famille reflète l’époque. Pendant longtemps, quoique de manière inégale, cet esprit leur offrait les effluves du lourd parfum du culte multimillénaire des morts pour la « Patrie ». En cascade, tous cultivaient l’idéal de se tenir au service d’une cause supérieure: les femmes se tenaient incognito au service des hommes qui, eux, livraient leurs efforts aux desseins collectifs. Il aura fallu attendre l’entre-deux guerres, au 20e siècle, alors que l’association des femmes à ce don patriotique fut soulignée en ces termes: « Le plus souvent on rappelait dans les nécrologies et les discours funèbres qu’elles avaient engendré des enfants qui étaient morts pour la Patrie ou qui avaient bien servi le pays et la société. Parfois on rappelait aussi qu’elles avaient vécu dignement à côté de leur mari17. » Tenons-nous en ici à ce jalon historique.
Les vallées de larmes versées par les mères sont certes bien réelles, même si on les a apparentées — à la limite de la supercherie, j’y reviendrai — au trait maternant d’une patrie. Néanmoins, bien par-delà les arguments légitimant ces pertes, la souffrance des compagnes et des enfants demeure incontestable et à longue portée.
Désormais, les funérailles militaires varient leur déploiement, à l’instar d’autres corps sociaux institués: secouristes, policiers et pompiers, féminins et masculins, morts en devoir. Notamment, la famille et les proches, longtemps tenus à l’arrière-plan au bénéfice de la famille de fonction, ont été rapatriés au-devant de la scène afin « d’humaniser » la cérémonie.
En somme, si, au cœur de la ritualité, le cortège se découvre essentiel dans le processus d’héroïsation, c’est qu’il tiendrait lieu de pivot dans une quête d’immortalité toute autre que la survie transcendante plus ou moins nébuleuse dans l’outre-vie, en vertu de principes spirituels: ce qui est éminemment en jeu ici, c’est la survie au fil des récits des humains et de l’Histoire. Hors du cortège céleste angélique, nous avons là un filtre pour mieux saisir l’aura étrange d’une telle brillance émanant des héros. Cette immortalité temporelle à travers le renom orientera forcément nos conduites existentielles.
Dès lors, il n’y a pas que la foule de leurs contemporains qui fait cortège. La persistance de notre attachement aux héros dessine un autre cortège, cette fois plus métaphorique et d’une richesse déterminante de nos rapports aux mondes. Marquons un arrêt sur une de ses figures-clés.
Une matrice des figures héroïques de l’Histoire :
les propositions de la Grèce antique
Remontons davantage le temps: l’honneur rendu à un congénère mort dès les premiers balbutiements rituels n’aurait fort probablement pas appelé un déploiement cérémoniel. Il s’agissait davantage de résoudre le sort du corps sans vie en l’articulant peu à peu imaginairement à un outre-monde. Pourtant, même sans cortège formel, aurait émergé l’image d’une ligne resserrée, au propre et au figuré, devant l’atterrement effrayé qui empoignait les survivants. De là, il y a lieu de se demander si, au fil des millénaires, la riposte imaginaire modelant la mort ne fut pas la réplication même du sentiment d’adversité, parmi d’autres, dans lequel nous plonge d’abord la conscience de l’altérité-mort. Si c’est le cas, la culture psychique était prête pour la mort héroïque, triomphant de l’adversité, réelle, provoquée et même imaginée. En nous référant au schéma souligné au départ, le rapport à la mort et à la survie symbolique est ici mis en relief. La mort héroïque est kaléidoscopique, le héros légendaire antique en fait foi.
En premier lieu, on sait que le modèle héroïque départage le commun des mortels d’avec les êtres supérieurs. Ici, ces derniers sont généralement reconnus tels en raison, non pas tant de leur rang et de leur fonction que d’un génie singulier et de leur aptitude à l’exploit. Ce modèle héroïque nous fait plonger dans la Grèce antique, qui l’a érigé en idéal dont les composantes définissent un archétype de belle mort (kalos thanatos). Cette mort traversera les époques et en voici quelques indices.
◼ Quasi en guise d’initiation, cette mort advient dans la fleur de l’âge, réservée aux andres jeunes, au cœur valeureux, parvenus à la plénitude d’une nature virile qui les rend agiles et vigoureux. Ici, mourir jeune est davantage conçu comme le prix de la densité déterminée que tributaire d’un désir de prestige ou de privilèges liés à une prééminence sociale. Mourir d’une vie brève et intense constitue l’acmé de la brillance charismatique. Justement, si l’on considère l’arrachement du héros à l’admiration dont il est l’objet, pour sa noble fougue et sa beauté, son geste requiert du courage18.
Chez les Grecs de la période d’Homère19, cet imago juvénile de puissance supérieure s’adosse explicitement au statut de la vieillesse: au panthéon mythologique grec, arborant un fier déni, les dieux échappent à la nécessité de vieillir. On y trouve une conception dégradée de Géras (Vieillesse), amorcée par Théophane, dans sa Théogonie, huit siècles avant notre ère. « À l’inverse d’Hébè, la Jeunesse à la couronne d’or (…), fille de Zeus et d’Héra, qui figure parmi les dieux immortels, “l’affreuse Vieillesse” y est en effet engendrée par la “ténébreuse Nuit”, elle-même née du Chaos. À ce titre, chez Hésiode, Gèras s’inscrit donc dans la lignée des divinités chthoniennes [souterraines] et figure aux côtés de Némésis (Vengeance), de Fraude, de Débauche et de Discorde, parmi les derniers des maux engendrés par la Nuit, après notamment le triste Sort, la sombre Destinée, la Mort, la troupe des Songes et le Sommeil mais aussi la cruelle Douleur20. ». Qu’en constate-t-on?
Un terme disqualifié de la relation (la vieillesse) sert de point d’appui légitimant la splendeur de l’autre (la jeunesse). (Ce biais de représentation est un procédé idéologique courant.) Bref, vieillissement et mort vont de pair chez les Grecs et sont synonymes d’opprobre. Dès lors si le vieillissement et la mort trouvent difficilement leur place dans l’arc existentiel qui va de la naissance à sa fin, l’on ne s’étonnera pas de cette glorification de la jeunesse. Mais la mort jeune ne permet pas uniquement d’échapper au poids des maladies ou de la décélération des fonctions physiques: elle fait s’approcher des dieux. Nous touchons le point nodal de l’héroïsme. En ce sens mourir jeune est le prix à payer pour s’affranchir de la condition humaine dans la mesure où celle-ci est vécue comme une malédiction. Or, ce point d’appui juvéniste essaimera au cours des siècles dans les conquêtes, qui viendront subrepticement renforcer une conception délétère des liens humains aux mondes. Le statut du héros s’y appuiera, nous faisant du même coup douter de sa valeur civilisatrice.
Néanmoins cette opposition tranchée — jeunesse d’un côté, vieillissement et mort de l’autre — est atténuée par des groupements grecs qui célébraient à la fois Géras et Thanatos. Elle peut aussi s’adoucir en reconnaissant les vertus des mondes souterrains et la force tellurique qui augurent de la fécondité de la terre, les racines qui y plongent nourrissant la valeur de la transmission.
Outre ce rapport aux âges de l’existence, ce que signalerait cette représentation de l’honneur de mourir jeune, c’est son corollaire, essentiel pour les Grecs: le corps intact du héros comme marqueur essentiel de la mort glorieuse et, partant, de la belle mort. En effet, « l’atteinte portée au cadavre prive le mort des rites funéraires sans lesquels celui-ci ne peut accéder au monde des morts ni trouver sa place, sous forme de cendres, parmi les vivants21. » La sépulture constitue le geste qui consacre le processus par lequel le caractère différenciant de l’autre monde — un non-monde — est délaissé pour s’axer sur l’univers des vivants.
◼ ◼ Cette mort désirable est le lot du guerrier animé de l’esprit d’affrontement et de compétition, jaugeant compatriotes et adversaires à cette aune et les impressionnant d’autant. En outre, muni de la puissance discrétionnaire des dieux, il peut en faire rayonner l’éclat. Ainsi, féru de l’illimitation de l’esprit chevaleresque (l’hybris ou la démesure), au premier rang de la mêlée des combattants, et donc du risque, souvent il tombe dans la bataille, refusant le déshonneur de la déroute et de la défaite des siens. Dans l’emportement du tout ou rien qui définit alors la dignité, le code d’honneur ne laisse pas de place aux négociations et encore moins à une éventuelle errance post-combat, symbole grec de la perdition. Au-dessus de toutes les autres hiérarchies, l’enjeu de sa vie octroie à la mort de ce héros unevaleur suprême. Elle est donc violente, rapide et, pourrait-on dire, sensationnelle: « Par la belle mort, l’excellence, aretê, cesse d’avoir sans fin à se mesurer à autrui, à s’éprouver en s’affrontant. Elle se réalise d’un coup et à jamais dans l’exploit qui met fin à la vie du héros22.» Ultime repos du guerrier, sa mort est libératrice, aussi extrême que l’est son sens des valeurs et ce qu’il fait peser sur lui. L’engrenage est inéluctable.
Par ailleurs, si cette belle mort est l’enjeu de l’héroïsme terminal, l’on peut concevoir qu’un héros détourne son attention de l’opinion publique, de la louange de la foule prompte à célébrer, des médailles, prix et autres récompenses. Ainsi, Achille, le héros des héros (L’Iliade d’Homère), n’est pas friand des honneurs, qu’il estime ordinaires, et de la reconnaissance sociale qui le laisse plutôt indifférent; et ce, en dépit du fait qu’il y ait là l’imparable aiguillon de sa longue renommée. (Même l’héroïsme porte ses contradictions.)
◼ ◼ ◼ En effet, un leitmotiv secret joint l’honneur attribué aux êtres qui se définissent par la renommée ou la popularité et celui dévolu à ceux qui assument le destin héroïque au prix de leur vie. Les deux procèdent d’un rapport à la vie et à la mort qui se projette par-delà leur existence. Lequel? Je l’ai évoqué en introduisant cette section-ci du texte: le désir d’immortalité « terrestre » par le caractère présumé hors temps ou éternel de leurs traces auprès des humains. Il y a recours au temps long des humains pour la pérennité dans ce monde en comparaison avec l’autre forme de survie, temps hors temps dans l’outre-monde éthéré des spiritualités et des religions. En cela, l’héroïsme parie sur ce qui est pragmatiquement vérifiable par autrui. La mort devient un passage obligé après quoi le monde des morts s’évapore pour que les vivants se sentent exister.
Plus spécifiquement sur la force de cette pérennité, en quoi se distingue-t-elle des notoriétés plus « ordinaires » ? « L’exploit héroïque s’enracine dans la volonté d’échapper au vieillissement [cerné au premier trait] et à la mort, quelque “inévitables” qu’ils soient, de les dépasser tous les deux. On dépasse la mort en l’accueillant [prématurément] au lieu de la subir et en en faisant le constant enjeu d’une vie qui prend ainsi valeur exemplaire et que les hommes célèbreront comme un modèle de “gloire impérissable”. Ce que le héros perd en honneurs rendus à sa personne vivante, quand il renonce à la longue vie pour choisir la prompte mort, il le regagne au centuple dans la gloire dont est auréolé son personnage de défunt pour tous les temps à venir. Dans une culture comme celle de la Grèce archaïque, où chacun existe en fonction d’autrui, sous le regard et par les yeux d’autrui, où les assises d’une personne sont d’autant mieux établiesque s’étend plus loin saréputation, la vraie mort est l’oubli, le silence, l’obscure indignité, l’absence de renom. Exister, au contraire, c’est — qu’on soit vivant ou qu’on soit mort — se retrouver reconnu, estimé, honoré; c’est surtout être glorifié: faire l’objet d’une parolede louange, d’un récit qui relate, sous forme d’une geste sans cesse reprise et répétée, un destin admiré de tous23. » Valeur d’un être dans le regard externe? Jusqu’à aujourd’hui?
La louange n’est pas seule à se manifester lors de la mort: le cortège et le rituel somptueux qui s’ensuivent en prennent acte également et insisteront sur l’éternité du souvenir. Encore ici, cette parole retentira.
◼ ◼ ◼ ◼ Aussi, la stature du héros ne tient-elle pas qu’à l’étoffe de son comportement rigoureux, voire rigoriste, et non plus qu’à la vision de son immortalité qui l’entraîne dans la mort. Cette stature est fonction de la perpétuation littéraire, dans l’inauguration de ce qui est proprement un art. Il ne s’agit pas de sa propre création littéraire — comme pour des vœux individuels — mais des dynamiques d’enculturation, ce processus d’assimilation des individus aux us et coutumes de leur culture; l’enculturation est essentielle pour la stabilité psychique et collective, tout en ne la résumant pas. Légendes et rhapsodies ont ainsi gagné leurs lettres de noblesse.
En cela, imaginairement, voire fantasmatiquement, le récit des exploits des uns et des autres, mémorable pour des collatéraux, tend par le logos à s’inscrire dans la mémoire des générations, à devenir part de l’Histoire, ad vitam æternam. Une forme d’athanatos ou de non-mort? Ou, frôlant cette dernière, une espérance absolue que la mort ne soit justement pas entière, qu’il subsiste dans l’ici-bas des échos d’existences, dans une persistance, elle, présumée infinie? Cette persistance peut incidemment expliquer le caractère absolutiste des formules mémorielles sur des épitaphes funéraires, dans les chants célébrant ces morts et dans les déclamations de vertus et les promesses d’infinité de l’amour qui brûlent les lèvres. Or, la persistance ne peut être seulement emblématique d’un être et confisquée telle: elle a le potentiel de devenir ferment pédagogique et source d’émulation, en somme, agente de culture.
Ces modalités semblent donc des paravents efficaces à l’effroi de la disparition: « Pour que l’honneur héroïque demeure vivant au cœur d’une civilisation, pour que tout le système de valeurs reste comme marqué de son sceau, il faut que la fonction poétique, plus qu’objet de divertissement, ait conservé un rôle d’éducation et de formation, que par elle et en elle se transmette, s’enseigne, s’actualise dans l’âme de chacun, cet ensemble de savoirs, de croyances, d’attitudes, de valeur dont est faite une culture. C’est seulement la poésie épique, par son statut et sa fonction, qui peut conférer au désir de gloire impérissable dont le héros est habité cette assise institutionnelle et cette légitimation sociale sans lesquelles il ne s’agirait plus que d’une fantaisie subjective24. »
Pour cette raison, la poésie épique, dans les récits qu’elle met en scène, devient le fondement institutionnalisé d’une structure d’immortalité que représente le culte élégiaque des héros. Ils le sont certes pour eux-mêmes, mais de manière organique, par l’entremise notamment des légendes, ils induisent une sorte de présence et traduisent a minima la valeur intrinsèque... des valeurs communes. Et, sur un plan transhistorique et transculturel, le renvoi à ces héros renforce la relation structurelle qui existe entre eux et l’inclinaison à ne pas mourir qui anime leur culture. En fait, toute culture.
D’où l’importance de relier le donné de cette antériorité temporelle à notre temps.
Que sont devenus ces imagos?
Outre les récits, les encyclopédies, les musées et par divers monuments, que reste-il de cet esprit héroïque?
Ce qui a été d’évidence modifié au cours du temps et qui est nourri des époques postérieures à celles de la célébration de ce héros guerrier, c’est la conception d’elles-mêmes qu’ont acquise les sociétés. À la différence d’une culture jalouse de ses conquêtes et qui définit son rapport à l’autre en l’abattant pour avoir le sentiment d’être un tout (les motifs en seront traités prochainement) la démocratie a fait son chemin, même fort inégal: égalité de tous les citoyens devant les instances gouvernantes, participation et équité, respect des différences et séparation des pouvoirs. L’héroïsme serait par conséquent relié à la sauvegarde de la démocratie, certes, mais il se situe aussi à la convergence d’autres enjeux, plus ou moins explicites.
Dès lors, si le phénomène n’a pas d’âge civilisationnel, les figures héroïques, en condensant le sens de la vie et la nécessité d’un trait d’union symbolique, en expriment aussi les variations de signification sur au moins trois plans interreliés, tous axés sur l’actuelle belle mort héroïque.
1. L’éclatement de la figure héroïque
De manière générale et hypothétiquement à titre de fruit de la démocratisation, le statut de l’héroïsme s’est distendu en deux directions, elles-mêmes extensives.
D’un côté, il s’est dissous au point où tout un chacun peut être « héros de », dès lors qu’il publicise l’effort de dépassement de ses limites. Et qu’il connaisse son (quart d’) heure de gloire. La notoriété ponctuelle ou constante s’attribue ainsi le qualificatif. Un protagoniste manifestant courage et astuce dans une transaction délicate, également. Bref, un « battant », quelle que soit la teneur de l’adversité, est consacré héroïque et il n’en meurt pas. De même pour les personnages de la culture populaire, ces héros divertissants de bandes dessinées, de séries télé ou web, d’arts décoratifs et tatouages.
Or, la démocratisation implique parfois l’accès à des privilèges qui accompagnent un statut. Revenons sur le terrain rituel. Par leur déploiement, les funérailles des personnages publics se sont mises à copier celles des héros25. À leur tour, les funérailles des quidams copient celles des personnages publics. Or, sans crier gare, ce phénomène fournit un facteur supplémentaire au point central, voire au seul geste survivant, condensé, lors des funérailles actuelles, l’exaltation des témoignages.
Bref, il semble que chacun peut être le héros de sa propre biographie. Reste à savoir comment en juger. Et si de l’être est important.
De l’autre côté, cette première normalisation de l’héroïsation bascule allègrement vers son contraire obligé, son qualificatif de « super ». Non seulement le super-héros peut-il régler une série de problèmes, mais en prime, il pourfend le « Mal », doté de qualités extraordinaires tenues pour des super pouvoirs. Le “narratif” qui le met en scène impressionne par les décors exubérants, les vêtements fantasques portés avec superbe, sur fond flou de son origine et de ses motivations. Les contextes différents de son évolution mettent néanmoins en scène les différentes valeurs, parfois antagonistes, prévalant dans une société. En cela, il rejoint l’esprit de certains contes.
Ce qui singularise pourtant ce type de héros? Au cinéma et dans séries et les jeux vidéo, même terrassé, il renaît de ses cendres, tel le Sphinx. En effet, le super-héros, précisément surhumain, domine la mort en la contrôlant, voire en la supprimant. C’est que les représentations des rapports entre la vie et la mort sont enclines au déni, demeurant donc poussées par l’inconscient et les méandres prodigieux et actualisés des instincts. Ici, le trait de «super» peut difficilement susciter autre idéation.
2. Figures antinomiques du bien et du mal transposées dans la mort
Toute époque secrète son moralisme26 au travers des figures héroïques, renforçant la logique agonistique — le principe de lutte —, ici exacerbé, entre le bien et le mal. Or, pour la pensée héroïque transculturelle et l’imaginaire dominant, on l’a vu, la malédiction suprême relève du déclin des capacités physiologiques, propre au vieillissement et à la maladie, pour laquelle l’épidémie sera un repoussoir notable. Et la mort même.
L’on peut aussi lutter contre des figures qui externalisent ce mal fondamental, cette peur de l’entame: cataclysmes, étrangers (jusqu’aux extra-terrestres), aberrations en tous domaines, notamment technologiques, et tyrans fournissent le carburant à cette désignation externe. Ainsi, ce qu’il y a à vaincre est relativement cernable pour des héros. Et de là, il est aisé de l’amplifier, de lui attribuer des traits terrorisants en appuyant sur nos peurs ataviques. La dominance des pouvoirs s’en nourrira.
Bien sûr, l’on peut également lutter contre des parts de soi, même si, à part les saints qui répondent à d’autres critères, cela ne fait pas de nous des héros. Si l’on se fie toutefois au schéma de base constituant la fibre héroïque, le doute affleure. Mais l’enjeu demeure de ne pas le chroniciser. Un héros n’en est pas paralysé, au contraire.
Bref, l’adversaire, voire l’ennemi éperonnent l’héroïsme. Néanmoins, le mal ne saurait se passer du bien. Toutefois ce contrepoids peut être idéalisé à l’excès, comme pour les héros antiques, ou au contraire, se décliner en étapes d’accession dûment validées.
Le bien peut aussi être instrumentalisé. En effet, issu de la tactique argumentaire, l’on discrédite ce que l’on entend par « mal » en amplifiant la désirabilité de ce que l’on estime être LE bien. Ce qui prédomine en l’occurrence? Le regard des autres, comme arbitres d’une malencontreuse joute. Notre déité entre autres couronnée de mille « like ». Et là, la mort se doit non seulement d’être contrôlée, mais jolie. Enjolivée?
3. Une esthétique tenace: la « belle » mort contemporaine
Certes, nous sommes de nos jours loin de l’édification d’une belle mort triomphale dans sa tragédie altière, selon une procédure magnifiante, laquelle n’était pas le lot de tous, loin s’en faut. Mais il serait pertinent de se demander si les soubassements de cette mort, combinée aux effluves contemporains des fantaisies super-héroïques, ne débouchent pas sur un modèle de belle mort surhumaine. Inhumaine.
Au registre du culte de la pérennité dans l’ici-bas, rappelons que l’idéal de durée est le corollaire des visées de croissance, collective et individuelle, nécessaires et parfois démesurées. Le héros lutte contre le chaos, souvent contre son propre chaos intérieur, qui brime cette croissance et sa propre image. Justement, désormais, laisser le meilleur souvenir de soi s’impose comme idéal, assurant ainsi non pas tant la pérennité immatérielle que le confort affectif des êtres qui nous entourent, lorgnant vers la postérité, génétique ou autre. En cela, pour nous comme pour les héros grecs, l’ampleur de l’opinion des autres détermine grandement l’idéal-type de fin de l’existence. Et le regard des autres, ce sont bien sûr les valeurs dominantes d’une société. Signalons-en une ou deux dans la perspective d’une contribution à ce que serait devenue la belle mort.
Au registre de l’auto-détermination comme signalement néo-héroïque, aller au-devant de la mort exerce une puissante attraction, dans une logique techno-fonctionnelle. En plus et dans l’orbite implicite de la conception de la finitude, la volonté d’échapper à la mort symbolique que serait la mésestime ou l’oubli aiderait à en devancer l’occurrence. Mais jouer du tempo de la mort demeure paradoxal à plus d’un titre. La tendance se comprend si l’on conçoit la mort d’abord et avant tout encore une fois comme un mal, un outrage (à notre singularité, à notre définition de la dignité, etc.) et non comme la loi du vivant, si complexe. Car là réside la profonde altérité du vivant. D’y apposer le critère de liberté acquiert aussi cette tonalité paradoxale, dans la mesure où nous serions assujettis au regard des autres, au creux même de la pérennité. L’on saisit du même coup l’importance d’une délivrance de la dyade souffrance-douleur, sans forcément s’attarder à l’explorer.
Cette puissante logique du mal prévaut dans le caractère ambigu de la vieillesse, dont on aime exiger qu’elle se maintienne alerte et vive. De même pour le processus du mourir, donné davantage dans une pénibilité exclusive, oblitérant, voire terrassant la part de découverte et d’accueil d’un mystère. Ainsi le flétrissement de l’énergie, les fonctions organiques, motrices et cognitives, qui signent leur décélération ultime dans le trépas, sont encore en part dominante considérées comme impudiques et indignes.
Le décor est planté pour que les valeurs dominantes insistent en contrepoint sur la belle mort en tant qu’elle soit contrôlée, c’est-à-dire dûment planifiée à l’agenda. Dans cette logique performative sur-humaine, on comprend l’exigence d’une mise en scène douce et belle, à la limite, plaisante. L’injonction porte alors sur le courage d’y acquiescer.
Comme pour celle du héros antique, du héros tragique ou de nos champions actuels, la mort sinon soudaine, du moins planifiée, sans nous confier à l’arc du temps, confère ainsi un statut supérieur. Les humains réclament du « plus que » et de l’extra, alors une fois les dieux hors humains déchus, la cote des dieux humanisés remonterait-elle?
Nous aimons les héros ?
Parce que nous aimons l’aventure, nous voulons accepter le risque, nous qui sommes tout à la fois rationnels et imaginaires, solitaires et solidaires, spirituels et incarnés. Limités et inventifs. L’héroïsme chanté ou tonitruant serait-il le seul modèle de vie? À l’avenant, si la mort révèle en une certaine part les êtres à eux-mêmes et aux autres, la mort héroïque en est-elle la seule forme?
De toutes les manières, cette mort, comme cette vie des héros, nous indiquent de ne pas négliger ce à quoi nous tenons. Au fond: par quelles valeurs la vie nous intéresse-t-elle?
Nous disposons de quelques cortèges réels, funéraires ou non et, certes, métaphoriques, pour nous accorder à ce pas tonique. Hormis le bien-être de nous adonner à ces questionnements, notre culture nous en serait reconnaissante. Dans la musique du silence.
© 2025 Luce Des Aulniers, professeure-chercheure
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Notes
- PLINE LE JEUNE (1991). Le Temps à soi, Lettres (An 97-104) choisies et traduites par Daniel STISSI, Paris, Arléa, 245 p., p. 42, 54.
- KRISTEVA, Julia (1999). Le génie féminin. T.1. Hannah ARENDT, Paris, Gallimard-Folio, 408 p., p. 19.
- CAMPBELL, Joseph (1991). The Hero’s Journey. Joseph Campbell on his Life and Work, San-Francisco, Harper, 255 p., p. 217. Les traits sont pour ce texte-ci très sommairement résumés.
- PINÇONNAT, Christel (2002). « Le temps des nouveaux guerriers. Le héros culturel, figure de la reconquête identitaire et territoriale », Amnis (Revue des sociétés et cultures contemporaines Europe-Amériques), No 2, journals.openedition.org/amnis/150; doi.org/10.4000/amnis.150.
- DES AULNIERS, Luce (2010). « Le statut culturel ambigu de la mort: entre marginalisation et héroïsation. Quels possibles pour l’accompagnement des mourants? », HAMELIN-BRABANT, L., BUJOLD, L, VONARX, N. (éds.), Des sciences sociales dans le champ de la santé et des soins infirmiers, T.2 À la rencontre des âges de la vie, des vulnérabilités et des environnements, Québec, Presses de l’Université Laval, 376 p., p. 105-134.
- TILLIER, Bertrand (2025). « Les obsèques de Louise MICHEL », Histoire par l'image, consulté le 22/02/2025 : histoire-image.org/etudes/obseques-louise-michel
- COURTOIS, Martine (1991). Les mots de la mort, (préface: L.-V. THOMAS), Paris, Bélin, 1991, 415 p., p. 336.
- La remarque vaut pour les défilés « jazzés », au pas codifié, soit lent, soit plus rapide, typiques de la Louisiane et pour les processions lors de la Fête des morts mexicaine. S’y trouvent des cuivres éclatants.
- Tiré de PORTER, John (dir.), rapport de BRISSON, Réal (1988). La Mort au Québec, (ill.), Québec, CÉLAT (Centre de recherche Cultures, Arts, Sociétés), Université Laval, 144 p., p. 24-25.
- DOYON, Madeleine (1952). « Rites de mort dans la Beauce », Québec, Archives du CÉLAT, Université Laval, cité par BLACKBURN, Marthe, ROY, Jean-Yves (1978). In section sur la mort dans l’histoire du Québec (document re long-métrage Raison d’être, Yves DION, réal., 1977), La mort, (ill.) Medium Média, Office National du Film, 48 p., p. 14. Visionnements commentés par L. DES AULNIERS, 1977-78.
- THOMAS, Louis-Vincent (1982). « Le symbolisme dans la mort africaine », Bulletin de la Société de Thanatologie, repris dans Les chairs de la mort : Louis-Vincent THOMAS, BROHM, Jean-Marie (éd.) (Paris, Institut d’édition Sanofi-Synthélabo, 572 p., p. 172-173.
- Un exemple de cette règle implicite réside dans la photographie coiffant le Cohabiter 11, représentant des oies blanches tournoyantes. Elles obéissent à la règle désignée comme « BOIDS » (contraction de birds-oiseaux en déplacement), celle des regroupements en mouvement: assez de séparation ou d’espace pour ne pas se cogner, assez d’alignement pour bouger avec d’autres à la même vitesse, dans une direction donnée, changeante, et enfin, assez de cohésion pour rester près les uns des autres et former une figure tout en imprimant une harmonie d’ensemble, sorte d’intelligence collective, implicite, spontanée.
- MONTANDON, Alain (1993). « L’étiquette du deuil dans les traités de savoir-vivre au XIXe siècle », Textes réunis par MONTANDON-BINET, Christiane, MONTANDON, Alain, Savoir mourir, (préface: L.-V. Thomas), Paris, L’Harmattan, Coll. Nouvelles études anthropologiques, p. 133-151, 313 p., p. 138.
- Les arts macabres ont fleuri dans l’Europe du 14e siècle, comme suite aux épidémies, guerres et famines, en suscitant une mystique originale qui a laissé place à l’intériorisation du souci destinal, mais sous ce trait distinctif propre au mouvement des danses dites macabres: l’allégorie cavalière emporte tous sans exception, du pape à la fillette. Le caractère égalisateur de la mort ressort au travers de la danse entre la vie et la mort, apposant sur les murs des cimetières et des églises le processus de minéralisation des corps. Le « macabre » est à distinguer du « morbide », cet attribut typique du plaisir malsain en lien avec la mort.
- HUGO, Victor, dans Les Misérables, œuvre-phare du 19e et du 20e siècles, mots prêtés à un idéal-type, ENJOLRAS, haranguant la foule venue à l’enterrement du héros révolutionnaire Lamarque, en 1832 (en épidémie de choléra), cité par LAURENTIN, Emmanuel, « Mort d’Alexeï NAVALNY. Le cortège funèbre d’un opposant politique », Balado Lecture d’Actu, France-Culture, 4 mars 2024. Aussi : « Citoyens, vous représentez-vous l’avenir? Les rues des villes inondées de lumière, des branches vertes sur les seuils, des nations sœurs, les hommes justes, les vieillards bénissant les enfants, le passé aimant le présent, les penseurs en pleine liberté, les croyants en pleine égalité, pour religion le ciel (...) Plus de haines, la fraternité de l’atelier à l’école, pour pénalité et pour récompense la notoriété. À tous le travail, pour tous le droit, sur tous la paix, plus de sang versé, plus de guerres, les mères heureuses! »
- Objet de procédure détaillée au Chap. 11 (« Services religieux et funérailles ») du Manuel de l’exercice et du cérémonial des Forces armées canadiennes, lors de funérailles nationales, militaires ou civiles.
canada.ca/fr/services/defense/fac/systeme-identite-militaire/manuel-exercice.html. - MARGARITIS, Georges (1993). « “Mourir à la manière des héros”. Influences du culte des “morts pour la Patrie”, sur les pratiques funéraires en Grèce dans la première moitié du XXe siècle », Savoir mourir, op. cit. p. 105-117, p. 116.
- Nous savons maintenant que l’évaluation juste des risques, au plan neurocognitif, n’est pas vraiment assumée avant 25 ans chez les jeunes adultes, masculins en particulier. Mais un jeune aventurier téméraire, s’il en périt, acquiert néanmoins aujourd’hui le statut de héros, surtout pour ses pairs.
- Homère fut un poète donné comme aveugle qui aurait vécu au 8e siècle avant J.-C., auteur présumé du double ouvrage épique fondateur de la littérature occidentale, L’Iliade et l’Odyssée.
- BOUDON-MILLOT, Véronique (2023). Vieux, un Grec ne peut pas l’être, suivi de traité de Galien, Sur la santé, Livre V, Paris, Les Belles-Lettres, 376 p., p. 13.
- GALHAC, Sylvie (2018). « La mort dans l’Iliade et l’Odyssée: une clé pour mieux appréhender le héros homérique et son corps », FONKOUA, Romuald, ORR, Muriel (éds.), Le héros et la mort dans les traditions épiques, Paris, Karthala, p. 201-210, 416 p, p. 202.
- VERNANT, Jean-Pierre (1984). « La belle mort ou le cadavre outragé », Bulletin de la Société de Thanatologie, Études sur la mort, nos 58-59, 1984, p. 4-18, 62 p., p. 4.
- Ibid., p. 7.
- Ibid., p. 8.
- Au point où certaines se transforment en un service public, quand ce n’est en funérailles nationales. Le service protocolaire de l’État s’en charge jusqu’à la disposition des restes, laquelle est depuis cinq décennies laissée dans « l’intimité », en contraste avec la forte publicisation préalable.
- Moralisme n’est pas entendu ici au sens péjoratif que le discours courant en donne. Il s’agit de la conscience morale qui nous fait distinguer entre les valeurs et opter pour celles qui favorisent le mieux-être humain. On peut aussi distinguer la morale comme étant le lien aux mondes «supérieurs» et l’éthique comme concernée par les liens entre humains et sociétés. Dans les deux cas, une structure de sens nous aide à discerner.
À la mémoire de Jean-Pierre VERNANT, †2007
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PLINE LE JEUNE (1991). Le Temps à soi, Lettres (An 97-104) choisies et traduites par Daniel STISSI, Paris, Arléa, 245 p., p. 42, 54.
KRISTEVA, Julia (1999). Le génie féminin. T.1. Hannah ARENDT, Paris, Gallimard-Folio, 408 p., p. 19.
CAMPBELL, Joseph (1991). The Hero’s Journey. Joseph Campbell on his Life and Work, San-Francisco, Harper, 255 p., p. 217. Les traits sont pour ce texte-ci très sommairement résumés.
PINÇONNAT, Christel (2002). « Le temps des nouveaux guerriers. Le héros culturel, figure de la reconquête identitaire et territoriale », Amnis (Revue des sociétés et cultures contemporaines Europe-Amériques), No 2, journals.openedition.org/amnis/150; doi.org/10.4000/amnis.150.
DES AULNIERS, Luce (2010). « Le statut culturel ambigu de la mort: entre marginalisation et héroïsation. Quels possibles pour l’accompagnement des mourants? », HAMELIN-BRABANT, L., BUJOLD, L, VONARX, N. (éds.), Des sciences sociales dans le champ de la santé et des soins infirmiers, T.2 À la rencontre des âges de la vie, des vulnérabilités et des environnements, Québec, Presses de l’Université Laval, 376 p., p. 105-134.
TILLIER, Bertrand (2025). « Les obsèques de Louise MICHEL », Histoire par l'image, consulté le 22/02/2025 : histoire-image.org/etudes/obseques-louise-michel
COURTOIS, Martine (1991). Les mots de la mort, (préface: L.-V. THOMAS), Paris, Bélin, 1991, 415 p., p. 336.
La remarque vaut pour les défilés « jazzés », au pas codifié, soit lent, soit plus rapide, typiques de la Louisiane et pour les processions lors de la Fête des morts mexicaine. S’y trouvent des cuivres éclatants.
Tiré de PORTER, John (dir.), rapport de BRISSON, Réal (1988). La Mort au Québec, (ill.), Québec, CÉLAT (Centre de recherche Cultures, Arts, Sociétés), Université Laval, 144 p., p. 24-25.
DOYON, Madeleine (1952). « Rites de mort dans la Beauce », Québec, Archives du CÉLAT, Université Laval, cité par BLACKBURN, Marthe, ROY, Jean-Yves (1978). In section sur la mort dans l’histoire du Québec (document re long-métrage Raison d’être, Yves DION, réal., 1977), La mort, (ill.) Medium Média, Office National du Film, 48 p., p. 14. Visionnements commentés par L. DES AULNIERS, 1977-78.
THOMAS, Louis-Vincent (1982). « Le symbolisme dans la mort africaine », Bulletin de la Société de Thanatologie, repris dans Les chairs de la mort : Louis-Vincent THOMAS, BROHM, Jean-Marie (éd.) (Paris, Institut d’édition Sanofi-Synthélabo, 572 p., p. 172-173.
Un exemple de cette règle implicite réside dans la photographie coiffant le Cohabiter 11, représentant des oies blanches tournoyantes. Elles obéissent à la règle désignée comme « BOIDS » (contraction de birds-oiseaux en déplacement), celle des regroupements en mouvement: assez de séparation ou d’espace pour ne pas se cogner, assez d’alignement pour bouger avec d’autres à la même vitesse, dans une direction donnée, changeante, et enfin, assez de cohésion pour rester près les uns des autres et former une figure tout en imprimant une harmonie d’ensemble, sorte d’intelligence collective, implicite, spontanée.
MONTANDON, Alain (1993). « L’étiquette du deuil dans les traités de savoir-vivre au XIXe siècle », Textes réunis par MONTANDON-BINET, Christiane, MONTANDON, Alain, Savoir mourir, (préface: L.-V. Thomas), Paris, L’Harmattan, Coll. Nouvelles études anthropologiques, p. 133-151, 313 p., p. 138.
Les arts macabres ont fleuri dans l’Europe du 14e siècle, comme suite aux épidémies, guerres et famines, en suscitant une mystique originale qui a laissé place à l’intériorisation du souci destinal, mais sous ce trait distinctif propre au mouvement des danses dites macabres: l’allégorie cavalière emporte tous sans exception, du pape à la fillette. Le caractère égalisateur de la mort ressort au travers de la danse entre la vie et la mort, apposant sur les murs des cimetières et des églises le processus de minéralisation des corps. Le « macabre » est à distinguer du « morbide », cet attribut typique du plaisir malsain en lien avec la mort.
HUGO, Victor, dans Les Misérables, œuvre-phare du 19e et du 20e siècles, mots prêtés à un idéal-type, ENJOLRAS, haranguant la foule venue à l’enterrement du héros révolutionnaire Lamarque, en 1832 (en épidémie de choléra), cité par LAURENTIN, Emmanuel, « Mort d’Alexeï NAVALNY. Le cortège funèbre d’un opposant politique », Balado Lecture d’Actu, France-Culture, 4 mars 2024. Aussi : « Citoyens, vous représentez-vous l’avenir? Les rues des villes inondées de lumière, des branches vertes sur les seuils, des nations sœurs, les hommes justes, les vieillards bénissant les enfants, le passé aimant le présent, les penseurs en pleine liberté, les croyants en pleine égalité, pour religion le ciel (...) Plus de haines, la fraternité de l’atelier à l’école, pour pénalité et pour récompense la notoriété. À tous le travail, pour tous le droit, sur tous la paix, plus de sang versé, plus de guerres, les mères heureuses! »
Objet de procédure détaillée au Chap. 11 (« Services religieux et funérailles ») du Manuel de l’exercice et du cérémonial des Forces armées canadiennes, lors de funérailles nationales, militaires ou civiles.
canada.ca/fr/services/defense/fac/systeme-identite-militaire/manuel-exercice.html.
MARGARITIS, Georges (1993). « “ Mourir à la manière des héros ”. Influences du culte des “morts pour la Patrie”, sur les pratiques funéraires en Grèce dans la première moitié du XXe siècle », Savoir mourir, op. cit. p. 105-117, p. 116.
Nous savons maintenant que l’évaluation juste des risques, au plan neurocognitif, n’est pas vraiment assumée avant 25 ans chez les jeunes adultes, masculins en particulier. Mais un jeune aventurier téméraire, s’il en périt, acquiert néanmoins aujourd’hui le statut de héros, surtout pour ses pairs.
Homère fut un poète donné comme aveugle qui aurait vécu au 8e siècle avant J.-C., auteur présumé du double ouvrage épique fondateur de la littérature occidentale, L’Iliade et l’Odyssée.
BOUDON-MILLOT, Véronique (2023). Vieux, un Grec ne peut pas l’être, suivi de traité de Galien, Sur la santé, Livre V, Paris, Les Belles-Lettres, 376 p., p. 13.
GALHAC, Sylvie (2018). « La mort dans l’Iliade et l’Odyssée: une clé pour mieux appréhender le héros homérique et son corps », FONKOUA, Romuald, ORR, Muriel (éds.), Le héros et la mort dans les traditions épiques, Paris, Karthala, p. 201-210, 416 p, p. 202.
VERNANT, Jean-Pierre (1984). « La belle mort ou le cadavre outragé », Bulletin de la Société de Thanatologie, Études sur la mort, nos 58-59, 1984, p. 4-18, 62 p., p. 4.
Ibid., p. 7.
Ibid., p. 8.
Au point où certaines se transforment en un service public, quand ce n’est en funérailles nationales. Le service protocolaire de l’État s’en charge jusqu’à la disposition des restes, laquelle est depuis cinq décennies laissée dans « l’intimité », en contraste avec la forte publicisation préalable.
Moralisme n’est pas entendu ici au sens péjoratif que le discours courant en donne. Il s’agit de la conscience morale qui nous fait distinguer entre les valeurs et opter pour celles qui favorisent le mieux-être humain. On peut aussi distinguer la morale comme étant le lien aux mondes «supérieurs» et l’éthique comme concernée par les liens entre humains et sociétés. Dans les deux cas, une structure de sens nous aide à discerner.