Décembre 2016. Noël approche. Nous venons de passer un peu plus d’une année ensemble par le biais de mes chroniques mensuelles. L’écriture me permet de me rapprocher de votre expérience de deuil et de penser à vous plus particulièrement en cette période des Fêtes. Je mesure votre chagrin. Puisque la perte irréversible demeure une épreuve difficile à mettre en mots, les larmes prennent naturellement le relais. Le deuil fait mal. Comment vivre avec le manque et avec le sentiment de solitude exacerbé en ce temps festif de l’année ?
Nous avons vu que le rythme d’adaptation varie pour chacun et que le chemin du deuil oblige à des allers-retours entre la détresse et l’apaisement. Pour la plupart, le deuil suit son cours selon un processus normal et bien documenté. Il n’en demeure pas moins que la perte, quelles qu’en soient les circonstances, donne le vertige et engendre une impression de vide dans lequel l’endeuillé s’engouffre aisément. Le deuil déstabilise, il chamboule les habitudes de vie ; le départ de l’être cher déconcerte, il inflige une rupture avec sa propre identité. Comment dès lors retrouver son aplomb ?
Notre style d’attachement détermine notre façon de composer avec la mort. Le sentiment d’abandon, la dépendance affective et l’incapacité de composer avec les séparations ou avec l’interruption de projets sont des enjeux qui peuvent ralentir la traversée du deuil. S’ajuster à la nouvelle situation et s’adapter à des virages inattendus, à l’absence de solutions immédiates alors que rien ne nous semblait impossible il y a encore peu de temps, tels sont les nouveaux défis, les efforts gigantesques à déployer : le courage de vivre tandis que l’être cher vient de nous quitter.
Pour retrouver l’équilibre, nous sommes conviés à apprivoiser l’art de vivre seul, conjugué à la capacité de nous investir dans de nouvelles relations ou de chérir à nouveau les liens déjà établis. La perte d’un être cher n’a rien de comparable aux autres coups durs de la vie, à moins d’avoir vécu une relation destructrice ou toxique avec la personne décédée ; dans ce cas, la perte pourrait procurer un effet de soulagement. Mais comment le dire et à qui le dire sans crainte d’être jugé ? Quand la complicité entre un père et son fils n’a jamais pu exister ou que prédomine le sentiment de n’avoir aucune « parenté » avec sa propre mère, comment réagir à la mort d’une personne perçue comme proche, mais ressentie comme éloignée ? Les larmes ne coulent pas toujours sur la seule perte, elles traduisent parfois le manque d’amour qui a durement marqué la relation.
Qu’il est difficile d’aimer, clame le poète Gilles Vigneault, de perdre un être et de revoir sa vie autrement ! L’incertitude et l’insécurité dominent pendant un certain temps même si on doit retrousser ses manches et surmonter l’épreuve avec indulgence envers soi et patience envers autrui. La route n’est pas lisse, elle nous entraîne dans la pénombre avant de nous ramener vers la lumière qui patiente au plus profond de nous.
Tout au long de l’an 2016, par l’entremise du web, j’ai tenté d’identifier les possibles quand tout semble perdu. Ainsi, nous nous sommes réunis lors de la conférence de Louise Portal à propos de la perte de sa sœur jumelle ; son témoignage et sa simplicité nous ont touchés. Puis, rappelez-vous, nous avons été plus de six cents à admirer le talent de la violoniste Angèle Dubeau et son ensemble musical. Souvenir impérissable. Et au mois d’octobre, vous êtes venus en très grand nombre à la journée-colloque sur le deuil pour entendre des conférenciers sensibilisés à cette question essentielle, bien que volontiers éludée dans la société occidentale. Ils nous ont transmis leurs connaissances, leurs propres expériences tandis que les endeuillés ont pu partager leur parcours avec eux, à la Maison d’Italie, à Montréal. J’en suis revenue convaincue : les personnes décédées réunissent les endeuillés.
D’autres activités sont prévues en 2017, car les célébrations autour du centenaire du Repos Saint-François d’Assise nous ont incités à prolonger le lien avec les familles en deuil et avec les internautes désireux d’approfondir ce qui entoure la mort, la perte et la reconstruction de vie. J’éprouve une immense gratitude à l’endroit de la direction du Repos Saint-François d’Assise, qui demeure la pierre angulaire de toutes ces réalisations.
Vous serez informés des projets à venir. D’ici là, j’aimerais vous offrir, pour les déposer sous votre arbre de Noël, des citations qui pourront, je le souhaite vivement, vous procurer un brin de réconfort.
« Même si tout est cassé en nous, il reste toujours une part, si fragile soit-elle, par où la vie peut encore se faire une brèche. C’est au fond même de nos vies brisées que se joue la guérison. » (Fischer, 2015).
« L’adulte en deuil réapprend à marcher en s’accrochant au fil du souvenir, suspendu à la main d’autrui, livré à l’aujourd’hui de la perte, mais puissant de l’amour qui a été partagé. C’est cet amour enfoui, mais qui a existé, qui permettra au voile de se lever pour aimer encore, aimer à en mourir, aimer à en revivre. » (de Montigny, 2010).
« Nous sommes appelés à sortir de nos cachettes de poussière, de nos retranchements de sécurité, et à accueillir en nous l’espoir fou, immodéré d’un monde neuf, infime, fragile, éblouissant. Naître, voilà l’invitation de Noël. » (Singer, 2007).
Johanne de Montigny
Psychologue
Références :
de MONTIGNY, Johanne. Quand l’épreuve devient vie, Montréal, Médiaspaul, 304 p.
FISCHER, Gustave-Nicolas. Guérir sa vie – Un chemin intérieur, Paris, Odile Jacob, 2015, 160 p.
SINGER, Christiane. Derniers fragments d’un long voyage, Paris, Albin Michel, 2007, 140 p.
VIGNEAULT, Gilles. Qu’il est difficile d’aimer, Poème : « Le doux chagrin » (paroles et musique de l’auteur).