La mise au monde d’un enfant mort-né, la perte due au syndrome de la mort subite du nourrisson, en d’autres termes perdre un bébé attendu et aimé, est une épreuve familiale extrêmement difficile à surmonter.
Les parents, les grands-parents, la fratrie attendent le tout-petit avec une joie infinie. Sa chambre aux couleurs pastel dégage une atmosphère paisible, sécurisante. Après de nombreux échanges avec l’entourage, deux noms ressortent. On veut d’abord découvrir la frimousse du poupon avant de choisir celui qui lui conviendra le mieux. Le futur s’annonce prometteur, il rend les parents si heureux que les soucis quotidiens n’ont aucune prise sur eux.
Neuf mois de grossesse, de cohabitation dans le giron maternel, neuf mois de complicité avec une maman transformée par l’expérience et par la perspective de donner la vie pour la première, la deuxième ou la troisième fois. Le père, enchanté, sifflote à tout bout de champ pour exprimer son enthousiasme de voir arriver son enfant. Papa poule, il élabore des projets de toutes sortes. Il visualise son enfant aux différents âges de la vie. La perspective de l’accouchement le rend fébrile. Il aspire à respirer en harmonie avec son épouse durant le travail. Cette sensation d’« accoucher à deux », quoique symbolique, apporte son lot de bonheur partagé.
Voilà l’état dans lequel la plupart des parents se trouvent devant l’enfant à naître. Mais quand le rêve tourne au cauchemar, en quelques heures tout s’écroule. L’enfant naît, mais sans vie. Cet enfant que l’on espérait est mort-né. Le choc s’avère brutal, la nouvelle troublante, la réalité dénuée de sens. C’est le monde à l’envers, les projets d’avenir viennent de basculer. Le moment est grave. Le médecin, l’infirmière puéricultrice et la sage-femme expriment leurs condoléances en proposant aux parents un rituel de passage d’une vie trop courte, d’une mort prématurée. Dans La mort d’un enfant, Maryse Dumoulin l’évoque : « La simultanéité d’une vie attendue et de la mort advenue, plonge les parents dans l’intolérable et l’impensable. »
Le couple accueille l’enfant-mort dans ses bras ; chacun le caresse une première et une dernière fois. L’infirmière cristallise une vie enlevée trop tôt en photographiant le petit corps inanimé. Son geste se veut sacré, il signifie la reconnaissance du deuil familial. Le souvenir est nécessaire à la traversée d’un deuil aussi singulier : le deuil du futur. Comment se reconstituer après pareil drame, comment revenir à la femme qu’on était avant de devenir mère ? Comment défaire neuf mois d’amour fusionnel où nous étions autant l’autre que nous-même ? « Si la mère peut parler à cet enfant mort-né, lui dire au revoir, proposent les auteurs Poletti et Dobbs, le processus de deuil peut s’en trouver facilité. Dans toute la mesure du possible, un service funèbre ou du souvenir devrait avoir lieu auquel toute la famille peut s’associer. »
Pour les grands-parents aussi, la peine est immense. L’ordre présumé des générations ne tient plus la route. Un petit enfant meurt tandis qu’eux, les doyens, poursuivent leur route. Leur désir de transmission reste comme suspendu. Solidaires avec leurs propres enfants, ils tentent d’emprunter à nouveau le chemin de la vie, une vie bouleversée. La solidarité familiale brise l’isolement, ouvre la communication et apporte à chacun le soutien nécessaire à la guérison psychique.
L’écriture compte parmi les moyens les plus accessibles pour déposer son grand chagrin et tenter de redonner vie à ce qui s’est enfui. Un ouvrage conçu par Suzy Fréchette-Piperni offre aux parents un soutien qui les aidera à affronter les moments difficiles ; il s’intitule justement Les rêves envolés. Rédiger une lettre à l’enfant que l’on a porté, mais qui n’est plus, consolide le lien d’amour que même la mort ne peut abolir.
Le témoignage de cette maman en fait foi : « Moi, je me sens très forte. Après le choc et l’abattement dus à la mort de mon bébé, j’ai refait surface grâce à nos visites au cimetière où repose mon fils, grâce aux photos de notre bébé. À présent je me sens prête à mon tour à aider d’autres mères en détresse et à prouver que parler de son bébé parti trop tôt, ou montrer sa photo à qui en exprime le désir, est un bonheur renouvelé. Ces instants merveilleux nous permettent de faire exister notre enfant. Et cette reconnaissance-là, c’est la véritable guérison. » (Mme D.)
La petite aura un nom, on l’appellera Céleste, et son prénom restera toujours celui d’une personne à part entière, bien réelle même si elle s’en est allée, celui de notre fille entraperçue.
Johanne de Montigny
Psychologue
Références :
DUMOULIN, Maryse. La mort du tout-petit, dans La mort d’un enfant : fin de vie de l’enfant, le deuil des proches, sous la direction de Michel Hanus, Paris, Vuibert, Collection Espace éthique, 2006, p. 317-333, (Témoignage de Mme D.).
FRÉCHETTE-PIPERNI, Suzy. Les rêves envolés : traverser le deuil d'un tout petit bébé – Guide pour les parents endeuillés et ceux qui les accompagnent, Boucherville, Québec, Éditions de Mortagne, 2005, 464 p.
POLETTI, Rosette et Barbara DOBBS. Vivre un deuil et croître – Faire de tous les moments de sa vie une symphonie achevée, Genève, Éditions Jouvence, 1993, 155 p.