Cohabiter 3
« Par tant d’aspects donc, mais jamais exposés, précisés ou explicités, Régis DEBRAY, 20111
« Nul ne peut échapper à la mort, elle est inéluctable. *Notamment la Pyramide de la Lune, au bout de l’avenue des Morts, Quetzalcoatl, Mexique. Eduardo Matos MOCTEZUMA, 20002 |
LE LIEU, CE «TOPOS», INSPIRE L’ÉCLOSION DU RITE, COMME ON L’A OBSERVÉ AU TEXTE PRÉCÉDENT (COHABITER 2, Partie I). Si ce constat de connivence entre un lieu précis et ce qui est propice au rite vaut pour toute activité humaine qui entend marquer un changement — même non spectaculaire —, qu’en est-il s’agissant de la mort, ce suprême changement?
L’activité rituelle y est alors gorgée de sens, simplement parce que se met en place un jeu unique entre une existence terrestre qui se ferme et une autre qui s’ouvre à l’imaginaire humain animé du principe de l’espoir qui devient espérance3 : une fabuleuse combinatoire de l’esprit des lieux et de la vie de l’esprit, mais bien concrètement assumée.
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Les sens des lieux, sous l’énigme qui persiste... et signe
Le savons-nous bien? Cette vie de l’esprit prend généralement relais ou même assise au sein des institutions. En effet, nos élaborations mentales ou cet imaginaire organisé sous forme d’idées articulées avec cohérence croissent au sein des institutions qui en privilégient des parts. Institutions civiques et politiques, d’éducation et de soin, y compris celles qui sont consacrées aux morts, mais oui.
Ainsi, les alliages concernant l’au-delà, tels qu’ils ont été intuitionnés par la culture populaire, puis réinterprétés par les religions, localisent volontiers des espaces immatériels où une ou plusieurs composantes de ces ex-vivants mèneraient une forme d’outre-vie. On verra sommairement ici4 que les modèles en sont bien définis et se consolident sous la pensée d’un sort commun autour duquel gravite l’humanité.
Bien que (ou parce que?) ce sort post-mortem soit déporté dans l’invisible5, il est associé aux autres lieux tangibles qui accueillent le passage de la mort-événement. La ritualité tire sa substance de cette articulation entre le prosaïque symbolisé du devenir des restes physiques et la propension vers l’infini. Pourquoi? À la base, parce que le sort de leurs devanciers incite les vivants à se concerter, voie imparable d’une culture à élaborer sans cesse. Dès les origines de la culture et y participant puissamment, le rite y pourvoit, le langage aussi ; les deux dès lors sont à traiter avec soin, comme ce fut souligné dans le texte précédent. L’élan vers cet Invisible les anime éminemment.
Aux lieux spécifiques des morts correspond ainsi jusqu’à aujourd’hui un lieu des passagers humains par lequel se déploie forcément la loi d’une tentative de mise en sens, qui fait le trait singulier du rite. (Le rite s’avère alors bien différent des ritualisations contemporaines rivant ce sens à une signification par définition visible à l’oeil nu et bien “de son temps” : la référence en dominante à son “expérience personnelle“ et, à l’avenant, l’énoncé souvent exclusif des subjectivités individuelles.)
De la sorte, le lieu, les lieux concernant les morts sont tenaces, ne serait-ce qu’en ceci : ils sont foncièrement concernés par l’admission de la grande énigme de l’humanité et ce, bien avant le mot d’ordre contemporain d’apaisement à l’endroit des êtres en deuil.
Tel que ce fut sérié déjà, on trouve les lieux au sens géographique, toponymique, ces centres funéraires, les cimetières, les monuments, les mémoriaux ou les espaces de commémoration. Tous reflètent ce qu’une société montre, délaisse ou tient à conserver de son histoire et, certes, des traces de la mort. En cela, les lieux témoignent des rapports sociaux qui habitent une collectivité, à savoir les valeurs, voire la sacralité, mais aussi le processus d’élaboration même de ses modes de fonctionnement et de ses relations réelles aussi bien qu’imaginaires. Par conséquent, les lieux ne peuvent obéir au seul goût du jour ou à un empilement de fantaisies individuelles. (À suivre)
Un lieu rituel nous enjoint à équilibrer une dyade singulière : d’un côté, le rapprochement entre les êtres qui s’y trouvent à cette occasion marquante dont ils sont “proches” émotivement ; de l’autre, la nécessité de se distancer doucement de l’émotion brute suscitée par l’évènement qui justifie le rite. Par exemple, si la présence de la mort convoque ledit rite, elle provoque en même temps le double mouvement de se réunir dans l’émotion partagée ET de trouver une place au mort qui soit la sienne propre : la citation d’ouverture la donnait au dehors du cercle des vivants, comme pivot silencieux des existences et des devenirs collectifs, par-delà la souffrance qu’il génère.
C’est pourquoi le rite de mort est unique dans la palette des rites de passage, ici définitif.
Bien sûr, cette distanciation, que j’ai déjà désignée (Cohabiter I) comme s’amorçant par une séparation réciproque, n’équivaut pas à un délaissement. Même éprouvante, la mise à distance consciente demeure la clé qui nous fait plutôt commencer à accueillir le changement dans la relation : ce principe d’évolution des liens affectifs qui vient instaurer un écart en regard de l’expérience et du lien familier vaut d’ailleurs pour tous, déjà entre vivants.
Accepter ledit changement implique de concevoir que le lien avec l’être qui n’est plus change de registre, allant du temporel partagé vers l’intemporel à la fois flou et restaurateur du courage de vivre. Cet écart de registre, si intimement ressenti, se négocie néanmoins mieux au sein du groupe et avec son soutien. Cette dynamique entre engagement des participants et mise à distance avisée, lorsqu’elle est prise à bras-le-corps dans un lieu rituel, contribue fortement à nourrir nos rapports à la finitude. Et ces rapports à la finitude englobent l’expérience de toute perte, en nous intimant de concevoir ô combien la mort est, encore une fois, bien sûr une fin mais aussi la condition de tout ce qui vit. La finitude peut nous habiter au quotidien avec une relative sérénité et nous soutenir devant la mort comme événement et terminaison imparables.
L’on comprendra donc que l’enjeu ne tient pas à l’acceptation de la mort comme telle, au terme d’un “cheminement” dans un parcours du combattant traversant toutes les étapes de qualification au deuil réussi. Bien autrement, si, de façon réaliste, je me fie à mes constats cliniques et à l’histoire même des cheminages de deuil, le chemin à éclairer consiste à prendre sur soi, dans un ensemble humanisant, et au-dedans de soi, les effets de la perte d’un être6. Et ces effets peuvent être vus comme un prisme de sens du fait même que nous nous inscrivons dans la finitude.
Aussi, cet équilibre exigeant entre, d’un côté, notre implication viscérale et, de l’autre, une prise de distance psychiquement bienvenue, se ressent-il justement dans les lieux désignés par autre que soi, producteurs de repères et, de ce fait, réconfortants. Car le réconfort ne se rive pas à la réplication du connu, même si ce dernier y taille sa place.
La tenue en ces lieux ne se résume pourtant pas à une raideur protocolaire. Lorsqu’on les considère de près, on entend qu’ils peuvent susciter solennité et silence autant que réflexion. On l’a vu précédemment, la perception que nous en avons — par l’air ambiant, les volumétries, l’éclairage, l’aération, l’odeur et tutti — contribue à l’ambiance féconde qui nous aide à reconstruire ce qui fut et à lancer l’imagination concertée face à ce qui nous trouble, nous heurte et nous dépasse.
En clair, pour nous distancier de notre chagrin abrupt, il nous faut justement un lieu autre que seulement personnalisé, et même, hors du diktat actuel du type «à l’image de» l’être qui n’est plus. Autrement dit, opérer (déjà, le terme est suspect) un rituel dans une grange, un pré, une baie, une cour ou un jardin, un bar, un restaurant de prédilection ou tout autre lieu familier et investi, ne confère pas un caractère rituel au geste, même s’il peut émouvoir. (J’y reviendrai au prochain texte.) Car ce que promeuvent ces pratiques visant une “célébration” de la mort proche de la vie, en idéal quasi-identique, même avec la bonne volonté de la fidélité, ne conduit pas au dehors et ailleurs, mais davantage vers l’impasse et les sentiers vaseux, fussent-ils sous ciel clair.
En cela, le in situ d’une expérience n’est pas qu’un emplacement, il convoie un esprit qui en émane. Un esprit que l’on peut discerner, mais pas cerner ou mesurer, contrairement aux paramètres espaciels, tout nécessaires soient-ils.
Et cet esprit si vibrant n’est pas uniquement laissé à la créativité séquentielle des êtres, il est balisé dans une institution. Or, à l’instar du rite ou de la culture (énoncé dans Cohabiter 2, Partie I ), une institution ne surgit pas ex nihilo, elle se fonde sur un institué qui en est la raison d’être (ici, le souci des morts et des générations), et des instituants que sont les personnes humaines et les responsables de la vie sociale qu’ils se donnent.
De là, tout à côté, recoupant et amplifiant parfois les premiers lieux physiques, il y a les lieux au sens figuré, métaphorique et immatériel, dont sont constitués les lieux de mémoire (le 11 novembre, jour de l’Armistice, en est un exemple)7. On peut y inclure les traditions populaires, diverses pratiques culturelles, des notions ou justement, des valeurs, les oeuvres de référence en sciences et en art, bref tout ce qui “a lieu” de contribuer au tissage symbolique des rapports des humains, entre eux et avec d’autres registres du vivant. En somme, un lieu cristallise concrètement l’entendement du monde et sa fabrication. Chacune et chacun aura ses références sur cette dynamique secrète et puissante.
En ce sens, le monde des morts qui nous étonne ne provient pas que des splendeurs égyptiennes. Celles-ci n’auraient pas acquis une telle magnificence sans le trajet matériel des morts qui y est codifié par l’institution naissante d’une pensée organisée de l’outre-monde ; elles ne nous fascineraient pas tant sans le socle qui y projette le destin humain, ses passages en voûtes architecturales vers un sacral alors non conceptualisé dans son intensité. La prodigalité et l’usage génial des ressources ne peuvent y suffire.
En effet, les lieux terrestres dans lesquels on se tient avec réserve et respect commandent des lieux “extra-terrestres”, métaphoriques et immatériels, dont la symbolique est à la fois autonome et fortement liée aux pratiques humaines rituelles et dans l’ordinaire des jours. Cette symbolique est à (re)découvrir. Voici.
Où habitent les morts et, singulièrement,
leur(s) “esprit(s)”, au fil du temps?
L’histoire des civilisations nous enseigne donc la panoplie d’efforts consentis pour aménager des survivances à un ou des esprits. Le lecteur doit alors fermer les yeux et visualiser un long continuum. Il y bien sûr le brouillard opaque de cette réflexivité dont auraient été capables nos si lointains ancêtres8.
Mais en substance, ce continuum de la quête humaine démarre avec l’intégration du monde des morts à celui des vivants, pour passer ensuite à la séparation entre les vivants et les morts et éventuellement à une coupure nette entre les deux mondes, de la part des vivants ; le monde des vivants en vient éventuellement à tourner le dos au premier. Or, cette évolution ne suit pas que la ligne chronologique, puisque l’on retrouve les deux premiers modèles (intégration puis séparation espacielle non exlusiviste ou clivante) dans l’histoire récente des sociétés.
Justement et pour autant, en ces questions comme en tant d’autres, ce n’est pas parce qu’un nouveau fruit imaginaire survient (exemple, la science-fiction) qu’il obscurcit ce qui le précède jusqu’à vouloir l’annuler et même l’abolir en se proclamant roi et maître du présent et du désormais « complètement mé-ta-mor-pho-sé », devenu une de nos conventions de la mise en marché, cette néo-religion. Pour résister au raz-de-marée d’un présent impérialiste qui balaie l’historicité, observer les sédiments géologiques offre une analogie porteuse : aucune grève, aucun promontoire, aucune terre cultivable n’existeraient sans les multiples strates qui ont laissé se déposer leurs éléments constitutifs, même au prix de la disparition de quelquesuns de ces sédiments.
Alors? Regardons de plus près la progression du rapport à ces lieux spirituels, en insistant sur les deux premiers modèles. Ce rapport agit forcément sur le parcours du deuil, mais semble à ce jour moins considéré dans les traités sur cette expérience si protéiforme.
1. La proximité relative avec des quartiers de l’au-delà peu définis, néanmoins bien intégrés au fil des jours et des cycles saisonniers
Si l’on suit la ligne (pré)historique, dans le gradient qui débute en intégrant les morts aux activités des vivants, on relève d’abord quatre figures qui, toutes, localisent les morts à proximité étroite des vivants, sous une topologie non forcément déterminée. Proximité étroite parce que ces “entités” manifestent leur présence en lieux bien terriens dans une familiarité à la fois redoutée et espérée.
Première figure : le double, qui persiste de nos jours sous diverses modalités de l’avatar, souvent détraquées, non discutées ici9. Il y va à l’origine du caractère intolérable du soma soumis aux lois bio-physico-chimiques : « La croyance en la survie personnelle sous forme de spectre [double] est une brèche (...) fondamentale, à travers laquelle l’individu exprime sa tendance à sauver son intégrité par-delà la décomposition10. »
En effet, le double fut la première figure arché-mythique de survie dans la mort, image avant quelque idéation et, à ce titre, d’autant plus impressionnante. Y contribue la croyance que les morts, bien que ne disposant pas des moyens empiriques de vérifier par eux-mêmes s’ils sont en vie, auraient conservé une certaine nature corporelle : revenants impromptus apparentés aux formes humaines, tels spectre, ombre, fantôme, comme aussi larves, papillons, oiseaux, hermine. Pour signaler leur présence aux habitants terriens, cette variété d’êtres non totalement désincarnés préfèrerait l’abaissement nocturne de la vigilance, associé à thanatos, pulsion de “déliance” nécessaire, en dialectique avec eros, cette pulsion de “liance” : ainsi dans nos rêves, sous un motif luminescent.
Ces croyances alimentent non seulement ce qu’on désigne comme superstitions, présages ou autres émanations du savoir populaire, mais plus profondément, une forme de compagnonnage issu de l’impossibilité anthropologique à figurer notre mort : « Le double est (...) un alter ego, et plus précisément un ego alter, que le vivant ressent en lui, à la fois extérieur et intime, tout au long de son existence. Et du coup ce n’est pas une copie, une image du vivant, qui, à l’origine, survit à la mort, mais sa réalité propre d’ego alter11. »
Ainsi, le double n’est pas uniquement repérable sous une forme évanescente. On le ressentirait en vibration interne mystérieuse, en soi et singulièrement dans le double d’un être aimé, comme en témoignent maints endeuillés et depuis des siècles : même par-delà l’épreuve vive, il s’agit sans doute du mouvement de la métabolisation de l’absence, ouvrant à d’autres présences, celles-là, intériorisées. Et ce double peut certes se présenter en songes. Cette vibration est notable chez les peuples autochtones qui l’insèrent bien concrètement dans une cosmogonie terrestre et astronomique.
Pour autant, dans maintes sociétés, les manifestations éventuellement peu avenantes du double se dissipent selon les conduites des vivants, comme on verra plus loin.
Deuxième figure : la “causerie” avec les vivants (ou estimée telle à leurs yeux), chevauchant la première au registre des formes qui frôlent, mais aussi lors de manifestations plus diffuses, tels les signes de la température : les esprits. Diaphanes, voire imperceptibles, même sollicités, ils ne se déposent pas à volonté dans les rendez-vous des vivants. Ils seraient messagers d’aspirations dont le décryptage ardu a justifié une pléthore de décodeurs et des crédulités de tous acabits, entre techniques de captation des “signaux” et avis péremptoires sur la conduite à tenir dans la foulée de leur survenue.
Troisième figure, assez proche des précédentes, cette fois moins éparpillée en unités intempestives, bien davantage organisée : la société des ancêtres. Le statut d’ancêtre ne s’acquiert pas de but en blanc, même si, a priori, il se ventile sous diverses modalités dans les sociétés qui valorisent le lien intergénérationnel et le respect gérontophile. En effet, le vieillard y est symbole de savoir et de sagesse, notamment comme maître de la naissance sociale qu’est l’initiation. Par contre, un aîné qui meurt dans des conditions tragiques, ou affligé d’une maladie infâmante (telle la lèpre) ou encore sujet à caution (tel le sorcier), ne peut devenir ancêtre. Même chose pour la personne de tout âge pour qui le cycle des funérailles ne sera pas assuré, soit mort trop loin, soit sans progéniture qui puisse sacrifier alors pour lui.
Chez les élus, on distingue les ancêtres immédiats, connus, révérés, qui peuvent se réincarner (voir ci-contre), objets de politesse conventionnée quotidienne, puis les ancêtres lointains, honorés collectivement en tant que fondateurs du clan, voire mythiques fondateurs du groupe ethnique.
En réservant pour d’autres textes l’exploration comparative de l’ancestralité, signalons simplement que le rôle des ancêtres n’est pas non plus acquis : il peut être maléfique, par exemple, en provoquant semble-t-il des calamités telles la sécheresse et la mauvaise mort (sans recours, au loin, sans proches, dans divers opprobres). Il peut également être bénéfique en prodiguant la fertilité aux terres et aux humains, la santé et la paix, tout autant que le sentiment d’accordement au sein du groupe qui aurait rempli ses devoirs.
Tout dépend au final de l’observance par l’ensemble des humains des règles et interdits (laquelle déjà prédispose à l’ancestralité, par le savoir et le discernement distillés au creux des conduites des aînés) et de la réalisation du rite de mort. Muni de ce viatique, celui qui meurt rejoint en temps voulu le monde des ancêtres en espérant qu’ils le revitaliseront en retour, le tout dans une circularité du principe de triomphe de la vie.
Enfin, quatrième figure notoire, en ceci que la communication avec les vivants s’avère plus invasive et potentiellement intense, celle de la possession, que l’on trouve sous toutes les latitudes. Sommairement, la possession serait le fait soit d’ancêtres mythiques, soit de divinités qui estimeraient que l’entretien de leurs forces sacrées de la part des vivants s’avère déficient. Ils s’incarnent alors provisoirement dans le corps d’une personne qui peut être psychiquement fragilisée, le plus souvent déjà extravertie, ou tout simplement volontaire à servir de medium ou de messager de cette emprise qui se manifeste d’abord par le rythme percussif syncopé qui produit la transe. L’exorciste a à charge de déceler cette puissance, de la situer dans le contexte de la cosmogonie propre à cette culture, de la nommer et de prononcer maintes incantations pour délivrer la victime-médium de cette emprise. Surtout, par le mystère redoublé de leur imprécation, les paroles visent à interpréter la puissance qui se déploie dans la possession corporelle ; elles cherchent à aviser la communauté du comportement ou de la pratique adéquate afin de rétablir l’ordre malmené, dont la possession serait un indice.
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Que retirer de ces quatre figures de l’intégration bien perceptible des rapports entre vivants et morts? Ces formes de présence témoignent avant tout de l’existence même de rapports entre le monde de nos empiries — celui capté par nos sens — et celui de l’invisible. C’est précisément ce qui structure la réalité des rapports entre la vie et la mort, élaborés par les vivants, en ceci que bien davantage qu’un horizon destinal personnel, l’existence se module du souci même des liens entre les mondes. Oui, ce souci piétiné par Anthropocène.
Ce qui prévaut dans ces figures primitives, noyau de croyances autant toujours présentes sous leur formes originales ou remaniées sous les cris silencieux de l’air-ère du temps? La loi de l’échange symbolique entre morts et vivants, dans la mesure où existe une circulation assumée entre les deux états, de l’ordre de la réciprocité. Si les vivants honorent leurs morts, les morts, eux, leur rendent les honneurs en prodiguant bienfaits. Dans cette perspective, ce qui advient aux groupes est forcément à interroger dans le sens des intentions prêtées aux morts. Avec nos yeux actuels, l’on pourrait alléguer une omniprésence lourde, mais il s’agirait davantage d’un sens des responsabilités dans lequel le sentiment d’obligation se mâtine avec la fierté sereine d’en être, comme condition de “reliance” les uns aux autres. Le rite s’y tient éminemment et aussi pour ce deuxième modèle.
2. La séparation reliée, chacun chez soi, les morts en univers davantage localisés
Ce modèle de distinction territoriale s’est progressivement développé non seulement à partir du raffinement des figures de l’intégration familière que l’on vient d’apercevoir, mais selon l’élaboration des eschatologies que sont les imaginaires plus robustes de l’au-delà, attribuant aux morts des destins davantage organisés, voire hiérarchisés, avec la caractéristique de transposition dans l’au-delà des desiderata de vie douce (exemple : les Jardins Élysées des Grecs) ou d’une justice qui n’est néanmoins pas dénuée de l’arbitraire des rapports de pouvoir (exemple : les ecclésiastiques qui bénéficient d’un sauf-conduit pour le Paradis).
Toutes ces figures se définissent néanmoins par le désir de trouver au mort une juste place, territorialité matérielle et position spirituelle emmaillées. Et c’est là que le rite se fonde : il articule les dispositions du corps devenu cadavre avec les croyances de survie en un au-delà, comme on le trouve déjà chez les Égyptiens pour qui cet au-delà est tributaire d’une ritualité pieuse jusque dans les détails du traitement des corps : sans corps dûment apprêté, difficile de penser se retrouver du côté du Dieu-soleil (Horus).
Il demeure que cette articulation qui existait confusément lors de la préhistoire, sous l’égide de l’archétype de la terre, fut ensuite systématisée par les religions monothéistes (judaïsme, chrétienté, islamisme) et, d’une certaine façon, par le taoïsme.
Encore ici, le rapport au temps travaille l’espace. Ainsi l’attente qui associe étroitement la société des morts et celle des survivants indique un rapport plutôt maîtrisé, au sens de confiance en son symbolisme. Les morts patientent en un lieu physique liminal — de seuil entre deux mondes — où se prépare un statut autre dans un au-delà (ex. la Résurrection). Mais la suspension temporelle n’est pas qu’éthérée, les morts du « monde d’en bas » (disaient les Grecs, cette fois de notre ère), ceux du « dessous de la terre » (racontent maints peuples amérindiens et africains), s’y métamorphosent selon les lois de la nature, en lien avec la suprême métamorphose d’une accession sécure à un Infini. Une fois cette métamorphose avérée, les restes osseux peuvent devenir gage, déjà, d’une non-dangerosité à l’endroit des vivants vigilants en ces questions et d’un culte réunissant parfois anonymement la société des morts, par exemple, les doubles ou les secondes funérailles, et une version atténuée dans la Fête annuelle des morts. Mais dans tous les cas, ils règlent la durée du deuil social, à la fois public et préservé dans l’intimité.
3. Les liens distendus, vers un no man’s land flou
Un troisième modèle se tient en bordure des deux premiers (intégration vivants-morts, puis séparation non-exclusiviste), ces deux premiers plus axés sur les relations entre les mondes : ici, ce qui reste de ce que furent ces êtres serait d’une certaine façon quasi anéanti, puisqu’existant en quelque part plus ou moins indéterminée mais sans lien entre eux-mêmes et les encore vivants. Les morts logeraient alors dans un univers stable et indéfini, perdu à jamais. Il n’empêche d’être globalement désigné, ainsi l’Hadès chez les Grecs, lieu sombre et informe des profondeurs abyssales, lequel, par contraste, aurait contribué à l’idéal du guerrier, illustre et célébré comme partie de la gloire... des conquérants, ces derniers, vers de bien tangibles territoires.
4. Les liens disparaissant, du moins dans l’architecture idéelle
Enfin, un quatrième modèle qui accentue le précédent pourrait se résumer comme faisant état de variations sur le thème du néant.
Première variation, une non-survie du fait de la fusion avec l’Un-Tout, éventuellement dans un univers disséminé dans le nôtre ou encore dans un univers hors univers : on retrouve cet idéal de disparition, mais concrètement et métaphoriquement, voire parfois poétiquement autant que sobrement accompagné dans les imaginaires bouddhistes.
Seconde variation, plus laïque, une non-survie radicale. Cette conception de l’après-vie pourrait bien psychiquement se fixer au ressenti de la mort comme un anéantissement absolu, ce qui justifierait d’y répondre sous la logique du même par la néantisation des morts, de leurs restes et de leurs traces symboliques repérables, disparition pas moins absolue.
Dans cet horizon qui rend les morts évanescents, sans attache, le temps d’accession à un nouvel état se fait volontiers troué, si ce n’est existant. De fait, rapport au temps en résonnance avec l’état des morts, puisque “l’état” disparaît intrinsèquement. L’expectance du sort des morts potentiellement actifs à l’adresse des vivants s’avère ainsi beaucoup moins nette pour les philosophies orientales qui accélèrent la désintrication corps-âme par le feu et du même coup, la “délivrance” du principe spirituel ; il s’agit de pourvoir par exemple à une réincarnation mélioriste, telle chez les Bouddhistes, par laquelle la personne “revient” à une vie empirique si les précédentes ne sont pas convaincantes et ainsi de suite, pour aboutir idéalement à une fusion dans l’Un-Tout, cet univers délocalisé et proche du néant, première variation à l’instant évoquée. J’y reviendrai pour ses interprétations dans les formes contemporaines au prochain et dernier texte consacré aux lieux des rites.
Un mot cependant sur la signification des termes : la réincarnation ne procède pas que sous ce quatrième paradigme de l’abolition destinale éventuelle de l’être ; on la trouve sous une forme animiste, soit par métempsychose (un humain devenant autre qu’humain, se disséminant parfois et prenant la forme animale, végétale, voire minérale), soit par réincarnation lignagière (les nouveaux nés manifestant déjà des caractéristiques de leurs aïeux). Nous rejoignons par cette voie la figure de l’ancestralité (quatrième figure sous le modèle de la relative proximité entre les imaginaires de leurs morts chez les vivants), par laquelle on retrouverait chez les petits-enfants des traits typiques de leurs prédécesseurs, cette ressemblance étant vécue comme un cadeau et une responsabilité, toujours dans l’esprit de circulation des liens entre les mondes.
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Une question conséquente se lève : en quoi ce tempo qui marque les lieux métaphysiques et leur accordement avec ceux physiques, leur place dans une échelle de rôles et de valeurs est-il activement symbolique?
II l’est sous deux angles : en termes macro-culturels, ces arrimages ne reflètent pas qu’un récit issu de l’imaginaire et venant le satisfaire : ils sont au fondement même des organisations sociales. En termes psychoculturels plus aisément perceptibles, l’attente vers un devenir autre que je viens de décrire est conditionnée par le régime de l’existence de la personne qui n’est plus, régime en partie modulé selon le type de mort : ainsi une existence vaillante et pacifique, la procréation (ou ses succédanés) et la création seraient des gages de survie référée. Le rite de mort vient alors tenter de réhabiliter les existences bancales mais surtout valoriser les déjà valeureuses. Cet aspect du rite vient d’ailleurs légitimer la présence d’ordonnateurs rituels, ce qui n’est jamais banal et offre un indice des rapports de pouvoir qui se signent autour du mystère de la mort, et ce, sous toutes latitudes. (Un texte développera le thème de la mort et le politique).
C’est précisément ce flottement en lieux incertains vers des destinations plus précises, même vers la nébuleuse symbiose avec le Tout, qui est au fondement de l’idée universelle de la mort comme un voyage. Partant de là, le viatique acquiert une vertu considérable, puisqu’il faut d’abord munir le mort singulier de soutiens qui le guideront dans ses pérégrinations : sur et autour du corps inerte, provisions de défense contre les “esprits” malins qui pourraient abuser de sa fragilité passagère, guides de passage sous formes de munitions, d’écrits, d’objets usuels et distinctifs (voir Récits intemporels de cimetières, le 19). Or, ces précautions sont tout autant métaphoriques : manifestations de déchirement signant l’attachement à l’être, hommages, qui rassurent en sus tous les protagonistes sur le contentement du “disparu”, offrandes cette fois d’invocations et de prières, de musique et de mouvements incantatoires spécifiques. Leur fonction pivote donc de marques de tendresse vers des dispositifs prophylactiques doubles : de la paix du mort, et par association, de la communauté et des êtres singuliers restés sur terre.
Par ailleurs, beaucoup de sociétés dans lesquelles prévaut une définition de la personne au pluriel, composée de trois et davantage d’instances, laissent également une place à un esprit aux alentours des vivants, qui veille, formant ainsi ce nuage imperceptible déjà décrit sous le premier modèle de rapports entre morts et vivants. Non seulement est-il toujours actuel, mais j’émettrais en finale l’hypothèse que cette forme de présence n’est pas pour rien dans le parcours du deuil, tel que l’ont vécu en dominante bien des cultures avant nous : sans non plus évacuer les complexités des liens affectifs, ces cultures prenaient le deuil au sérieux des rapports globaux et enchevêtrés entre les divers mondes sans le problématiser sous la relation duelle, ce qui demeure une dominante bien contemporaine.
Espaces et temps emmaillés, un socle pour le deuil
Lorsqu’il aide les morts à se séparer des vivants, cet ensemble aujourd’hui présenté sous les modalités différentes des lieux de l’invisible contribuerait fortement et indirectement (sans cibler le deuil comme tel) à ce que les humains se séparent d’eux aussi progressivement. Ainsi, on y revient, le rythme du deuil social est-il en large part et selon les modèles calqué sur l’entropie présumée du corps de l’être qui n’est plus, fournissant à la communauté des repères de son soutien effectif. Car ce n’est pas parce que l’idée de la délivrance ou de la libération préside à l’eschatologie qu’elle évacuerait pour autant l’ardeur de l’affectivité.
La logique préventive de santé mentale demeure notoire : en traitant soigneusement la distance et non la proximité au sein de la pédagogie de ces actes rituels, on se prémunit contre des retours inopportuns et nocifs. Et ce, qu’il s’agisse d’un quelconque résidu immatériel de l’existence de l’être qui n’est plus ou encore de nos propres cailloux dans le soulier existentiel et relationnel... Et dans la foulée de ce délicat enjeu aux fins que chacun trouve une nouvelle place, on rassure les survivants, par ailleurs objets de sollicitude du groupe, si bien que l’on prévient au mieux les désordres liés aux pathologies du lien affectif.
Autrement dit, l’on se sépare des morts non pas par la pensée magique, les conseils et les admonestations de « passer à autre chose ». On amorce ce mouvement en cadrant leur désormais domicile physique, assez proche pour être référé, assez éloigné pour éviter l’envahissement, arrimé au destin métaphysique qui incombe à chacun et bien par-delà ses fantaisies : en consolidant la culture qui le porte.
Cette ritualité de la mort qui se distille au moment des funérailles individuelles, des cérémonies de la fin d’un cycle naturel, de la Fête des morts et des anniversaires et commémoration, encore une fois, n’implique pas l’abandon des êtres singuliers ou de leur rassemblement autre, tout au contraire. Nous leur reconnaissons ainsi une société ou une communauté symbolique et, par là, nous faisons de même pour nous. Ce cadrage rituel nous fait accompagner le mort « jusqu’à la limite depuis laquelle se détermine la vie en commun, soutient la logique institutionnelle de la transmission et garantit la permanence d’un chaîne intergénérationnelle12. »
Voilà ce en quoi la mort, le marquage de sa présence et le silence devant son mystère altéritaire se donne comme pédagogie du vivre. Et contribuant à cette vie en commun, demeure dans l’existence de chacun la tranquille présence métabolisée des morts.
C’est cette coexistence réglée en pointillés rituels bien identifiables qui viendrait contribuer à un deuil conçu dans sa complexité entre d’une part, tenue du lien désormais impossibilisé concrètement au fil des jours, mais bien intégré dans le devenir des êtres et, d’autre part, mise à distance des traces, pour autant bien identifiées et socialisées.
En cela, l’unité évoquée ci-contre par le grand poète Rilke n’est pas fusion avec l’autre qui est toujours confusionnelle et délétère. Cette unité entre les mondes serait accompagnement du désir d’être et d’être dans l’espace et le temps qui n’appartiennent pas qu’à soi.
« La mort est la face détournée de la vie, qui ne nous est pas montrée et que nous ne souhaitons pas mettre en lumière : nous devons essayer de prendre conscience que notre existence est chez elle dans les deux royaumes et inépuisablement nourrie par eux. La vraie [sic] figure de la vie a sa place dans les deux sphères, le sang circule pleinement dans les deux : il n’y a pas un ici et maintenant ni un au-delà, seulement l’unité sans limites où les êtres qui sont au-dessus de nous, les anges, sont chez eux. Et nous, qui vivons ici et maintenant, ne pouvons être comblés en un seul instant par le monde temporel, ni emprisonnés par lui ; nous souhaitons, incessamment, aller au-delà, vers ceux qui nous ont précédés, vers nos origines, mais aussi vers ceux qui, probablement, viendront après nous. Et très lucidement, en pleine conscience, nous devons faire une place à ce que nous voyons et touchons, dans un espace plus vaste, le plus vaste possible13. » (Voir la suite en note...)
En cela, le deuil ne peut se limiter à une expérience individuelle, il devient expérience sensible des espaces, matériels et puis... des temporalités qui s’y arque-boutent : celles-ci peuvent être infinies au sens de non-définies et même d’illimitées. Mais elles peuvent aussi se scander et se saluer dans les espaces où les cycles du vivant s’observent, se respectent et soient source de coalescence humaine. Et il suffit parfois d’un signal simple, un accordement d’envol d’oiseaux ou celui des abeilles (si on lit ce texte jusqu’au bout des notes!), ces modèles de quête sensible et intelligente du vital.
Par-delà toutes les crises qui nous affligent et nous mettent au défi, justement.
© Luce DES AULNIERS, professeure-chercheure
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- BAUDRY, Patrick (2014). « La désymbolisation du cimetière contemporain », L’histoire par les lieux. Approche interdisciplinaire des espaces dédiés à la mémoire, Revue Essais, No 6, 2014, pp. 125-137, 197 p., p.136. Soulignés de LDA. Aspects du rite « jamais exposés, précisés ou explicités » (PB), car il ne s’agit pas d’un manuel d’instructions ni d’une activité répondant à un objectif précis. Un rite s’effectue a priori parce qu’il le faut et qu’il fait du bien.
- MOCTEZUMA, Eduardo Matos (2000). « La cité des dieux Teotihuacán » [LDA : entre 1er siècle avant notre ère et plus 7e s.; ces cités sous l’égide du pouvoir monarchique ont vécu le déclin de celui-ci avec l’abandon des constructions des pyramides, puis les citadins ont repris le gouvernement, favorisant cette fois des programmes de logements sociaux de qualité pour la population], in SILIOOTI, Alberto (dir.), Demeures d’éternité, Paris, Gallimard (trad.), 303 p., pp. 252-296. p. 253, 259. Soulignés de LDA.
Pour accéder à ce lieu hors de notre empirie (ou de la captation de nos sens), les conditions changent selon les croyances religieuses, on le verra à cette lecture. - Le texte de LDA (2023) Espoir, déjà pour l’avenir, toujours un peu pour les morts (site Infodeuil et en PDF) traite desdynamiques de l’espoir et des nuances entre espoir et espérance.
Voir BLOCH, Ernst (1976] [1954, 1959, 1961] Le Principe espérance, (trad. de l’allemand), Paris,
Gallimard, T. 1/3 : 544 p.:
À partir des conditions de la réalité, mais ne s’y rivant pas, les humains disposeraient d’une pré-conscience anticipante qui lancerait l’imagination des possibles, au creuset de l’espérance. Notons : ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas valider une problématique en la mesurant (les “données probantes”) que le rêve et la créativité humaines sont déqualifiées. Cette proposition vaut pour les croyances outre-vie. - La structuration théorique des liens entre les lieux de séjours des morts selon les cultures et les liens entretenus (ou peu ou pas) par les vivants est issue des recherches présidant aux cours d’anthropologie de la mort dispensés depuis 1981, y incluant les notes imprimées et distribuées aux étudiant.es. Depuis, il y a eu maintes moutures, non publiées, celle-ci étant à date inédite, mais résumée : ©Luce Des Aulniers, 2023.
De plus, l’articulation entre le sort des restes physiques et la présence mentalisée et du domaine spirituel ou métaphysique a été explorée sous les archétypes de la terre, du feu et de l’eau dans Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil (2020), Montréal, Boréal, 349 p. - Le sens du terme « invisible » renvoie dans ce texte à la dimension métaphysique des relations entre vivants et morts. Mais il n’en épuise surtout pas le sens puisque l’on entend aussi par invisible ce qui n’est pas perceptible au premier ou au second regard, qui demeure discret, tapi et pas forcément malheureux de l’être. Nuance importante dans une société qui a tendance à attribuer existence à quiconque à condition qu’on le voie!
- J’ai qualifié ce phénomène par lequel on ne demeure pas atterré comme une « maîtrise symbolique » : in conférence conjointe LDA-JdeM à propos de la banalisation de la mort. Voir Récits intemporels de cimetières, le 20e, sur ce site.
- NORA, Pierre (dir.) (1984-1993, [7 volumes, 3 en 1997]). Les Lieux de mémoire Paris, Gallimard, 1664 p.
- Voir Récits intemporels de cimetières 1 à 4.
- Cette analyse de LDA concernant les doubles fait partie de questions traitées concernant la mort et le numérique dans Études sur la mort, 2022, n° 157, « Robots “intelligents” pour deuil : le chatoiement éploré du déni de finitude? », 191 p., pp. 59-73.
- MORIN, Edgar. (1970 [1950]). L’homme et la mort, Paris, Seuil, Coll. Points, 372 p., p. 149.
- Ibid., p. 153.
- BAUDRY, Patrick, op. cit., p. 135.
- RILKE, Rainer Maria {1875-1926} (2022). « À Witolf HULEWICZ (1924) », in Sa vie est passée dans la vôtre. Lettres sur le deuil, présentées par Micha VENAILLE, Paris, Les Belles Lettres, 94 p., p. 47. Soulignés de l’auteur. La suite? (exergue en gras de LDA) :
« La nature, les choses qui font partie de notre environnement quotidien sont éphémères et périssables. Mais tant que nous sommes ici, elles sont notre propriété, nos amies, nos complices dans la détresse et dans la joie, comme elles l’ont été pour nos ancêtres. Donc il est important de ne pas mépriser ni dégrader ce qui existe dans l’ici et maintenant — et surtout, parce qu’à côté de leur côté provisoire, qu’elles partagent avec nous, ces choses doivent être, le plus intimement possible, comprises et transformées par nous. Transformées? Oui, car c’est notre tâche d’imprimer en nous, passionnément, profondément, douloureusement, cette terre périssable, qui n’a qu’une vie provisoire, pour que sa réalité renaisse en nous — mais “invisible”. Nous sommes les abeilles de l’invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’Invisible. » (p. 48)
BAUDRY, Patrick (2014). « La désymbolisation du cimetière contemporain », L’histoire par les lieux. Approche interdisciplinaire des espaces dédiés à la mémoire, Revue Essais, No 6, 2014, pp. 125-137, 197 p., p.136. Soulignés de LDA. Aspects du rite « jamais exposés, précisés ou explicités » (PB), car il ne s’agit pas d’un manuel d’instructions ni d’une activité répondant à un objectif précis. Un rite s’effectue a priori parce qu’il le faut et qu’il fait du bien.
MOCTEZUMA, Eduardo Matos (2000). « La cité des dieux Teotihuacán » [LDA : entre 1er siècle avant notre ère et plus 7e s.; ces cités sous l’égide du pouvoir monarchique ont vécu le déclin de celui-ci avec l’abandon des constructions des pyramides, puis les citadins ont repris le gouvernement, favorisant cette fois des programmes de logements sociaux de qualité pour la population], in SILIOOTI, Alberto (dir.), Demeures d’éternité, Paris, Gallimard (trad.), 303 p., pp. 252-296. p. 253, 259. Soulignés de LDA.
Pour accéder à ce lieu hors de notre empirie (ou de la captation de nos sens), les conditions changent selon les croyances religieuses, on le verra à cette lecture.
Le texte de LDA (2023) Espoir, déjà pour l’avenir, toujours un peu pour les morts (site Infodeuil et en PDF) traite des dynamiques de l’espoir et des nuances entre espoir et espérance.
Voir BLOCH, Ernst (1976] [1954, 1959, 1961] Le Principe espérance, (trad. de l’allemand), Paris, Gallimard, T. 1/3 : 544 p.: À partir des conditions de la réalité, mais ne s’y rivant pas, les humains disposeraient d’une pré-conscience anticipante qui lancerait l’imagination des possibles, au creuset de l’espérance. Notons : ce n’est pas parce qu’ils ne peuvent pas valider une problématique en la mesurant (les “données probantes”) que le rêve et la créativité humaines sont déqualifiées. Cette proposition vaut pour les croyances outre-vie.
La structuration théorique des liens entre les lieux de séjours des morts selon les cultures et les liens entretenus (ou peu ou pas) par les vivants est issue des recherches présidant aux cours d’anthropologie de la mort dispensés depuis 1981, y incluant les notes imprimées et distribuées aux étudiant.es. Depuis, il y a eu maintes moutures, non publiées, celle-ci étant à date inédite, mais résumée : ©Luce Des Aulniers, 2023. De plus, l’articulation entre le sort des restes physiques et la présence mentalisée et du domaine spirituel ou métaphysique a été explorée sous les archétypes de la terre, du feu et de l’eau dans Le Temps des mortels. Espaces rituels et deuil (2020), Montréal, Boréal, 349 p.
Le sens du terme « invisible » renvoie dans ce texte à la dimension métaphysique des relations entre vivants et morts. Mais il n’en épuise surtout pas le sens puisque l’on entend aussi par invisible ce qui n’est pas perceptible au premier ou au second regard, qui demeure discret, tapi et pas forcément malheureux de l’être. Nuance importante dans une société qui a tendance à attribuer existence à quiconque à condition qu’on le voie!
J’ai qualifié ce phénomène par lequel on ne demeure pas atterré comme une « maîtrise symbolique » : in conférence conjointe LDA-JdeM à propos de la banalisation de la mort. Voir Récits intemporels de cimetières, le 20e, sur ce site.
NORA, Pierre (dir.) (1984-1993, [7 volumes, 3 en 1997]). Les Lieux de mémoire Paris, Gallimard, 1664 p.
Voir Récits intemporels de cimetières 1 à 4.
Cette analyse de LDA concernant les doubles fait partie de questions traitées concernant la mort et le numérique dans Études sur la mort, 2022, n° 157, « Robots “intelligents” pour deuil : le chatoiement éploré du déni de finitude? », 191 p., pp. 59-73.
MORIN, Edgar. (1970 [1950]). L’homme et la mort, Paris, Seuil, Coll. Points, 372 p., p. 149.
Ibid., p. 153.
BAUDRY, Patrick, op. cit., p. 135.
RILKE, Rainer Maria {1875-1926} (2022). « À Witolf HULEWICZ (1924) », in Sa vie est passée dans la vôtre. Lettres sur le deuil, présentées par Micha VENAILLE, Paris, Les Belles Lettres, 94 p., p. 47. Soulignés de l’auteur. La suite? (exergue en gras de LDA) :
« La nature, les choses qui font partie de notre environnement quotidien sont éphémères et périssables. Mais tant que nous sommes ici, elles sont notre propriété, nos amies, nos complices dans la détresse et dans la joie, comme elles l’ont été pour nos ancêtres. Donc il est important de ne pas mépriser ni dégrader ce qui existe dans l’ici et maintenant — et surtout, parce qu’à côté de leur côté provisoire, qu’elles partagent avec nous, ces choses doivent être, le plus intimement possible, comprises et transformées par nous. Transformées? Oui, car c’est notre tâche d’imprimer en nous, passionnément, profondément, douloureusement, cette terre périssable, qui n’a qu’une vie provisoire, pour que sa réalité renaisse en nous — mais “invisible”. Nous sommes les abeilles de l’invisible. Nous butinons éperdument le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’Invisible. » (p. 48)