La fugue d’une adolescente ou d’une personne âgée, le rapt d’un enfant ou le départ mystérieux d’un jeune adulte, l’absence inconcevable et prolongée d’un être cher, tous ces drames déclenchent une alarme de panique qui retentit au bulletin de nouvelles, sur les réseaux sociaux ou sur des affiches posées aux arbres et aux murs de supermarchés afin que la population puisse repérer le visage de la personne disparue.
La famille, qui a vécu jusque-là sans faire de bruit, clame à présent son désarroi à la radio, à la télévision ou dans la presse écrite. Elle s’emploie corps et âme à faire entendre son S.O.S à des kilomètres à la ronde dans l’espoir de détecter le moindre signe de vie. Son cri compense le vide, l’absence.
Un seul mot permet alors aux proches de tenir le coup : « ESPOIR ». L’espoir de retrouver celle ou celui qui est « porté disparu », espoir d’un miracle, d’un indice, d’un retour, espoir que la vie puisse reprendre son cours comme avant. Quand la mort est confirmée, « l’être perdu reste éternellement perdu », écrit Vincent Delecroix. En revanche, l’être introuvable gardera son titre de disparu jusqu’à ce qu’il revienne ou soit retrouvé, mort ou vif, dans un laps de temps marqué au sceau de l’inconnu. Tout demeure possible aussi longtemps que rien n’est attesté.
Les pensées des personnes en choc oscillent entre l’incrédulité et le déni. Au fil des jours, la fiction cède la place à la réalité : l’absence insoutenable, le manque abyssal et l’angoisse nourrie d’incertitude propulsent vers une ultime supplique : « Saint-Antoine, rends-moi ce que j’ai perdu et révèle-moi ainsi ta bonté. »
Des amis aux voisins, en passant par les membres de la famille élargie, et les secouristes, jusqu’aux policiers escortés de chiens renifleurs, et aux bénévoles formés pour la tâche, tous participent à la battue. Ils ratissent les environs, espérant revenir avec le fils prodigue, l’enfant égaré, le vieillard épuisé, l’adolescente hors d’elle-même ou le corps inanimé. Le temps s’est arrêté, mais l’attente, taraude, maintient sa morsure. Les plus concernés implorent à l’instar de Christian Bobin : « Je voudrais regarder en face ce que je ne supporte pas, j’attends ton retour, c’est plus fort que moi, j’attends l’inattendu, quoi d’autre attendre, j’espère l’inespéré, quoi d’autre espérer, la vie, la vie, la vie. »
Des heures, des jours, des mois, parfois voire des années peuvent s’écouler avant que l’énigme soit dissipée — noyade, suicide, assassinat, enlèvement — et que le disparu « resurgisse » dans un vêtement repéré, son corps ramené, ou un membre retrouvé. Mais il arrive aussi qu’il n’y ait jamais de trace, aucun indice permettant aux enquêteurs de confirmer la mort ou au coroner d’expliquer la disparition. L’être évaporé conserve son statut de disparu et laisse ses proches dans l’espoir éperdu d’éventuelles retrouvailles. Comme le souligne Pascale Brillon : « L’espérance du “miracle” nous hante et contrecarre notre processus de deuil. » La personne qui attend refuse de se ranger parmi les endeuillés. Elle maintient sa quête et loge le disparu dans sa propre terre d’accueil, berceau d’espérance que nul ne saurait détruire. Le deuil est différé.
L’espoir refuse de s’estomper. Si la personne est retrouvée « morte », le proche ne pourra pas y croire. La longue attente nourrie d’espoir s’écroule sous le choc de la réalité. « N’y a-t-il pas erreur sur la personne ? Il faut me la ramener vivante ! Poursuivez vos recherches pour que je puisse continuer d’espérer. » Il faudra du temps, beaucoup de temps pour assimiler l’irrévocable.
Au Repos Saint-François d’Assise, le « disparu » trouvera symboliquement refuge. Un lopin de terre lui est assigné. Sur une pierre tombale collective, le nom de chacun est gravé, laissant une trace d’éternité. Le proche pourra y réciter sa dernière prière : « Puisses-tu reposer en paix là où tu es. »
Le regroupement des familles éprouvées jette un baume sur la blessure commune. Les échanges, les rituels créés par chacun, et le chagrin partagé, raniment ainsi quelques raisons de vivre, malgré l’absence de l’être aimé et l’absence de réponse à l’énigme. « La pire des solitudes, c’est de n’avoir personne à qui la confier » rappelle Duteil. Les images angoissantes, desserrant leur étau, commencent alors à livrer passage à des souvenirs plus doux.
Johanne de Montigny
Psychologue
Références :
BOBIN, Christian. La plus que vive, Paris, Gallimard, 1999, 110 p.
BRILLON, Pascale. Quand la mort est traumatique – Passer du choc à la sérénité, Montréal, Les Éditions Québecor, 2012, 168 p.
DELECROIX, Vincent et Philippe FOREST. Le deuil: entre le chagrin et le néant, Dialogue animé par Catherine Portevin, Paris, Philo éditions, 2015, 157 p.
DUTEIL, YVES. La petite musique du silence, Montréal, Médiaspaul, 2014, 152 p.