
Devant les revers et les épreuves, où puisons-nous nos forces ? La popularité du terme « résilience » nous interpelle par sa puissance idéalisante. Elle convoque aussi des entrecroisements avec les pertes liées à tout deuil. Dans le long fil du temps tissant le deuil comme dans celuide la résilience, le cimetière serait-il révélateur de l’un et de l’autre ?
« Les paysans ne meurent point des chagrins d’amour,
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Récit 22
Notre être est immanquablement exposé à des failles existentielles qui parfois le happent. Or, parmi tant de recours, existe-t-il un tiers, un signe intermédiaire qui établirait un pont entre ce « soi » blessé et un autrement à vivre, réel et accessible ?
Le cimetière serait de ces tiers, d’abord du simple fait qu’il est ce lieu repérable topographiquement. Or, comme on le sait, cette présente section sur leur intemporalité balise les formes, usages et symboliques de ce lieu des morts. Ainsi, parmi de multiples significations, évolutives mais aussi transculturelles, le cimetière tient aussi « lieu de »… ou de tiers entre soi et sa peine, soi et l’histoire. On le percevait sans doute à la lecture des Récits et encore plus nettement au cours du dernier, à partir de l’actualisation des pleurs, qui ne sont heureusement pas toujours conventionnés. L’idée du « cimetière-lieu-pour » se poursuit ici et nous entraîne plus loin : le cimetière est source et appui d’opportunité, au sens d’occasion. Pour autant, nul besoin de s’attendre à une forme ou une autre de délinquance; bien davantage, intéressons-nous à un phénomène, celui de sa sauvegarde et, dans la foulée, à la dynamique si riche de ce qu’il sauvegarde aussi de notre humanité. Cette dernière dimension saurait nous réjouir.
Pour explorer cet intérêt à l’endroit du lieu et de ses combinatoires sans doute inusitées, il nous faut partir d’un socle connu, lui aussi repérable, celui de termes courants que nous utilisons pour résumer certaines expériences. L’on se doute bien pourtant que certains de ces termes porteurs d’une signification qui semble évidente au cours de nos conversations sont davantage chargés que leur premier abord en donne :la résilience et le deuil en sont des cas de figure.Plus largement, de quels résistances et renoncements sont-ils tributaires et annonciateurs ? Qu’est-ce qui les fabrique, les distingue mais aussi les joint à un point tel qu’on aurait tendance à les confondre ?
Par conséquent, se pourrait-il qu’ainsi renseignés, nous avancions plus sûrement dans les broussailles qui s’emparent parfois du carré des morts, au propre comme au figuré, le tangible comme celui qui loge dans nos têtes ? Et de là, moins en souffrance ?
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L’occasion. « On ne sait jamais, ça peut toujours servir », entend-on en ramassant et en gardant un objet, un rien, une « patente », comme on dit au Québec, un écrit.... Ce faisant, on demande à l’avenir de promettre quelque aléa aussi bien que l’on souhaite s’en prévenir. Et pourquoi pas ? De prime abord, saisir une « occasion » connote l’intelligence futée ou rusée, opportune. Néanmoins,cette aubaine du point de vue du sens pratiquepeut éventuellement devenir opportuniste, au sens de tirer vers soi seul les avantages perçus et même, afin d’en tirer profit.
Toutefois, ce que marquerait avant tout « l’occasion de », c’est la capacité de capter les facettes du temps présent et de s’y mouvoir. Et ce, même si on connaît bien le contexte, ce qui paraît évident concernant le soin des morts et des vivants qui leur survivent. Aussi, en parlant d’occasion, nous pouvons davantage en référer au « cueille le jour », le fameux Carpe diem d’Horace4 : l’injonction marque la reconnaissance de ce qui est offert, souvent de manière inusitée et unique, et incite à y participer avec confiance et discernement,dans un présent qui n’ignore pas les autres temporalités.
Ainsi, on a pu désigner comme « occasionnalistes » les sociétés, qui, observant le rythme des saisons, leur prodigalité comme leur latence-repos, s’appuyaient sur leurs manifestations non seulement pour assurer la survie des groupes, mais pour s’offrir assez de sécurité afin que l’esprit créatif puisse se déployer. Et, de là, les échanges fusaient, la culture… se cultivait. C’est le cas des chasseurs-cueilleurs, comme des chercheurs de bancs de poissons, de vents, d’arts et d’idées.
En cela, aucun événement, lien ou « occasion de » n’est un tout. Mieux, ils font partie d’un tout dans lequel nous sommes nous-mêmes partie prenante. De la sorte, le cimetière n’est évidemment pas le centre du monde, mais par ce qu’il occasionne — parfois au cœur de la blessure —, il amène à mieux nous connaître et, de loin en loin, à davantage nous apprécier.
Dans le mouvement, idéalement libre et solidaire qui nous y mène, notre présence au cimetière, en groupe ou en solitaire, pourrait être une occasion de laisser résonner la question entendue plus d’une fois, qui occupera ce récit : « Être en deuil, est-ce forcément être en résilience ? »
En amorce : l’histoire d’une communauté résiliente
et de son renouvellement grâce au cimetière
Cette histoire remonte aux recoins d’une rationalité gestionnaire des territoires, oublieuse de ce fait psychoculturel pourtant intégré dans tant de savoirs multimillénaires : se donner comme “être d’un” lieu x, y prendre racines, lesquelles, chez les humains, enracinent les ailes; le cas échéant, en devant le quitter, être assurés d’être accueillis en un autre avec toutes ses potentialités d’attachement. S’implanter et en bouger rassurés demeurent donc un invariant culturel fondamental5, de nos jours, malmené. En effet, les siècles derniers et l’actuel semblent distribuer les injonctions à la fuite de populations entières. Ces populations sont forcées de s’exiler de leur pays pour diverses raisons : génocides, guerres, massacres de civils, délogements climatiques ou causés par des pouvoirs hyperdiscrétionnaires, souvent carrément dévoyés. Au Canada, la déportation des Acadiens, dite le Grand dérangement (1755), ainsi que les sévices et clôtures territoriales imposées aux Peuples Premiers, reflètent à l’envi les ignominies au plan des crimes contre l’humanité.
Pour les besoins de notre propos : lors des années 1960-1970, héritage de la bienséante planification canadienne, le Québec a connu l’expulsion de communautés qui occupaient leurs terres familières, souvent depuis des générations. Il y a eu l’expropriation des terres agraires de Mirabel, au nord de Montréal, et celle des terres ancestrales campées de peine et de misère sur la péninsule de Forillon, en Gaspésie. Or, l’obligation à l’exil ne se résume pas à des réaménagements de proximité. Elle contraint davantage qu’à l’abandon d’un territoire cher à ses habitants. Et c’est de ces existences déchirées que d’humbles et éloquents cimetières chrétiens continuent de témoigner.
Sur l’occupation par les vivants, l’administration publique québécoise n’est pas en reste. Il y eu les villages fermés soi-disant au motif de « dévitalisation ». Singulier cas d’opportunisme, on arguait que ledélogement serait utile aux cités en mal de main-d’œuvre. Mais il se trouve que « ces villages disparus, aujourd’hui devenus de fines cicatrices sur le sol, sont avant tout des histoires humaines », qui traduisent les renonciations autant que d’intenses mobilisations6.
En dépit de cette mobilisation, le village de Saint-Gabriel de Rameau, dansl’arrière-pays (désigné comme « colonie », partout au Québec) du bout de la péninsule gaspésienne, n’y a pas échappé en 1970, ainsi que dix autres villages. Créé une quarantaine d’années plus tôt, vers 1927, ce village à quelque 13 kilomètres au nord de Grande-Rivière (sur la route touristique bien empruntée) abritait plus d’une centaine de familles dont les maisons furent brûlées ou délocalisées par le gouvernement — sous dédommagement famélique —, les champs cultivés cédés à des papetières, et les lieux emblématiques — écoles et églises — détruits. À la différence de localités où les cimetières ont été rasés, parfois dans une douteuse translation des restes, plusieurs cimetières dont celui de Saint-Gabriel de Rameau ont été laissés intacts. Mieux, ce dernier demeure préservé, après le départ de la dernière famille, en 1971. Quasi seuls artéfacts non folklorisés par la mode des récupérations pseudo-ethnologiques, celui-ci — comme quelques-uns émaillant prés et collines —, sont pour la plupart entretenus bénévolement par d’anciens résidents et leurs descendants. Et c’est justement en cela que le titre de l’ouvrage photographiqueRésilience 1970 trouve son origine. Il signe le retour psychique vital au pays de ses investissements initiaux qui furent détournés, retour d’autant ardu que ce village-là est disparu. Parmi d’autres voies, le cimetière réinvesti rejoint en contrepoint universel les millions de discontinuités arrachées aux justes continuités; celles qui savent combien localiser la matérialité des morts contribue à situer les zones psychiques que nous traversons dans le deuil et au-delà, dans nos aménagements quotidiens, même si nous n’en sommes pas conscients.
Cette occasion n’est pas négligée, dans la force de son caractère implicite : « De nos jours, d’anciens habitants et leurs descendants se rassemblent annuellement au cimetière, seul vestige du village qui demeure intact et figé dans le temps. Ces retrouvailles perpétuent un lien avec leur passé. Tout au long de l’année, ils reviennent sur ces terres, autrefois leurs champs, pour pique-niquer, chasser, ou simplement se promener, évoquant des souvenirs de leur vie d’avant. Je les imagine caresser des souvenirs, se rappeler que, parmi les grosses épinettes d’aujourd’hui, à l’époque, “en face du cimetière, là, y a rien, mais t’avais la grande école, l’église pis le presbytère un peu en biais. Ma maison était là-bas, ben, le puits est encore là, la grange était là. Et pis des fois, on passait par le détour à Philippon…”7 »
Ces lieux nous troublent parce qu’ils nous obligent au silence. Le vent hulule doucement dans la pinède qui, parfois, le borde.
Qui eut pu imaginer, en déposant là en confiance la dépouille d’un être aimé, en si tangible succession intergénérationnelle et communautaire, que le sort post-mortem de ses restes serait à ce point perturbé, ou du moins, menacé ? Menace attestée courageusement dans l’inscription artisanale qui orne le code signalétique des cimetières catholiques, la croix, ici solidifiée.

Photo : © Mathieu L’HEUREUX-ROY (2024). « Panneau-papillon artisanal, inscription sur la croix du cimetière de l’existence révolue du village, par son gardien. » Non publiée.
On constate ainsi que le sort des morts n’est pas indépendant de celui des vivants. Et réciproquement. Et c’est pourquoi la résilience, en son germe, a tant à voir avec les pertes symboliques, la perte des illusions, des fidèles ancrages, mais aussi, si dommageables, les pertes de perspectives. Prairies à parcourir et pas seulementcelle des résidents têtus de ce village et de bien d’autres, peu répertoriés.
Alors, si le cimetière connote aisémentle deuil et les deuils de nos devanciers, où pouvons-nous situer la résilience dans notre réflexion ?
La résilience et le deuil ne relèvent pas
du même niveau d’expérience
Dans l’épreuve, qu’est-ce qui est de l’ordre de la résilience et qu’est-ce qui est de l’ordre du deuil ? Comment les distinguer, en dépit de leurs chevauchements existentiels comme des amalgames rapides de nos descriptions émotives ?
Ouvrons la fenêtre sur le paysage : strictement parlant, résilience et deuil ne sont pas au même niveau. En effet, la résilience renvoie d’abord à la manière de réagir après coup à un influx démesuré de signes menaçant l’intégrité psychique ou physique. Cette base nous indique pourquoi nous assimilons si souvent à la résilience la vaillance démontrée face à l’adversité. Or, toute adversité n’équivaut pas à une menace à l’intégrité des êtres. Et ce, en dépit du fait que la crise ou le cataclysme ait pu mettre en lambeaux une de leurs réalisations et les oblige par conséquent à résister autant à l’effet produit sur eux qu’à la tentation de renoncer à... recommencer. Au contraire,la résilience ne se lit pas dans l’instant de la perturbation ou peu après, ce qui au contraire caractérise la bravoure. La résilience se décodera sur le long terme.
De son côté, le deuil renvoie à une perte irréversible, à son impact et non pas d’emblée à la capacité de s’y mouvoir. Statistiquement parlant, le deuil — et l’accumulation de deuils — est donc un phénomène universel. À ce titre, le deuil est plus courant que la résilience.
Mais alors, qu’est-ce qui est propre à l’une et l’autre ?
En examinant le premier terme,qu’est-ce qui caractérise la résilience ? Hormis l’entame à l’être que je viens de signaler ? Au sens devenu habituel, il s’agit de la teneur de la réactivité à une situation heurtante qui mobilise nos modes de défense. Dès les balbutiements de sa notion, la résilience est ainsi devenue synonyme de « rebondissement » devant l’épreuve, de réaction d’affrontement résolu ou du moins adéquat en regard des attentes sociales. Ce caractère admirable aux yeux des autres offre déjà une explication à son usage répandu. Toutefois, la résilience ainsi entendue véhicule une conception mécaniste empruntée à la physique, laquelle qualifie la capacité du métal à conserver ses attributs de forme et de solidité au travers des chocs. D’entrée de jeu, c’est l’idée de “conserver” au sens de garder à l’identique. Or, cette acception physique s’avère irréalistepuisque aucune épreuve ne laisse la psychéindemne, contrairement à une matière métallique. Certes, le caractère performatif, valorisé dans nos mentalités dominantes qui s’empressent de rendre la souffrance productive, contribue à la bonne fortune du terme. L’on verra que ce n’est pas sans risque.
Pour l’essentiel, (et sans nous attarder pour l’heure à cette réserve), cette fameuse résilience s’avère passionnante puisqu’elle tient dans cette « capacité de faire surgir de soi des ressources latentes insoupçonnées8. » Et ajoutons : de les cultiver. Il y a donc découverte étonnante. Par conséquent, la résilience dépasse le sens courant de réaction « positive » (j’y reviendrai), puisqu’elle renvoie à une histoire — personnelle et collective — et qu’elle engage un contexte. De là, on peut formuler cinq traits spécifiques qui éclairciraient en passant le besoin social d’y référer.
Pour les cliniciens et les théoriciens en psychiatrie et en psychanalyse, la résilience serait tributaire d’un traumatisme initial, associé au jeune âge. Serait donc à potentiel de résilience devant l’obstacle ou un choc vécu à l’âge adulte un être qui aurait enseveli une entame psychiqueou physique lointaine pour se centrer alors sur sa survie exigée au présent. Ce traumatisme issu de l’enfance est souvent le fait de négligence, de mauvais traitements ou de situations environnementales délétères — malheurs plus ou moins connus — au cours desquels l’enfant n’a pas reçu de support parental adéquat. Dès lors, toute relation tendue ou situation insatisfaisante ne saurait être assimilée à un choc majeur : un désaccord entre adolescents et parents n’est pas considéré traumatique, non plus que nos souvenirs exacerbés par les mouvements sociaux doloristes (« racontez-nous le plus difficile… ») En un mot, les êtres résilients auraient vécu un grand malheur enfantin qui ne fut pas validé par des adultes tutélaires, et du même coup, non attesté et non soigné. Il arrive pourtant que la présence d’adultes de référence autres que parentaux atténue ce déterminisme, on le verra.
Par ailleurs, un variante du socle relié à l’expérience de traumatisme ne l’associe pas nécessairement à l’enfance, mais à tout événement constituant une source massive de choc, dont la contemporanéité ne nous prive pas, source documentée à partir de la Shoah, dans les guerres, génocides, actes terroristes, ignominies collectives et déséquilibres environnementaux qui provoquent ruptures et déplacements forcés de populations, tel qu’évoqué plus haut. Encore là, l’ampleur de l’exigence de résilience variera en fonction d’autres facteurs, tant et si bien que, si des populations peuvent être estimées résilientes du fait de la menace à leur intégrité, il faut sonder la variabilité personnelle de la réception émotive des évènements.
De là, la distinction opère, source de précaution pour chacune et chacun de nous : pour la conception s’axant sur des sources infantiles, l’être dit « en résilience » manifeste simultanément une blessure implicite et une protection contre la menace que cette blessure représente. Sa protection est même un indice. Il ignore donc qu’il est à potentiel résilient et ne peut par conséquent s’en glorifier. On rencontre souvent cette méconnaissance de la genèse profonde de leurs inclinaisons chez les personnes férues d’aide, professionnelle ou quotidienne, qui rendent grandement service aux autres. Avec de la chance, elles auraient été secourues spontanément, mais partiellement. Il leur arrive alors de compenser leur ardeur altruiste en ignorant cette genèse personnelle : parfois défensivementhyper-sensibles aux malheurs des autres, conscientes des bénéfices de leurs actions, gratifiées à juste titre, elles peuvent quelquefois emprunter une tangente qui les fasse se percevoir comme indispensables, voire impose leur style d’aide.
Néanmoins, ce caractère implicite de la blessure antérieure se révèle moins pertinent chez les victimes connues de grandes tragédies, telles qu’elles peuvent en témoigner. Il n’empêche que l’échancrure psychique lors de catastrophes diffère grandement pour les uns et les autres selon les antécédents de l’enfance, plus ou moins conscients. Et le souci de ces antécédents n’est pas forcément prioritaire dans l’obligation à la survie ayant cours lors de telles catastrophes.
Pour la première acception,le traumatisme initial, apparemment surmonté, se déplace et se révèle lors d’un second traumatisme : plus ou moins patent, de source soudaine, et non forcément gravissime, ce second moment est vécu comme une irruption du réel, brutale et heurtante. « Cela nous rattrape » en exprime bien la dureté. On l’observe par exemple dans le fait d’être intensément bouleversé par une situation qui afflige autrui ou lors d’une navrante désillusion qui s’apparenterait par certains aspects au traumatisme ancien. Il y un parfum de projection rétroactive, telle que documentée du décès des personnages (Cohabiter avec le rite).
Dans la seconde acception, associée à un événement collectif percutant, les personnes affligées se sentent débordées par la réalité et encore plus intensément s’il en surgit une réminiscence d’une déréliction enfouie dans les limbes de l’inconscient. Ce fut parfois le cas de personnes non en deuil qui témoignent de leur ravage intérieur lors de la pandémie de COVID-19.
Ce qui qualifie l’ampleur du traumatisme — qu’il soit initial ou secondaire — ce n’est pas prioritairement la force de l’agent provocateur, voire son caractère spectaculaire — relayé et parfois amplifié médiatiquement : ce n’est pas non plus uniquement la surcharge sensorielle, perceptive et émotive, pourtant notoire. Ce qui aggrave cette surcharge et traumatise au sens clinique, ou ce qui fait en partie le lit de la résilience qui s’ensuivrait ? C’est largement le choc inhérent à l’absence d’humanité : l’impossibilité pour le traumatisé, d’abord, d’obtenir du secours in situ; ensuite, le blocage de réaction9 ou d’extériorisation en paroles et en actes; enfin, la lacune de mise en lien du vécu psychique actuel avec des expériences passées, individuelles et communautaires, collectives, ces dernières demeurant par ailleurs à mieux documenter10.
Dès lors, si le traumatisme offre une occasion de dépassement, c’est en fonction de la reconnaissance active de la blessure. On y reviendra. La résilience est alors permise par un « tuteur11 » ou par la « rencontre12 » de deux destins et d’une accroche entre eux.
En somme, la résilience est plus complexe et subtile que ce que l’on estime généralement.
Maintenant, qu’est-ce qui est propre au deuil ? Le deuil « surmonté renforce le goût de la vie (…) et donne le sentiment d’avoir des forces régénérées13. » Encore ici, on trouve une palette singulière, éminemment lors de la perte d’êtres dits significatifs.
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◼ La perte dans le deuil peut être traumatique, mais pas forcément, justement en fonction de la survenue de la mort, de ses impacts immédiats et de pouvoir obtenir des recours. Et cela, même si les circonstances sont soudaines, violentes, iniques ou qu’elles ont laissé les personnes aimées sans la présence de leurs proches, comme ce fut le cas lors de la récente pandémie. Toutefois, si l’on peut à ce moment bénéficier de soutien — même de source imprévue et inhabituelle —, ce deuil en temps de cataclysme sociosanitaire ne saurait être systématiquement qualifié de « traumatique », même si cette mention apparaît comme une marque d’empathie.
Néanmoins, encore une fois, la perte d’êtres aimés est le lot commun de l’humanité. En revanche, cette forme de rationalisation qui veut normaliser la peine ne nous autorise pas à banaliser la mort et le deuil au point de justifier une indifférence qui isole davantage les affligés dans leur éventuel sentiment d’inadéquation sociale, les forçant à s’adapter à de nombreuses attentes.
◼ L’ampleur du deuil est d’abord tributaire du lien préexistant et des fonctions que remplissait la relation (de soutien, complémentarité, dépendance, etc.), mais aussi des fragilités relatives de la personne affligée : physiques, psychiques, sociales, en soi et lors du décès de l’autre. De là, l’effort de retour sur le parcours de ce lien devient d’autant vital, advenant que l’on n’ait pas bénéficié de part et d’autre de ce temps de l’adieu.
Notons que cette dimension de lien significatif a contribué à l’élargissement de la notion de deuil laquelle, déjà, avec Freud, impliquait la perte d’un « objet » significatif14. L’investissement soutenu à l’endroit d’un projet ou d’un idéal qui battent de l’aile introduit la notion de perte également, cette fois, de sens. On y reviendra dans autre texte.
◼ Pour que le « travail de deuil » s’amorce à son rythme dans l’inconscient, il faut un assentiment conscient à la réalité de la perte, voire un certain degré d’acceptation — jamais achevée. Il faut également accepter ses effets psychologiques et sociaux, imparables, surtout sur en ce qui touche l’identité. Ce trait renvoie au point de départ de tout deuil qui valide l’absence définitive de vie empirique. Loin d’être une simple statistique ou un avis de décès tenant du registre de l’information, il s’agit d’un enjeu de formation mentale et psychique intemporel, perceptif.
En effet, cette attestation matérielle et symbolique demeure essentielle, au travers des modalités concrètes de reconnaissance de la réalité de la mort réunies dans le rite social des funérailles : présence de signes sensibles de l’absence qui orientent le partage des émotions, témoins extérieurs attentifs, tonalités des échos de sens attestant d’abord de l’absence d’échange avec l’être qui n’est plus, puis de la destinée humaine et des formes culturelles éprouvées de sa métabolisation, enfin, solidarité concrète et alternance entre silences et démonstrations de chagrin. À l’instar des bonnes “portances” connues dans l’enfance, ce dispositif rituel de contenance des émotions variées nous rassure sur notre humanité et distille ainsi la confiance en une intériorisation créatrice des résonances de cette perte si difficile à intégrer. Et parce que le rituel relie à plus grand que soi et refouette le vouloir-vivre collectif, la culture s’y refonde, en bas bruit. En cela, l’accomplissement du rite enrichit et englobe le témoignage envers un individu.
◼ L’identification à la personne décédée et surtout la culpabilité, bien que réelles et en large part inconscientes, sont encore méconnues, en dépit des tentatives de la psycho pop15. Inconsciemment, il y a identification développementale lorsque l’on « emprunte » des qualités de l’autre ou que l’on cherche à poursuivre ses engagements sociaux; par contre, il y a projection ou fusion imaginaire délétère quand, par exemple l’on développe la même pathologie. Or, cette double identification existe à divers degrés chez chacun. L’identification développementale comme modalité de défense saine et constructive devant ce qui est perdu fait partie intégrante de la transmission intergénérationnelle, au même titre que le bagage génétique et que les modes d’être civilisationnels. Elle est un préalable à la liberté, puisque cette dernière procède d’une dés-identification, non pas complète mais partielle, en regard des héritages, ouvrant la voie à un legs qui laisse place au choix le plus conscient possible. De la sorte, tous ces aspects de la transmission s’avèrent des clés pour comprendre l’existence même des civilisations et le ressort que leur permettent notamment les rites; ceux-ci reconnaissent le mouvement entre la vie et la mort, saluent le passage de nos devanciers et valorisent une forme de continuité.
Toutefois, des sentiments inconscients de culpabilité n’en existent pas moins en raison justement de l’ambivalence de base entre amour-désamour, qui s’accompagne par moments de souhaits hostiles que l’endeuillé se reproche à présent, comme s’ils avaient pu contribuer au décès, voire le provoquer. On retrouve couramment cette façon de penser chez les enfants.
Comment s’articulent les différences
entre résilience et deuil ?
Pour articuler des éléments, quels qu’ils soient, il nous faut emprunter des éclairages qui servent d’analyseurs de significations. Ici, afin de mieux distinguer ce qui relève du deuil ou de la résilience, ces analyseurs offrent des points communs d’exploration qui les contrastent et, par cette voie de la comparaison, les précisent. On en trouve aussi cinq.
◼ La naturalité. Nous le savons, le deuil est un phénomène naturel, lié au fait même de vivre. La résilience, non.
◼◼ Les types de sentiments éprouvés : le sentiment d’injustice issu de la résilience peut porter à vouloir refaire le monde. Néanmoins, le deuil provoque parfois cette inclinaison, sans forcément être alimenté de ce sentiment d’injustice. (On ne s’étonne pas alors de la pléthore de guides de deuil qui prétendent en renouveler le sens à la faveur des découvertes de leurs signataires.)
◼◼◼ L’évolution dans le temps : le temps du deuil ne va pas en général vers sa « révélation », mais vers sa métabolisation. Au manque à vif striant les images du vide laissé par l’autre se succèdent des représentations de ses attitudes, de ses valeurs, entraînant leur reprise et la fabrication d’un legs singulier. La force de ce mouvement n’est pas synonyme d’oubli, mais de tri dans la mémoire afin de forger le souvenir, celui-là même qui réchauffe et galvanise le désirfondamental, comme l’enjeu-clé du deuil : être au sein de la vie.
Pour sa part, le temps de la résilience s’abîme d’abord dans la réitération de la surcharge de sensations et d’émotions suscitées par la réalité et la perception de l’horreur, notamment lors de traumatismes collectifs : les « flash-back » en tant qu’images intrusives et dévastatrices en sont le signal d’alarme. Dans toutes les situations, il y a d’abord un rappel brut et lancinant au plan imaginaire, autant en rêves qu’en “songeries”, inscrit dans le corps. La formation évolutive du souvenir se trouve alors suspendue puisque le souvenir est de l’ordre de la représentation réfléchie et non pas la réminiscence indue d’une sensation; on trouve aussi une forme de « déjà vu » lors de la survenue du traumatisme secondaire et, pour certains, un rappel terrifiant de ce qui fut oublié ou réduit au silence dans la transmission intergénérationnelle, par exemple les atrocités des guerres passées et de leurs sévices. Or, ce martèlement se dissipe dans le recours à diverses dynamiques de survie qui ne tiennent pas qu’à des traitements psychologiques, mais à des conditions de déploiement des existences. J’y reviendrai.
◼◼◼◼ La portée dynamique de l’origine du mal-être : dans le schéma évolutif général, le deuil confronte le manque, sauf dans le cas de deuils compliqués ou gelés. De son côté, la mise en place de la résilience implique comme on sait que l’expression du manque ou de la souffrance ait été bloquée à l’origine. Néanmoins, même en admettant que la reconnaissance effective du processus de découverte de la résilience par un tiers soit opérante, la survie n’est jamais linéaire. En cela, le type et la force du trauma, autant originel que secondaire, font varier les parcours.
◼◼◼◼◼ L’évolution des émotions : l’énergie permettant le passage vers la résilience tiendrait dans le réaménagement interne et progressif de la haine et du tourment en une sorte de retournement créateur pour soi et pour son entourage. Pour sa part, l’énergie permettant la traversée du deuil se trouverait dans la déposition en soi de la qualité de la relation et des autres contributeurs à l’aptitude au deuil que j’expliciterai plus loin.
Qu’ont en commun la résilience et le deuil ?
En première ligne, leurs similitudes sont associées à des éléments objectifs, aisément repérables dans les récits qui témoignent de l’une ou de l’autre :
◼ les sentiments entremêlés, forgeant une ambivalence affective minimale : colère ET motions tendres relatives à l’être perdu ou à la situation; soulagement ET dévastation, etc.;
◼ les rêveries fantaisistes de toute-puissance, suscitant des scénarios d’héroïsme ou de rocambolesques retours dans le cours de l’histoire, les « si j’avais… » pouvant refléter un sentiment de responsabilité indue, voire une culpabilité, encore ici inconsciente, mais associée pour l’être en peine à ses propres manquements lors de la situation de choc ou auparavant;
◼ la nécessité de digues sociales et interpersonnelles pour se défendre du sentiment d’être submergé par la peine ou atterré par l’infraction événementielle;
◼ l’importance de construire ou de consolider des défenses personnelles;
◼ contributeur de l’élaboration de défenses devant l’encoche de sens et de ses traces, encore une fois : la nécessité du recours à un ou des tiers et l’obtention d’aide des instances publiques.
En deuxième ligne, les deux phénomènes comportent des analogies (« telle chose me fait penser à telle autre, mais dans un registre différent ») : à la base, et source de l’instinct vital, on observe le mouvement qu’ils provoquent dans un processus d’allègement de la souffrance. Celle-ci est provoquée par le manque affectif et l’encoche identitaire, qu’ils soient issus d’une absence irrémédiable, dans le deuil, ou d’une violence événementielle et surtout relationnelle, dans la résilience. Dans les deux cas, le mouvement tend vers la réparation de la blessure. Ce qui entre en jeu dans cette réparation, commun aux deux ? Des ressources insoupçonnées venues de passés lointains remontent vaille que vaille, tant et si bien que parmi les décombres, la vie et son sens s’esquissent, se renouvellent, puis s’affermissent. Et assurément, il faut beaucoup de temps pour que se forgent l’une et l’autre.
En troisième ligne, y aurait-il entrecroisement entre résilience et deuil ? Ainsi, quand on est résilient, comment se passe le deuil ? En d’autres termes, la personne ayant expérimenté la résilience est-elle psychiquement mieux équipée pour vivre un deuil ?
Tout dépend d’un côté de ce qui suscite la résilience, comme de sa force : par exemple, le récit du traumatisme originaire est-il partagé par d’autres, en soi et dans l’occasion de l’élaborer ? La force est-elle seulement nourrie par le succès social ? De l’autre côté, le deuil est en grande partie déterminé par la teneur de la perte dans la mort et par les assises expérimentales et relationnelles de qui l’éprouve, si bien qu’un traumatisme n’est pas nécessairement en jeu, comme le signale le deuxième extrait coiffant et éclairant ce texte. Néanmoins, l’habitude de la souffrance pourrait faire en sorte que l’être en résilience “encaisse” plus aisément le chagrin du deuil.
Il se peut aussi que, à l’inverse, la résilience se manifeste par suite d’un deuil, s’il s’agit de la perte d’une figure qui aurait pu être tyrannique et donc source de trauma de longue date. La mort de l’autre agit donc alors comme trauma « révélateur ».
« Capacités »: concernant deuil et
résilience, peut-on les apprendre ?
La lectrice, le lecteur pourraient soupirer en évoquant le lourd déterminisme qui stipule que ces capacités se nourrissent dans l’enfance. Avec raison, ils pourraient invoquer que cette aptitude est un contre-sens pour la résilience, puisque c’est en bonne part les failles d’une bonne contenance du petiot qui justifient que l’on devienne résilient (au gré de ce qui le favorise par ailleurs). Justement, si beaucoup se joue au cours des premières années, tout ne s’y résume pas. On peut au cours de l’existence trouver des occasions de nourrir cette puissance.
Néanmoins, il demeure des assises développementales fiables. Ainsi « l’aptitude au deuil16 » prend sa source dans la confrontation aux premières frustrations et dans lesmanques associés aux courtes absences maternelles, si l’enfant est assuré de son retour aimant17. Cette aptitude se caractérise par le renoncement progressif à la fantaisie de toute-puissance qui incite à croire que les choses existent telles qu’on le veut et qu’on les dirige. L’enfant échappe ainsi à l’envahissement de la frustration plaintive en trouvant un objet de substitution — transitionnel — qui condense un trait de l’absentée (« mon doudou me fait “comme si” c’était la douceur de maman. ») Cette procuration ou cette analogie ponctuelle lui permet de surmonter sa contrariétéattristée dans une nouvelle gratification : elle lance l’imaginaire, cette faculté de créer des univers mentaux. L’imaginaire accompagne toute vie et ses revers, résilience ou pas.
Plus tard, cette aptitude forgera le « deuil narcissique », qui se raffinera par le discernement entre desforces en présence. Il ne conduit pas qu’à inventer des pratiques astucieuses, mais également à renoncer à cette forme primaire d’omnipotence, au contrôle systématique de ce qui nous advient de diverses sources. (Mais ce deuil s’avère lui-même laborieux dans les vertiges culturels d’illimitation, dont les effets génèrent aussi des traumatismes18).
Résultat : l’aptitude au deuil nous conduit à acquiescer, non sans peine, au fait même des bornes du dépérissement puis de l’achèvement de ce à qui et à quoi nous tenons dans nos existences. (Les étoiles en seraient témoins, par-delà la qualité des liens humains globaux desquels ne pas désespérer...) De la sorte,en nous amenant à reconnaître la réalité de la limite, l’aptitude au deuil entraîne alors un double mouvement : celui qui fabrique la personne comme sujet ou comme être pensant sa propre réalité et celui qui admet la mort symbolique de ses fantaisies ou d’une part de soi. S’y forge notamment le discernement requis pour choisir les “causes” importantes dans nos vies. En fait, l’aptitude au deuil nous apprend à penser et à nous relier les uns aux autres.
Plus précisément, dans la fabrication de modes de défenses devant une perte « significative », l’aptitude au deuil implique idéalement les conditions qui ont déjà été évoquées, certaines plus hésitantes pouvant être contrebalancées par d’autres : la qualité historique du lien; la possibilité de clarifier le lien avant la mort; le soutien du groupe incluant la ré-assurance de la place de l’être endeuilléen son sein, notamment par l’effectuation des rites de mort; l’assurance de pouvoir compter sur un interlocuteur bienveillant et la possibilité de s’exprimer de différentes façons, et non uniquement par la parole.
Quels apprentissages pour ce qui concerne la résilience ?
Les conditions de départ déjà énoncées peuvent être nuancées, car par-delà les défaillances parentales, il aura fallu un minimum de bonne attention de familiers. Néanmoins, parce qu’il y aurait une forme ou autre de maltraitance au sein ou hors de la famille, un sentiment de culpabilitése développe chez l’enfant, par exemple dans l’anxiété de ne pas être assez « aimable »; s’ensuit plus tard la nécessité de reconnaître cette culpabilité, laquelle, de toutes manières, alimentera la résilience et permettra qu’on cesse de se malmener.
Par conséquent, après une importante période de mutisme et d’inhibition — puisque son énergie était accaparée par sa survie —, l’enfant, l’adolescent, l’adulte souffrant se trouve en présence d’un autre individu plus âgé ou plus éclairé qui décèle son mal-être caché, le lui signale en lui signifiant qu’il peut le comprendre et, surtout, faire confiance en ses capacités et parier sur son avenir. En d’autres termes, se réitère un principe à la fois simple et exigeant en temps, énergie et savoir : il s’agit de reconnaître. Mais reconnaître quoi ? Le réflexe initial de s’auto-anesthésier; l’ampleur de l’ambivalence des sentiments et de leur portée; l’équilibre recherché entre, d’un côté, la rancœur, l’impuissance, la peur d’être abandonné et, de l’autre, des aspirations élevées.
Le chemin vers la résilience n’est donc pas linéaire et simple, vu l’ampleur et la diversité des émotions et des modes de défense ou d’expression qui s’y rapportent. Il semble que beaucoup de nos contemporains mettent l’accent sur l’issue ou ce qui estampille une sorte de label, au vu des résultats visibles. Ainsi, on insiste parfois sur son caractère opératoire, même s’il est bien réel : « La résilience se définit par un type d’activité qui met en place dans l’esprit un but et une sorte de stratégie pour réaliser l’objectif choisi, les deux paraissant comporter plusieurs éléments connectés : une estime de soi et une confiance en soi suffisantes, la croyance en son efficacité personnelle et la disposition d’un répertoire de solutions. Elle est très nettement influencée par deux facteurs de protection : des relations affectives sécurisantes et stables et des expériences de succès et de réussite19. »
En effet, c’est là que l’on achoppe sur un relatif impensé. Qu’entend-on par « expériences de succès et de réussite », aux yeux de qui ? Au préalable, il aura fallu que le « répertoire de solutions » n’obéisse pas à un aveuglement revanchard sur ce que les autres doivent ou devraient aux résilients ou encore à une forme de compensation grandiose qui risque de faire oublier l’existence de ces autres, dans un pur paradoxe de reprise égocentrée sur le mauvais sort biographique. Il aura également fallu que ces solutions soient d’un registre praticable, non pas tant en vue d’une garantie absolue de réussite, qu’au sein d’un processus de discernement des forces en présence, le plus objectivement possible.
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Cette réserve ouvrira le propos sur l’usage généralisé des termes. Toutefois, afin de clore cette section sur la construction des capacités de deuil ou de résilience, quel axe y contribue ?
En effet, autant pour le deuil que pour la résilience, la présence d’un tiers attentif à la possibilité expressive de la tension intérieure ressort comme invariant : elle se manifeste de manière différée (sports, projets divers) ou directe (écriture, arts visuels, etc.) et dans la validation des motifs d’estime de soi. Ce tiers nidifie les bribes insoupçonnées, souvent inénarrables. Par ses soins s’ouvrent des champs de signification qui, à leur tour, valident et surtout amplifient la dynamique en écho. Bref, même en révélant les failles enfouies, la résilience n’est pas soutenue que par la sollicitude individuelle. Car, loin d’être la vertu dominante d’une nouvelle morale édifiante, la résilience se construit par les fruits de la culture, cet ensemble forgeant les savoirs qui bloquent le catastrophisme et le vertige des sensations délétères prisées par les industries du spectacle. Cette élaboration dans une immunité partagée par l’environnement humain favorise le cheminement, même ardu, de survie tuméfiée vers une existence davantage encline à une réparation sinon sereine, du moins pacifiée.
En somme, dans les deux cas, en attestant et en autorisant la vérité émotionnelle de ce qui est disparu, la « tiercité20 » instaure progressivement des moyens de réparation, même minimaux. À nouveau, réparer, c’est remanier un élément d’affliction en création. En établissant une gradation des efforts, vu l’épuisement psychique, on peut tranquillement acquérir une nouvelle habitude de santé, un nouveau mode expressif simple, en solo et en groupe, un autre domaine de connaissances. Nous constatons tous combien sortir tranquillement de soi provoque un influx de bien-être, même ténu, lequel alimente la confiance en nos capacités de « composer avec ».
Il arrive ainsi, que réconfortés par la découverte d’une certaine puissance intérieure, endeuillés et résilients élargissent le principe du tiers affectif dans des gestes expressifs. En d’autres mots, ils s’extirpent de l’auto-référence pour conduire leur énergie mentale dans une triangulation enrichie des significations potentielles de leurs expériences. En bougeant intérieurement, ils découvrent des zones mémorielles qui ont précédé les événements traumatiques, tels des saveurs, des odeurs, des bouts de textes ou des paysages. Tout ce bagage ouvre à un sentiment de soi qui se désire relié à d’autres mondes. Soulignons néanmoins ceci : dans la foulée, il se peut qu’ils remettent en cause les attentes sociales et le statut liés au deuil comme à la résilience générés par la culture dominante. Tant mieux, car s’ouvre le terrain si fécond de la concertation.
Pourquoi nuancer l’usage des termes ?
Un constat s’impose, qui semble aller de soi autant pour le deuil que pour la résilience dans le discours social dominant : l’accent porte d’abord sur une issue, et non un processus, puis pointe vers une issue « positive », évoquée à l’instant. On l’entend couramment dans les jugements de type « untel être a fait son deuil », alors que telle autre, non. Je ne retiendrai dans les limites de ce texte que ce qui concerne la résilience.
Outre ce que j’ai souligné de son origine en physique des métaux, à nouveau, l’issue performative est évidente dans cette définition canonique de la résilience : « La capacité à réussir, à vivre et à se développer positivement, de manière socialement acceptable, en dépit du stress ou d’une adversité qui comporte normalement le risque grave d’une issue négative21. » Cette définition ne fait pas que laisser un flou normatif sur ce qui serait « positif » ou « négatif » dans le domaine psychosocial, en y introduisant une néo-morale discriminant les émotions. Elle introduit pour la personne résiliente la jauge de ce qui est socialement acceptable. Pour faire bonne mesure, d’autres auteurs, entre glorification et réserve, n’hésitent pas à refléter le caractère extraordinaire, voire exceptionnel de la résilience, néanmoins devenu courant : « Capacités hors du commun de survivre à une profondeur de traumatisme par une réussite. » Mais pour cet auteur-clé, il se trouve en contrepartie que « la résilience a un prix : elle émerveille mais elle peut inquiéter22. » Et ce d’autant plus que, même déclarée, elle n’est pas assurée.
Dès lors, à quoi serait attribuable cette surdimensionnalisation de l’issue ? Et surtout, quels risques peut-elle faire courir aux premiers concernés ?
On y trouve une mythologie de l’efficience systématique (« c’est le résultat qui compte ») et de la croissance absolue que portent les individus, en compensation des lacunes de projets sociaux porteurs de sens. Cette injonction qui conditionne la survie serait habitée du fantasme de l’illimité, lui-même en relais de la vieille fantaisie d’omnipotence infantile, que l’aptitude au deuil-renoncement venait brider.
Cette mythologie de la valorisation en est une de « plus-value » symbolique incessante : elle est nourrie par la mise en exergue sensationnelle des « gagnants », des « vainqueurs », « des comment je me suis sorti.e de ». Elle est modélisée par tous les types de médias, notre nouvelle religion assentie béatement comme sauf-conduit de la valeur, si ce n’est de la gloire sociale.
Or, comme cette mythologie de l’issue positive à tout crin, apparentée à l’héroïsme, connote couramment une forme d’idéal social, elle entraîne une confusion entre des aspirations légitimes et leur définition trop exclusive en termes de succès visibles à court terme, voire de performances et de démesures spectaculaires. Par conséquent, elle induit des objectifs sociaux irréalistes qui viennent contrecarrer le travail nécessaire de deuil narcissique. Comment ?
En exhaussant l’issue du malheur, cette confusion dénote au fond une méconnaissance de ce qui nous échappe. Méconnaissance du processus — ou sa simplification à l’extrême — dans une conception linéaire oublieuse des éléments d’une reconstruction qui se cherche pourtant ardemment. Par exemple, certaines déroutes, désillusions ou pertes symboliques douloureuses sont en lacune d’exploration, ne serait-ce que par cette simple question : « En quoi et pourquoi cela vous fait-il si mal ? » Dans la foulée, on risque d’ignorer les angoisses liées à l’incertitude sur ses propres manières de se mouvoir psychiquement, ou encore d’édulcorer des impressions de stagnation vécues par les personnes éprouvées.
Or, cette méconnaissance ne concerne évidemment pas que le sort direct du travail de deuil narcissique : elle loge dans un autre registre, soit la méconnaissance de l’importance des facteurs macroscopiques qui contribuent à une idéalisation excessive, monolithique et obnubilée par la « reconnaissance sociale ».
Qu’arrive-t-il alors si l’on ne se conforme pas à cette nouvelle religion où prime la vitrine sociale de la résilience ? Pour qui chemine autrement, il y a danger de marginalisation et d’amplification traumatique.
On objectera avec raison que cette tendance sociale relève des bonnes intentions à l’endroit des êtres affligés. Lavolonté de bienveillance peut certes coexister avec l’aveuglement et, au travers des niveaux de complexité sociale, avecune quête légitime de réassurance chaleureuse. C’est que, par effet de démocratisation et de souhait de légèreté — ce signifiant de bonheur —, nous assistons à uneultra-simplification conceptuelle dans la multiplication des mots banalisés.
C’est ce qui vaut notamment pour la résilience, si l’on nese fie qu’à ses manifestations, en repoussant forcément l’idée d’une longue genèse psychique. Ainsi, en affrontant l’adversité et les causes même de nos propres chagrins, sommes-nous résilients ou simplement animés du couragenécessairepouraccepter la réalité des émotions, évaluer les forces en présenceetles traverser sans trop nous abîmer ? Bref, pourquoi nous sentirions-nous dévalorisés de ne pas être qualifiés de résilients alors que tout parcours existentiel est jalonné d’écueilsquisollicitent notre résistance active ?
Que retenir ?
Du doudou aux truchements validants, en passant par les expériences d’altérité, le tiers, toujours
Si la tiercité ou le principe du tiers s’avère essentiel pour la biographie affective, en une personne qui l’incarne, le tiers peut emprunter d’autres formes. Par l’entremise ou non de ces tiers personnalisés entre le malheuret soi, d’autres tiers se révèlent, commej’en ai fait état. Mais endéfinitive, c’est essentiellement de l’acte de penser qu’il s’agit.
D’abord, penser autrement : hors de la dichotomie succès-échec en insérant la part de tous les inédits des parcours, qui ne sont pas tous captés — tant mieux ! — par des modèles qui « forcent » l’admiration. Car autant la résilience que le deuil témoignent d’un cheminement qui n’est jamais achevé.
Ensuite, penser largement et profondément en se demandant comment des cultures autres ounon contemporaines ont pu affronter l’adversité, le sentiment d’abandon et de trahison, la désillusion, l’absence ou le manque. L’Histoire nous enseignetoujours comment les capacitéshumaines ont réussi à conjurer catastrophes etvertiges d’anéantissement. S’en imprégner nous permet certes de créer mais aussi de pouvoir transmettre la combinatoire passé-présent, ce qui est une solide promesse de soutien desrésiliences à venir.
Enfin, penser que, si l’épreuve implique de souffrir, elle amène également la joie de développer résistance, courage, solidité, persistance et ténacité, tous synonymes de la partie valeureuse de la résilience, sans les sources traumatiques de l’enfance. Telles qu’observées par tant de nous.
Sans nousréclamer de cette résilience, nous nous trouvons alors simplement devant les humbles et fortes épreuves fondamentales de l’existence.
Penser l’histoire de Résilience 70 au filtre de ces éclaircissements
En toute rigueur, un retour s’impose sur l’histoire inaugurant ce récit. Résilience 1970 titrait l’ouvrage, qui prenait soin d’introduire la définition du Larousse : « Aptitude d’un individu à se construire et à vivre de manière satisfaisante en dépit de circonstances traumatiques. » Tout en n’étant pas suivie de l’explicitation de « traumatique », cette définition a le mérite de diminuer la connotation performative brillante, au profit de simplement « satisfaisant pour les individus. » On perçoit le contentement implicite, conséquence d’une tentative de réparation qui désigne autant ses propres limites que ses accomplissements. Mais en même temps, on renvoie comme sens à la seule interprétation des individus. Alors que, dans ce cas, il y a tant de diagonales autres.
À l’origine, bien des indices justifient le sens de « traumatisme groupal » : à l’évidence, on trouve le caractère arbitraire et abrupt d’une évaluation gouvernementale se soldant par le démembrement de communautés, au propre et au figuré. Puis, pendanttoute la durée de l’entreprise de persuasion des esprits, il y eut inconsidération des significations symboliques, économiques et sociales de ce territoire pour ses habitants : absence d’égards pour les bouleversements majeurs de leurs sources de revenus, de leur vie quotidienne et des liens de voisinage qui découlent d’une telle transplantation. En somme, autant par l’avènement que par l’absence de « soins », la source de ce démembrement relève purement et simplement de la violence enagissant directement sur l’intégrité d’un lieu et sur l’identité citoyenne, si ce n’est patrimoniale.
Dès lors, que les retentissements de cette délocalisation aient été variables selon les profils psycho-biographiques despersonnes visées aide à délimiter la teneur du choc qu’elles ont subi. Soyons à cet égard circonspects.Iln’empêche que, effectivement, une communauté comme entité peut être résiliente. Et en rendre compte ne se limite pas à un exposé des souffrances.
À telle enseigne que ce qui semble être mis en exergue par les auteurs, c’est le contraste marqué entre, d’un côté, la vie quotidienne villageoise de cet antan récent, bellement gravé par l’argentique technique photographique d’unetalentueuse et discrète anima villageoise et, de l’autre, les vibrations contemporaines du retour sur place des villageoisdéportés comme de leur progéniture devenue elle-même parent et grand-parent. Le traumatisme est donc désigné en images : d’un côté, une forme d’insouciance ou à tout le moins, d’existence simple et besogneuse suivant les exigences saisonnières, mâtinée de la présence d’enfants, photographies cadrées par l’œil esthétique de leur auteure, l’édition les cerclant en noir;;d’un autre côté, dans les pages cerclées de blanc, des visages ni fermés ni tristes, mais auréolés d’un mélange d’attente d’on ne sait quoi et animés de la chaleur des retrouvailles, dans un paysage plus qu’épuré...
C’est dans cet écart que se mesure l’ampleur de ce qui fut, d’une part, l’arrachement à une terre qui a soudé ses habitants par le travail acharné qu’ils y ont consacré et, d’autre part, les effluves d’un attachement loin d’être passéiste puisque la communauté s’y rassemble et que ses membres s’entraident. De là, des « ressources insoupçonnées » se révèlent, qui n’eurent peut-êtrepas été effectives autrement. Elles sont d’au moins deux ordres.
La tiercité y est merveille. Elle éclate dans la démarche d’abord attentive au temps de l’avant, grâce à l’effort mémoriel soutenu par l’aptitude à sonder l’étrange et l’inaperçu, au travers des possibles traces intergénérationnelles. Mais il fallait offrir une résonance à ces photos, et de ce tiers embryonnaire a éclos le bouquet des souvenirs des êtres liés à ce village disparu : l’exposition(2022)de ces photos anciennes tirées des instantanés si bien campés de Georgette BÉLANGER-RIOUX, tiers déjà facilitatrice, par son rôle de maîtresse de poste, à une époque où cacheter et décacheter une lettre pouvait faire bondir le cœur. Cette exposition en bordure de cimetière a été le fer de lance de rassemblements réguliers. Les volontaires ont posé les pieds exactement sur l’emplacement de la maison de leur enfance, et leur image ainsi captée a enclenché le mouvement, cette fois collectif, de pérenniser et de donner. Donner ?
Donner à penser.
Penseraux mouvements des humains et, forcément, à leur immobilité définitive, laquelle n’en reste pas là. Car le cimetière, intouché, persiste comme une occasion ou une chance infiniment précieuse. Qui nous donne à penser que, dès l’origine, iln’est pas qu’un un vestige d’un peuplement humain, ou du moins pas le seul, comme ici.
Il galvanise le désir de vivre et, curieusement, pasuniquement pour lesêtres en résilience, ni lesêtres en deuil.
Luce Des Aulniers, professeure-chercheure
Crédit : Georgette BÉLANGER-RIOUX (Année inconnue, entre 1953 et 1968), « Trois enfants sur un toit avec ouvriers », archive tirée de Résilience 1970 (voir Note 7, p. 25)
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Notes (tous les soulignés de citations sont de LDA)
- HÉMON, Louis [1880-1913] (1916). Maria Chapdelaine, Paris, Grasset, 224 p., réédité x fois et du texte original : Montréal, Boréal, 1988, 218 p., p 147 (Voir fiche pédagogique). Dans un contexte de colonisation auquel le présent texte réfère en partie, le séjour de l’auteur français au Lac Saint-Jean (Canada français), inspire ce roman aux amours impossibles, pour HÉMON reflet de tendances antinomiques entre nomades et sédentaires, fantaisies et normes.
- MÉTRAUX, Jean-Claude (2004). Deuils collectifs et création sociale, Paris, La Dispute, 317 p., p. 52.
- ALTOUNIAN, Janine (2005). L’intraduisible. Deuil, mémoire, transmission, Paris, Dunod, 2005, p. XV, 207 p. Ouvrage nourricier, notamment le chapitre sur « Traduire au tiers qui reste », et la section sur « un métissage nécessaire pour se séparer des morts et transmettre leur vie ». Voir infra texte. Souligné de J. ALTOUNIAN.
- Horace, poète latin (65-8 av. J.C.), dans son Carpe diem, formule célèbre : « À juste titre, car il ne s’agit pas d’une fioriture occasionnelle, mais bien de l’expression d’une idée essentielle des Odes; il ne s’agit pas non plus d’une banale invitation à la jouissance, mais de la pièce centrale dans un dispositif complexe de réponse au défi du temps. » DESBORDES, Françoise (1992). « La vie brève : une étude du temps dans les Odes d’Horace », Vita Latina, No. 125, p. 11-20, p. 12. Comme quoi la sensibilité à la brièveté de l’existence que borne la mort incite à un mode de vie accessible à la conscience et source de sentiment d’accomplissement.
- Une des formes essentielles de liberté sociale, in GRAEBER, David, WENGROW, David (2022). Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, (trad. de l’anglais), Paris, Les liens qui libèrent, 743 p., p. 648-655.
- En retrouvant l’esprit de mes propres terrains documentaires étudiants des années 1970, la grande part des données sur les questions d’occupation des territoires ruraux de l’Est du Québec provient ici du Magazine Gaspésie (Musée de la Gaspésie). Villages disparus : résistance et résilience, Vol. 61 No 210, Août-Novembre 2024, notamment : LEMAIRE-CAPLETTE, Marie-Josée, « Des villages enracinés dans le cœur. Avant-propos (et extrait), p.3-5; THUOT, J.-R., « Un pays sur la table à dessin. Les villages gaspésiens au 20e siècle, un parcours entre conquêtes, abandons et fermetures », p. 6-8; DUFORT, P., « Exode et résistance des paroisses dites marginales de l’Est-du-Québec », p. 9-10. ET No 211, Décembre 2024-Mars 2025, notamment GAGNON, M., « Aux origines des Opérations Dignité : l’exil des familles et les fermetures de villages de l’Est-du-Québec », p. 34-37.
En voici sommairement quelques repères. En 1963 est créé le Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), à titre de projet-pilote de développement régional qui consulterait la population dans une perspective de planification du développement économique. En 1968, sans trop de points communs entre technocrates, animateurs sociaux et premiers concernés, le projet de « structuration rationnelle de l’espace » (THUOT, p. 7) débouche sur un réaménagement plutôt désordonné (par l’Office de Développement de l’Est du Québec) impliquant entre autres le projet de fermer 88 villages (ces regroupements avec statut civique et divers services) et hameaux (quelques habitations sans église), tous colonisés dans l’arrière-pays et animés de solidarité communautaire. Cette solidarité limitera à 11 les fermetures de villages en Gaspésie, sous l’égide des Opérations Dignité, dès début 1970.
Sous l’impulsion de leaders locaux dont des curés de paroisses touchées, dix ans de cette mobilisation ont eu relativement raison d’une logique de marché débridé (en résonance avec celui de la morue) qui déléguait aux grandes entreprises forestières le sort de larges pans territoriaux, incluant ceux qui avaient été défrichés par leurs pionniers. Depuis, les habitants des villages épargnés ont entretenu la résistance sur maints fronts d’une saine occupation du territoire et continuent d’être source d’actions plus respectueuses des ressources naturelles, des environnements et de leurs occupants. Depuis 2009, un Centre d’interprétation et de recherche sur les Opérations Dignité veille non seulement à la mémoire des ripostes à cette forme de marginalisation et de déqualification étatiques, mais relaie diverses productions culturelles et soutient des initiatives citoyennes, pétitions, etc. Il demeure que, au total, dans l’Est du Québec, entre autres au nom des « migrations volontaires » (coupures de services qui obligent à l’exil, on reconnaîtra le modèle toujours actif), ce seront « 21 000 personnes expropriées ou poussées à l’exil, 30 villages fermés, 16 municipalités fusionnées par décret (...) et une opération de propagande pour dévaluer le mode de vie rural, qui va largement contribuer à la dévitalisation rurale de l’Est-du-Québec. » (M. GAGNON, p. 36). - L’HEUREUX-ROY, Mathieu (2024). (Photographies : Archives de Georgette BÉLANGER-RIOUX, les contemporaines, par l’auteur, préface de Jeannot RIOUX, Résilience 1970. Saint-Gabriel de Rameau d’hier à aujourd’hui, Montréal, Les Éditions Cayenne, 123 p., p. 14.
- RUTTER, (1985). Rutter, M., « Resilience in the face of adversity: protective factors and resistance to psychiatric desorder », British Journal of Psychiatry, 147, p. 598-611, 1985. p. 603.
- Comme le démontrent les études sur la question depuis Hans SEYLE.
- (NDLR) : Incidemment, ce trait de liance, qui n’est pas uniquement du registre biographique intime, me semble particulièrement sensible au plan des politiques publiques de santé, en ceci que les structures de soin doivent être elles-mêmes davantage objets de soins qu’elle ne le sont dans la logique managériale qui sévit et prive maints contemporains du tissu social responsable. Ce constat fut cruellement éclairé lors de la crise pandémique récente. On ne s’étonne pas alors de la haussedes revendications de victimisation,des somatisations et des collages de pensums qui émaillent les réseaux sociaux en quête de rôle « positif ».
- CYRULNIK, Boris (2001, 2028 [1999]). Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 279 p., p. 92.
- HANUS, Michel (2001), La résilience, à quel prix ? Survivre et rebondir, Paris, Maloine, 231 p, p. 184. Ouvrage le plus documenté et fouillé sur ces problématiques.
- HANUS, Michel (1994). Les Deuils dans la vie, Paris, Maloine, 383 p.
- FREUD, Sigmund (1917). « Deuil et mélancolie » Œuvres complètes, Psychanalyse, vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF, 3e éd. corrigée, 2005, 261-280, p. 263 : « Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction vécue à sa place comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. » . On notera le « vécue à sa place », comme si, pour Freud, l'engagement envers une cause constituait un succédané à la relation ? Ou plutôt,relais complémentaire, qui ne dispense pas de l'élan d'attachement, et mieux, d'amour, envers les êtres humains ?
- Les propos des Cohabiter dans le rite 10 et 11 consacrés à la mort de personnages publics soulevaient largement ne serait-ce que les formes d’identification (par traits communs), et même d’identification projective (fusionnelle).
- HANUS, Michel. (1976). La Pathologie du deuil, Paris, Masson, 118 p. repris dans (1994). Op.cit.
- KLEIN, Mélanie (1983 [1921]). « Le développement d’un enfant », Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 180 p.
- On pense aux effets de l’illimitation de l’ultra-capitalisme dans tous les domaines.
- RUTTER, Michaël, cité par HANUS, Michel (2001). Op.cit., p.24.
- « Tiercité » est emprunté à Janine ALTOUNIAN (2004). Op. cit.
- CYRULNIK, Boris (1999). Un Merveilleux Malheur, Paris, Odile Jacob, 238 p., p. 10.
- HANUS, Michel (2001). Op.cit., p. 165. Par exemple, une agitation excessive qui peut freiner l’élaboration psychique, les difficultés de liens intimes, certaines psychosomatisations, décompensations par quelqu’un qui peut paraître triomphant, etc. Le tout en dépit du symptôme qu’est la résilience, sorte de compromis entre désigner l’existence d’un problème et le brouiller à sa source.
Ce texte est redevable à plusieurs connivences, dont celles...
...de Jeannot RIOUX, Gaspé, initiateur de Résilience 1970 (sur la base du fonds d’archives de Georgette BÉLANGER-RIOUX), pour l’ardeur compétente et la fidélité au labeur de sa mère (« Si jamais un jour on parle de Saint-Gabriel, promets-moi d’être présent et de parler de ce qu’on a fait. » (« “Déclutcher” de Saint-Gabriel », Cf. Note 6, No. 210, p. 37)
...de Michel HANUS, psychiatre, psychanalyste (†2010), avec qui ont eu lieu tant de palabres sur ces questions, en marches en campagne, colloques, textes et auditoriums.
HÉMON, Louis [1880-1913] (1916). Maria Chapdelaine, Paris, Grasset, 224 p., réédité x fois et du texte original : Montréal, Boréal, 1988, 218 p., p 147 (Voir fiche pédagogique). Dans un contexte de colonisation auquel le présent texte réfère en partie, le séjour de l’auteur français au Lac Saint-Jean (Canada français), inspire ce roman aux amours impossibles, pour HÉMON reflet de tendances antinomiques entre nomades et sédentaires, fantaisies et normes.
MÉTRAUX, Jean-Claude (2004). Deuils collectifs et création sociale, Paris, La Dispute, 317 p., p. 52.
ALTOUNIAN, Janine (2005). L’intraduisible. Deuil, mémoire, transmission, Paris, Dunod, 2005, p. XV, 207 p. Ouvrage nourricier, notamment le chapitre sur « Traduire au tiers qui reste », et la section sur « un métissage nécessaire pour se séparer des morts et transmettre leur vie ». Voir infra texte. Souligné de J. ALTOUNIAN.
Horace, poète latin (65-8 av. J.C.), dans son Carpe diem, formule célèbre : « À juste titre, car il ne s’agit pas d’une fioriture occasionnelle, mais bien de l’expression d’une idée essentielle des Odes; il ne s’agit pas non plus d’une banale invitation à la jouissance, mais de la pièce centrale dans un dispositif complexe de réponse au défi du temps. » DESBORDES, Françoise (1992). « La vie brève : une étude du temps dans les Odes d’Horace », Vita Latina, No. 125, p. 11-20, p. 12. Comme quoi la sensibilité à la brièveté de l’existence que borne la mort incite à un mode de vie accessible à la conscience et source de sentiment d’accomplissement.
Une des formes essentielles de liberté sociale, in GRAEBER, David, WENGROW, David (2022). Au commencement était... Une nouvelle histoire de l’humanité, (trad. de l’anglais), Paris, Les liens qui libèrent, 743 p., p. 648-655.
En retrouvant l’esprit de mes propres terrains documentaires étudiants des années 1970, la grande part des données sur les questions d’occupation des territoires ruraux de l’Est du Québec provient ici du Magazine Gaspésie (Musée de la Gaspésie). Villages disparus : résistance et résilience, Vol. 61 No 210, Août-Novembre 2024, notamment : LEMAIRE-CAPLETTE, Marie-Josée, « Des villages enracinés dans le cœur. Avant-propos (et extrait), p.3-5; THUOT, J.-R., « Un pays sur la table à dessin. Les villages gaspésiens au 20e siècle, un parcours entre conquêtes, abandons et fermetures », p. 6-8; DUFORT, P., « Exode et résistance des paroisses dites marginales de l’Est-du-Québec », p. 9-10. ET No 211, Décembre 2024-Mars 2025, notamment GAGNON, M., « Aux origines des Opérations Dignité : l’exil des familles et les fermetures de villages de l’Est-du-Québec », p. 34-37.
En voici sommairement quelques repères. En 1963 est créé le Bureau d’Aménagement de l’Est du Québec (BAEQ), à titre de projet-pilote de développement régional qui consulterait la population dans une perspective de planification du développement économique. En 1968, sans trop de points communs entre technocrates, animateurs sociaux et premiers concernés, le projet de « structuration rationnelle de l’espace » (THUOT, p. 7) débouche sur un réaménagement plutôt désordonné (par l’Office de Développement de l’Est du Québec) impliquant entre autres le projet de fermer 88 villages (ces regroupements avec statut civique et divers services) et hameaux (quelques habitations sans église), tous colonisés dans l’arrière-pays et animés de solidarité communautaire. Cette solidarité limitera à 11 les fermetures de villages en Gaspésie, sous l’égide des Opérations Dignité, dès début 1970.
Sous l’impulsion de leaders locaux dont des curés de paroisses touchées, dix ans de cette mobilisation ont eu relativement raison d’une logique de marché débridé (en résonance avec celui de la morue) qui déléguait aux grandes entreprises forestières le sort de larges pans territoriaux, incluant ceux qui avaient été défrichés par leurs pionniers. Depuis, les habitants des villages épargnés ont entretenu la résistance sur maints fronts d’une saine occupation du territoire et continuent d’être source d’actions plus respectueuses des ressources naturelles, des environnements et de leurs occupants. Depuis 2009, un Centre d’interprétation et de recherche sur les Opérations Dignité veille non seulement à la mémoire des ripostes à cette forme de marginalisation et de déqualification étatiques, mais relaie diverses productions culturelles et soutient des initiatives citoyennes, pétitions, etc. Il demeure que, au total, dans l’Est du Québec, entre autres au nom des « migrations volontaires » (coupures de services qui obligent à l’exil, on reconnaîtra le modèle toujours actif), ce seront « 21 000 personnes expropriées ou poussées à l’exil, 30 villages fermés, 16 municipalités fusionnées par décret (...) et une opération de propagande pour dévaluer le mode de vie rural, qui va largement contribuer à la dévitalisation rurale de l’Est-du-Québec. » (M. GAGNON, p. 36).
L’HEUREUX-ROY, Mathieu (2024). (Photographies : Archives de Georgette BÉLANGER-RIOUX, les contemporaines, par l’auteur, préface de Jeannot RIOUX, Résilience 1970. Saint-Gabriel de Rameau d’hier à aujourd’hui, Montréal, Les Éditions Cayenne, 123 p., p. 14.
RUTTER, (1985). Rutter, M., « Resilience in the face of adversity: protective factors and resistance to psychiatric desorder », British Journal of Psychiatry, 147, p. 598-611, 1985. p. 603.
Comme le démontrent les études sur la question depuis Hans SEYLE.
(NDLR) : Incidemment, ce trait de liance, qui n’est pas uniquement du registre biographique intime, me semble particulièrement sensible au plan des politiques publiques de santé, en ceci que les structures de soin doivent être elles-mêmes davantage objets de soins qu’elle ne le sont dans la logique managériale qui sévit et prive maints contemporains du tissu social responsable. Ce constat fut cruellement éclairé lors de la crise pandémique récente. On ne s’étonne pas alors de la haussedes revendications de victimisation,des somatisations et des collages de pensums qui émaillent les réseaux sociaux en quête de rôle « positif ».
CYRULNIK, Boris (2001, 2028 [1999]). Les Vilains Petits Canards, Paris, Odile Jacob, 279 p., p. 92.
HANUS, Michel (2001), La résilience, à quel prix ? Survivre et rebondir, Paris, Maloine, 231 p, p. 184. Ouvrage le plus documenté et fouillé sur ces problématiques.
HANUS, Michel (1994). Les Deuils dans la vie, Paris, Maloine, 383 p.
FREUD, Sigmund (1917). « Deuil et mélancolie » Œuvres complètes, Psychanalyse, vol. XIII (1914-1915), Paris, PUF, 3e éd. corrigée, 2005, 261-280, p. 263: « Le deuil est régulièrement la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction vécue à sa place comme la patrie, la liberté, un idéal, etc. ». On notera le « vécue à sa place », comme si, pour Freud, l'engagement envers une cause constituait un succédané à la relation ? Ou plutôt,relais complémentaire, qui ne dispense pas de l'élan d'attachement, et mieux, d'amour, envers les êtres humains ?
Les propos des Cohabiter dans le rite 10 et 11 consacrés à la mort de personnages publics soulevaient largement ne serait-ce que les formes d’identification (par traits communs), et même d’identification projective (fusionnelle).
HANUS, Michel. (1976). La Pathologie du deuil, Paris, Masson, 118 p. repris dans (1994). Op.cit.
KLEIN, Mélanie (1983 [1921]). « Le développement d’un enfant », Essais de psychanalyse (1921-1945), Paris, Payot, 180 p.
On pense aux effets de l’illimitation de l’ultra-capitalisme dans tous les domaines.
RUTTER, Michaël, cité par HANUS, Michel (2001). Op.cit., p.24.
« Tiercité » est emprunté à Janine ALTOUNIAN (2004). Op. cit.
CYRULNIK, Boris (1999). Un Merveilleux Malheur, Paris, Odile Jacob, 238 p., p. 10.
HANUS, Michel (2001). Op.cit., p. 165. Par exemple, une agitation excessive qui peut freiner l’élaboration psychique, les difficultés de liens intimes, certaines psychosomatisations, décompensations par quelqu’un qui peut paraître triomphant, etc. Le tout en dépit du symptôme qu’est la résilience, sorte de compromis entre désigner l’existence d’un problème et le brouiller à sa source.