Pour la majorité des personnes en deuil, la période des fêtes se vit très difficilement. L’absence de l’être cher soulève en elles une vague de chagrin que les lumières, la musique et les souvenirs ravivent sans crier gare. La nostalgie creuse le manque et cause un état de langueur qui oscille entre le besoin de chaleur humaine et la tendance à se replier sur soi.
Le deuil, cette épreuve ultime, propulse les survivants dans des pensées contradictoires : « Pour ne pas mourir de chagrin, je dois me réanimer au sein d’une famille ébranlée, mais pour vivre, je tente de fuir le lieu où je me trouve, de partir à la recherche de tout ce que j’ai perdu, y compris ma propre identité. »
Tels sont les propos que les personnes en deuil nous tiennent afin de nous sensibiliser à la perte qu’elles ont subie, de nous éveiller à leur souffrance. Avoir mal avec l’autre est sans nul doute l’intervention la plus juste, la plus propice à la nouvelle relation, la plus favorable à l’entretien thérapeutique. La personne en deuil a la peau fine, elle est meurtrie jusqu’aux os. C’est pourquoi l’écoute et la reconnaissance de la singularité de sa perte sont fondamentales ; il faut en comprendre l’irréversibilité et contenir la blessure du non-retour.
Le deuil ouvre un chemin que la vie sans chagrin ne connaît pas. Pendant que le malheur happe l’endeuillé dans son ravin abyssal, les instants de bonheur circulent en va-et-vient à la surface des choses. Découvrir un sens à la perte est une tâche insoutenable. Reconstruire par l’écrit ce que la vie a démoli en soi, agit comme un bouclier contre l’oubli.
Lorsque Noël arrive, la perte d’un enfant résonne comme une onde de choc. La fête autrefois lumineuse jette les parents en deuil dans la noirceur de leur chagrin. Les proches et les amis s’affairent à bercer la souffrance que la période des fêtes réactive cruellement. L’histoire qui suit a été conçue à partir d’un alliage de récits ; je tenterai de mettre en mots ce qui se trame derrière les larmes de parents en deuil de leur enfant.
Tu aurais eu 7 ans, le 7 décembre 2015 et nous avions misé sur ton année chanceuse. Mais le destin en a décidé autrement ; c’était plutôt une malchance, la terrible épreuve de te perdre à cause d’une maladie incurable. Il est encore plus dur de constater que ton départ présage ton non-retour L’expérience nous semble irréelle. Tu es morte quelques jours avant Noël. Tu as admiré pour une dernière fois le décor auquel tu as partiellement participé. Après ton décès, nous avons éteint les lumières du sapin ; elles ne parvenaient plus à réchauffer ton père et pas davantage ton petit frère, qui souffrent aussi de ton absence. Les mots sont pauvres, ma petite, ils ne révèlent pas l’ampleur de notre désarroi, la profondeur de notre chagrin, ni notre ennui de toi. Le manque est cruel, il crée un vide auquel nous tentons inlassablement d’échapper.
Il n’y a pas si longtemps, tu croyais fermement au père Noël, tu lui avais même écrit une lettre le suppliant de te livrer le cadeau immense de la guérison. Tu as cru qu’il n’avait jamais reçu ta demande. Et tu as vite compris que sous l’habit du bon Vieillard se cachait un homme aussi triste que nous le sommes. Ton papa aurait tant voulu te sauver, ma toute petite, t’offrir un scintillant paquet de santé enrubanné d’un merveilleux avenir. Mais la magie lui a fait défaut.
Le temps des fêtes attise mes larmes qui se confondent avec la joie que tu as déposée en moi avant le dernier adieu. Et au moment même où ton cœur a cessé de battre, le mien s’est emballé. Comment ai-je pu te laisser partir ? Il m’a fallu te confier à de purs étrangers. En consentant à la dure réalité, j’ai eu le sentiment de t’abandonner. Cette pensée me hante. J’essaie de m’en détourner en m’abreuvant à ton courage. Certains n’aiment pas le mot « courage » ; pour ma part, je considère qu’il contient à lui seul la force morale que tu as déployée tout le long de la maladie.
Mon enfant, ma toute petite, ma si grande, tu es devenue ma source d’inspiration, ma seule motivation à reprendre la vie là où elle a été sectionnée. Rien ne sera plus jamais pareil. Avant ta mort, nous nous pensions à l’abri d’une perte majeure, mais ton départ nous dérobe à cette candeur. Je puise ma force à la tienne, un legs inestimable, une fortune incalculable, un amour infini. La mort a tout pris sur son passage, mais je tente désespérément de récupérer ce qui à jamais me lie à toi.
Le 25 décembre, je ferai l’effort de me lever, d’écouter de la musique, de rallumer les lumières et de recevoir ceux et celles que tu adorais. Ton père et moi avons tendance à nous isoler, mais le retrait ajoute à notre mal de vivre et creuse davantage le manque. Alors j’entends ton rire qui me déchire et me répare tout à la fois. J’aime t’imaginer sur les ailes d’un ange dans l’espace ciel où je te cherche et te retrouve à volonté. C’est le monde à l’envers ! Comment se fait-il que tu sois partie avant moi ? L’inversion des générations me bouleverse et m’interroge. Cela n’a pas de sens, il n’y a aucune logique, aucune réponse, aucune explication. Nous sommes confinés au « je ne sais pas ». Nos questions se multiplient et demeurent sans réponses. Aussitôt conçues, les réponses volent en éclats. C’est le mystère total. Comment vivre sans toi ?
Le défi est redoutable. Ton père, ton frère et moi vivons le deuil différemment. Ton Papa souffre en silence, et dès qu’il prononce ton nom, il s’effondre. L’étreinte devient notre bouée de sauvetage. Ton frère ne cesse de te réclamer, mais il se rend bien compte que son appel est sans écho. Alors nous sortons l’album de famille pour redécouvrir ton beau visage. Mince consolation, mais l’exercice nous est nécessaire. Puis, je te chante comme autrefois : « Il y a longtemps que je t’aime, jamais je ne t’oublierai. »
Mon trésor, pour mieux apprivoiser le premier Noël sans toi, nous avons décidé d’inviter tes petites amies qui se précipitaient au jour de ton anniversaire. Noël est une fête destinée aux enfants ; les grands s’y font prendre. J’inventerai ta présence.
Il en faudra du temps pour me rebâtir. T’écrire m’apaise. Mais, tout comme la lettre que tu avais envoyée au père Noël, je crains que la mienne jamais ne t’atteigne. Toutefois, sache-le ma chérie, là où tu es je suis, là où tu vas je vais, là où tu m’attends je viendrai. Au loin, je veille sur toi, mon éternelle ; tu auras toujours 7 ans. Je te porte en moi comme aux premiers temps. La symbolique me répare tout doucement.
Johanne de Montigny
Psychologue